mercredi 9 octobre 2019

MASCARER, CAPONAR... / les vendanges dans l'Aude.

Reprise des notes sur les vendanges 1939. 
"... Dimanche 8 octobre 1939 (Ste Brigitte). Nous vendangeons la petite vigne des Cayrols pour l’oncle Noé. Il faut faire de nombreux pas avec les comportes pleines pour arriver au chariot et les charger. Heureusement les raisins sont vite coupés et les « coustals » ou comportes pleines, sont peu nombreux.

De là, nous sautons au Cercle de l’Etang pour nous. C’est ici que pendant la guerre, nous allons essayer de planter quelques pois chiches afin d’avoir une petite provision de légumes secs pendant la grande pénurie alimentaire..." Caboujolette 2008 François Dedieu.  

Les Cayrols / Diapo François Dedieu 1979


En parlant des filles poursuivies pour avoir oublié, volontairement ou non, un raisin, Gaston Baissette qui commence son propos bien maladroitement au masculin ("du vendangeur", "du coupable") dit "farder", "barbouiller". Si Jean Camp aussi écrit "barbouiller", un autre auteur, Christian Signol, plus contemporain, ajoute les terme "mascarer" et "chaponner" dans son tome 1 "Les Vignes de Sainte-Colombe" (1996) :

"... Pour une grappe oubliée par une coupeuse (à condition qu'elle eût plus de sept grains, les autres étant réservées au grappillage des pauvres de la commune), un porteur avait le droit de "mascarer" la fautive, c'est à dire de barbouiller son visage du raisin le plus noir. Encore fallait-il l'attraper ! Les autres porteurs se mêlaient à la poursuite et ils n'étaient pas trop de trois ou quatre pour maîtriser la belle qui se débattait, avant de disparaître entre les ceps pour de mystérieux échanges au cours desquels naissaient parfois des idylles. certains porteurs préféraient "chaponner" les fautives, autrement dit les mordre très légèrement au front ou sur la joue. cela dépendait de l'âge ou de l'humeur. Mais tous les vendangeurs assistaient aux poursuites en criant et riant..." 


Pour compléter citons Francis Poudou qui, en collaboration avec le département de l'Aude (Opération Vilatges al Pais / Fédération Audoise Leo Lagrange), note dans la partie certainement commune aux livres sur les cantons de l'Aude, dont le nôtre, celui de Coursan (2005) :

"... même si le patron, en visite dans la vigne, faisait quelques remarques quand il voyait trop de grunada (grains de raisin par terre) ou de singlets (1), rien n'arrêtait les chants et les plaisanteries d'une "colhe" dynamique.
    Elles étaient l'occasion de "rencontres" entre les garçons et les filles et quand una jove vendemiaira doblidava un singlet (grappe de plus de neuf grains), èra caponada. En écrasant sur le visage de la jeune fille une grappe de raisins bien mûrs (sic NDLR), les jeunes hommes ne manquaient jamais d'en profiter pour la serrer de près... "

(1) en vendangeant j'ai entendu "granalho" un mot sonnant agréablement qui me faisait penser à de la grenaille, des grains dispersés, par rapprochement avec les plombs des chasseurs, la chasse faisant alors partie intégrante de la vie de tous les jours.
Singlet = petit grappillon, de single = grappillon.    

lundi 23 septembre 2019

BARBOUILLER, FARDER... / Les vendanges à Fleury.

" Samedi 23 septembre 1939. Encore pour l’oncle. Ce fut sans doute, mais je ne l’ai pas noté, « uno partido de cabanot »
Joie 41 comportes dont 14 à la vigne « des roseaux » et  20  à celle du milieu."

"Uno partido de cabanot" ? 
Qu'est-ce qu'il y a à comprendre ? Que ce fut aussi récréatif qu'un repas du dimanche au cabanon ?  Les 41comportes seulement par rapport à celles de l'avant-veille encore (62) puisqu'à Rouch il a plu le matin et qu'ils n'ont certainement pas travaillé une journée complète ? Et avez-vous quoi qu'il en soit remarqué, que la vigne se nomme "Joie" ?

Sinon, dans notre papier d'hier, Jean Camp, attaché à son village et à la vigne malgré les circonstances (avant 1914, ses parents, chassés par la mévente du vin, ont quitté Salles pour Levallois-Perret), reste impressionné par la symbolique mythique des vendanges. Dans "Vin Nouveau" son roman de 1929, il décrit une scène de barbouillage, une forme de bizutage entretenant une domination machiste mais accompagnée d'une réaction féminine ambivalente, ambigüe. 

Vendanges_Maestri__Michelangelo_-_Busto_di_Bacco_-_1850-

On retrouve ce passage bacchique chez d'autres écrivains dont Gaston Baissette (1901 - 1977) qui lui, dans "Ces grappes de ma vigne" (1975) parle de farder (la scène se passe dans les années 1870, dans la plaine héraultaise, du côté de Mauguio) : 

         "... Or il est de tradition que lorsqu'un vendangeur oublie de couper un raisin, on écrase la grappe sur le visage du coupable, on le farde. Philippe, tout en vidant les seaux pleins de raisins dans la comporte, guettait du coin de l’œil une défaillance de Marie. [... ] Soudain Philippe aperçut un énorme raisin dans le rang de Marie. L'avait-elle fait exprès ? C'était en tous cas la belle occasion. Mais Marie était robuste. Il fallut trois hommes pour la maîtriser, après une lutte. Philippe finit par écraser le raisin sur le visage de Marie, la barbouillant de jus rouge et poisseux. Ils tombèrent et roulèrent dans le fossé, haletants. Voici les deux lutteurs face à face, dans l'accomplissement inconscient d'un vieux rite. Voici la figure fardée du sang de la vigne, comme la charmeuse antique, chargée des maléfices et des désirs de la tribu. [...] Alors Philippe prend cette figure dans ses mains, l'immobilise, lentement et sauvagement, avec fougue et précision, il lèche la peau noircie par la sueur, le raisin et la terre. Comme le chat patient et méthodique, il parcourt depuis la racine des cheveux jusqu'au menton, , depuis le nez jusqu'aux oreilles, le visage abandonné, aux lèvres entrouvertes. Ils n'entendent plus, au-dessus d'eux, la joie bruyante des vendangeurs qui assistent à la scène. 
Le soir même, Philippe grimpa à l'échelle du grenier et alla retrouver Marie. Il redescendit au petit jour..." 

Le_Courrier_Français_1887_Vendanges_dessin_d'Adolphe_Willette

Mais c'est qu'on ne s'en fait pas dans cette colle des années 1870 même si nos deux jeunes gens vendangent ensemble et sont amoureux depuis petits ! Mais c'est que les artistes on toujours su exprimer ce côté charnel de la récolte...  

Toi qui es parti le 23 septembre 2017 et qui a su si bien partager et prolonger nos jours au village, tu me l'aurais dit, avec retenue mais aussi la malice de ton sourire, que moi aussi je ne m'en fais pas de publier avec cette allégorie plantureuse... En cherchant comment illustrer justement, je suis tombé sur cette photo de toi qui m'a sorti ces mots du cœur : " tu es beau, papa..."