samedi 3 février 2018

PLURIELLES, LES CÉVENNES / Tour d'horizon depuis la plage

Sur la courbe du Golfe du Lion, lancés comme par une fronde gravitationnelle, passant le Rhône, la Durance, survolant, les pays de Provence, nous avons croisé Emilie Carles défendant bec et ongles, la Clarée et son Val-des-Prés contre les bétonneurs du Briançonnais.
Holà ! ne sondons pas au-delà du système solaire ! ne gommons pas ce grand segment du feston oriental du Massif-Central[1], soulevé par la surrection des Pyrénées et des Alpes, de l’Espinouse aux Cévennes, en passant par l’Escandorgue, le rebord du Larzac, le petit causse de Blandas, la Séranne, la montagne du Lingas, le massif de l’Aigoual, la corniche cévenole, le Tanargue ardéchois !..  
Pas si vite ! nous ferons étape à Saint-Bauzille-de-Putois, au pied de la grotte des Demoiselles. 

Toujours à St-Pons, sous-préfecture jusqu’en 1926, perdant aussi son activité textile, une abbatiale forteresse promue cathédrale au XIVème, forte des 2.45 m d’épaisseur pour les murs de sa nef, mais souvent prise et pillée. Et cette réserve de truites apprivoisées[2] et grasses de tout ce que les gens lancent depuis les platanes du foirail… Et Ardouane, le pensionnat de curés… Le pauvre Patrick racontait comment il les rendait chèvres ! Quelle rigolade ! 
Depuis la garrigue de Fleury, vers l’intérieur des terres, au-delà des collines aux moulins ruinés de nos voisins héraultais, se reconnait la belle dent du Caroux plantée dans les Monts de l’Espinouse : monts de granit, de bruyère, sinon de sapinières à cèpes. Sait-il que ce versant tourné vers lui tombe jusqu’au Jaur puis l’Orb, vallées de cerisiers. A-t-il idée que plus haut, une soulane de châtaigniers, chère à Jean-Claude Carrière[3], ne compte plus les générations échinées à griffer les granites et les schistes, à monter les pierres ?

« … Avec leurs mains dessus leurs têtes
Ils avaient monté des murettes
[4]

Jusqu'au sommet de la colline
Qu'importent les jours, les années […]
Pourtant, que la montagne est belle… »
La Montagne (1964), Jean Ferrat (1930 – 2010). 

A l’évidence, un mode de vie comparable jusqu’à ce que les « trente Glorieuses » ne portent le coup de grâce, jusqu’à ce que « le progrès » n’en arrive à tout effacer, jusqu’au vol d’hirondelles de l’automne qui vient d’arriver. Qu’elles soient « Pyrénées », « Cévennes », « Préalpes », les montagnes restent belles même si l'homme, et plus encore le natif, ne peut que ressentir un pincement au cœur quand les buissons et la forêt reprennent les terrasses ancestrales, les anciennes prairies… Fini, les papillons aussi ! 

"... Les vignes, elles courent dans la forêt, 
Le vin ne sera plus tiré..." La Montagne. Jean Ferrat. 

Toujours chez Carrière, aux gorges d’Héric, au hameau de même nom, une maison étrange, sans fenêtre, de pierre, aux poutres brutes, couverte de schistes. La porte est entrebâillée. On ne fait rien de mal. Surprise, une épaisseur de châtaignes sèches, noircies, dures, uno cledo, un séchoir à castagnous ! Le plancher est à claire-voie. Restons sur le seuil, il vaut mieux. C’est en bas qu’ils allumaient un feu étouffé générant beaucoup de fumée. On dirait que l’endroit a été abandonné hier, en catastrophe… A moins que ce ne soit qu’une passade de hippies, ces « revenants » à la terre… Tandis que les gens de la ville viennent de loin, mais véhiculés, ventripotents, pour faire bombance... écrevisses, truites, sanglier, au Rec Fourcat, jadis dans les pentes, à Mauroul. 

