mardi 2 mai 2017

CAMPINA GRANDE (Paraiba, BRASIL) en grand danger d'être évacuée

http://geopolis.francetvinfo.fr/secheresse-au-bresil-campina-grande-une-ville-en-danger-135689
 


La deuxième ville de l’état de la Paraiba, Campina Grande, 400 000 habitants environ, se retrouve en grand danger d’être évacuée avant la fin de l’année, faute d’approvisionnement en eau. Si elle fait partie du Nordeste brésilien, elle ne se situe pourtant qu’en bordure du polygone de la sécheresse, une zone intermédiaire encore verdoyante, l'agreste, entre la mata atlantica, la forêt côtière disparue dont seul le nom subsiste, et le sertão (1) semi-désertique, où ne pousse que la caatinga d’épineux et de cactus.
 

Souvent les populations de pays incultes, de régions déshéritées, démontrent une hauteur d'esprit peu commune. Comme si la malchance et les privations forgeaient les caractères en les élevant bien au-dessus des contingences matérielles. Transcendées, elles versent même dans une mystique exacerbée par l’analphabétisme : paradoxe de celui à qui rien n’est donné mais qui trouve un dieu omniprésent comme raison de vivre (2). 
Le Nordeste brésilien tient de ces lieux où la nature semble avoir dit à l'homme d'aller plus loin.  Et cet homme, qu'il reste ou qu'il parte, porte en lui et pour les autres, bien enraciné au plus profond de son être, un attachement viscéral à une terre pourtant stérile et ingrate. 
 

Cet homme, c'est Lampião, le cangaçeiro, devenu bandit pour venger un père assassiné injustement par la police, sur fond de vendetta entre grandes familles latifondiaires, sur fond d'exploitation féroce des plus humbles.
 

Cet homme c'est Maria Bonita, sa femme, si élégante et surréaliste sur un décor inhospitalier d’épines agressives.

Cet homme, c'est le seringueiro, serf d'un productivisme impitoyable, parti saigner l'hévéa jusqu'au tréfonds de l'Amazonie.

Plus proche de nous, cet homme c'est le candango, parti construire Brasilia, cantonné à un rôle de tâcheron, au service de "pionniers" socialement plus estimés. D’ailleurs, le nom a un rapport direct avec l'esclavage. L'Histoire qui a retenu l'empreinte d'Oscar Nimeyer et loué la performance des 1000 jours pour sortir la capitale de terre, devient odieuse de ne rien dire sur un esthétisme architectural rouge du sang de ces migrants forcés de travailler 18 heures par jour, interdits de syndicats, victimes des violences de la police militaire s’ils manifestaient.
 

Cet homme, c’est l’éternel émigré, le « retirante » qui a fui la sécheresse et grossi les favelas. Lula, le président, fils de retirantes (et son origine n’est certainement pas étrangère à l’impulsion, faudrait-il la relativiser tant l’inertie et l’opposition au progrès social restent fortes au Brésil), a enfin amené l’eau du fleuve São Francisco (3) aux déshérités.

Par quelle chimie mystérieuse, ce Sertanejo qu’on dit indolent mais sanguin, sensible à la saudada mais dur à cuire, humble parmi les humbles mais si riche d’humanité alors qu’il n’est qu’un survivant, a-t-il pu, par la littérature, la musique, la danse, le cinéma, se confondre et former l’essence même de l’identité brésilienne ?
 
 
 

Ce Nordestin, nous l’avons croisé, pour des vacances, pêcheur sur sa jangada (4), à Tambaù, la plage jadis rustique de João Pessoa où les grandes vagues de l’océan  poussaient loin sur le sable la senteur saline et iodée de l’Atlantique. L'homme du sertão, nous l’avons côtoyé, surtout à Campina Grande où ma petite sœur est née en 1954. Plus que des souvenirs, et même si nos conditions de vie étaient plus enviables, mieux qu’un tatouage, nous gardons "BRASIL" dans la peau, malgré l’amertume, aussi, laissée par la devise du pays « Ordem e progresso ».  
 

(1) A João Pessoa, capitale de l’Etat, existe une réserve de cette forêt tropicale atlantique / « Sertão » diminutif du mot "desertão"...
(2) Au même titre que la poésie ou la chanson de geste des personnages marquants ou révoltés du sertão, la religion et ses déviances appartiennent à cette « literatura de cordel », ainsi nommée parce qu’elle rappelle tant cette littérature populaire ibérique déjà colportée au XVIIe siècle. Sur les marchés, les places publiques, se vendaient (aujourd’hui plus pour les touristes), suspendus à des cordes, ces feuillets, ces récits en