Bédarieux et sa célèbre marquise… 

« … En effet, on ne peut passer à Bédarieux sans évoquer cette vieille demoiselle Noémie Berthomieu, qui ne voulut pas mourir sans doter la gare de Bédarieux de cette superbe marquise, cette halle[5] qui recouvre d’une seule volée les quais de la gare… »
La ligne aux quatre visages (Montpellier – Toulouse) / La Vie du Rail n° 1218 (16 novembre 1969) / Henri Vincenot (1912 – 1985). 

Au-delà de Bédarieux, la ligne Béziers-Neussargues-Paris doit se hisser sur le grand causse. Avant 1931et l’électrification, ce tronçon réputé le plus dur de France nécessitait une locomotive de queue en renfort, la « pousse » dans le vocabulaire cheminot, précise Vincenot. 
Parmi les curiosités à découvrir à deux pas de chez nous, pardon de ne donner que des pistes en gros, méritant d’être affinées tant les reliefs, les milieux, les villages ont toujours à offrir leur originalité. Dans ce coin du département de l’Hérault : les Hauts Cantons, ses forêts et pâtures, les mines de houille, de bauxite ; la haute vallée de l’Orb, les gorges, le barrage d’Avène, le plateau basaltique de l’Escandorgue avec des volcans liés au Massif Central sur une faille qui descend sur Saint-Thibéry et Agde ; les terres rouges ou lie-de-vin autour du barrage du Salagou en lien peut-être avec le volcanisme ; le rebord escarpé du Causse du Larzac avec le cirque du Bout du Monde ; les gorges de la Vis avec le cirque de Navacelles, les dolmens ; plus insolites encore, les pivoines de la Buèges. 

Plus accessibles, mais déjà dans la plaine, Saint-Guilhem-le-Désert, les gorges de l’Hérault, Saint-Bauzille-de-Putois, un village au nom improbable au pied de la grotte des Demoiselles, nymphes et déesses d’un monde rustique de bois, de sources et de grottes… 
 


[1] Le Massif-Central, un ensemble de hautes terres n’ayant qu’une relative altitude comme point commun. Ces « Hautes terres » furent débaptisées par Paul Vidal de La Blache, le monsieur du relief de la France à portée sur le mur, le gentil parrain des cartes murales en cadeau pour les petits écoliers en mal d’évasion. Me revient aussi la voix de papa, révisant, comme quand il portait la blouse : Charolais, Maconnais, Lyonnais, Vivarais, Cévennes…  
[2] Dans l’Aguze, affluent du Jaur dont la source sort du rocher à peine un peu plus bas. 
[3] Jean-Claude Carrière a raconté la vie entre les Avants-Monts et le Caroux dans « Le Vin Bourru » (2000). La vallée de l’Orb est aussi le pays de Michel Galabru (1922 – 2016).
[4] A l’instar de nos murs de pierres sèches, ci et là, à Granouillet, à Carabot ou dans la combe de Caussé par exemple…
[5] Copiée sur celle de la gare de Lyon, de dimensions plus modestes certes, mais plus en courbes, plus mignonne, plus bonbonnière. 

Photos autorisées : 
1. Saint-Pons-de-Thomières cathédrale mur meridional Author Fagairolles 34. 
2. Châtaignes 2008 Author JLPC. 
3. marquise Bédarieux Author Scanné par Claude villetaneuse. 
4. "Ruffes" du lac du Salagou Author Gerard Witzke.
 

mercredi 31 janvier 2018

PÉTALES ET POUTOUS / Bouno annado



Ça vaut des vœux de bonne année, ces fleurs d’amandier fin janvier de l’an de grâce 2018.
Et quand on sait que dans des temps anciens, Noël, puis le premier mars, puis Pâques (quelle complication ces cycles inégaux !), puis le 25 mars dont il reste le premier avril pour la semaine où les cadeaux s’échangeaient, marquaient le nouvel an[1], c’est vraiment un truc de bobos libéraux béats, toujours dans le nivellement mondialisé, de relever que la tradition des vœux jusqu’au 31 du mois nous rend ridicules… Opposons leur au contraire une multiplicité de langues, de traditions, d'us et coutumes, de cultures qui font la richesse de tous !
Dans la nôtre, l’amandier est en bonne place. J’ai cueilli et reçu des brassées de fleurs (ce n’est qu’une image, ce serait dommage pour les amandes) en gage d’amitié, de soutien pour un chemin de vie qui continue… « Si sen pas pus, sioguen pas mens ! » « Si nous ne sommes pas davantage, que nous ne soyons pas moins nombreux ! » Tout était dit, même en non-dits, pour Noël, pour clore les vœux « Bouno annado pla granado, pla acoumpagnado. Boun, brave, bel que siegue l’an nouvel[2]

Ma « cueillette », sur le site de Sorgeat décidément très vivace ! http://sorgeat.free.fr/mem.php

« O vieux amandiers du pays,
Je vous aime et je vous vénère
Couverts de fleurs ou de glaçons,
Vous, dont plus d'un est centenaire,
Vous qui restez quand nous passons […]

Amandiers que l'Autan, dans sa rage jalouse,
Plume, pour étoiler les prés ou la pelouse
D'un essaim de papillons blancs… »

Pierre Marfaing Poèmes d’Ariège, 10 Francs, FOIX Typographie Pomiès, Fra & Cie successeurs, 1930.

Vos pensées même lointaines.
Gérard, depuis la Westphalie regarde ceux d’Aude Pays cathare : amandiers de nos jours refleuriront toujours. 


Des racines sardes pour celui de David… plantons l’amélié, auren d’amélos !


Sur un talus aux herbes folles, celui que m’a gardé Monique la Gardoise. 


Au pied de l’Alaric, allié au cyprès, emblématique aussi du monde méditerranéen, un Wisigoth chenu, immortalisé par Martine ! 


Frédéric à Narbonne me dit qu’il se voit tous les jours : « amandier fleuri », c’est son pseudo !   


Plus proche, géographiquement s’entend, R.M. notre Cabanaïre préféré confirme que les bords des vignes sont fleuris et que le jour est plus lumineux sur la plaine. 


Même Guy, poète de l’éternel (c’est pour la rime) trop pris par le temporel, a noté :
« Les amandiers sont en fleur depuis une semaine et les premières asperges sauvages ont fait leur apparition… Janvier a été très doux pour les Pérignanais. »
En prime, l’orthographe « en fleur » nous offre la floraison absolue de milliers de fleurs au grand bonheur des abeilles… 

Magali mais bien d’ici, pas « du pays de nulle part » dans la tradition des destins tragiques sous le soleil du Midi ! (https://www.youtube.com/watch?v=ScccxoEgF2U) :
« Oui j’en vois à la combe de Caboujolette (tu entends, papa ? NDLR), là où il y a la croix et le chemin qui monte et aussi à la bergerie derrière chez moi. Je leur ferai de gros poutous de ta part. »
JC toujours de Fleury a le plus bel amandier du quartier, attention à la bouche gourmande des filles du monde entier surtout s’il est dessous avec son saxophone ! (merci Brassens).

Plus proches encore, les closques dures de PF le casseur d’amandes et de ma nebeude qui a de qui tenir (mais je rigole, ce sont des pâtes… d’amande bien sûr !), bravant les dangers, se tenant la main, entre chien et loup, pour envoyer l’amandier à tonton comme on envoie le sapin de Noël. 


Et sur mon bureau, celui de papa, le plus tardif puisqu’il est du 15 février... serait-ce de l’an de grâce 1995… 



Merci amandiers, merci amis d’hier et d’aujourd’hui. 

Bouno annado pla granado, pla acoumpagnado. Boun, brave, bel que siegue l’an nouvel e si sen pas pus, sioguen pas mens ! Poutous a toutis !.. si vous ne craignez pas la poutounado… vous ne devriez pas, c’est en se serrant la main qu’on se passe des microbes à profusion…    



[1] Sans parler du 1er vendémiaire des révolutionnaires, jour du raisin correspondant au 22 septembre et qui a longtemps coïncidé, en gros, à l’année scolaire…
[2]Bonne année bien fournie en grains, bien accompagnée. Que l’an nouveau soit bon, généreux et beau… j’en appelle à l’indulgence tolérante pour mes fautes tant de langue que d’interprétation… dites-moi quand même si c’est grave ! Entre parenthèses, il faut si peu de mots en occitan pour en dire beaucoup !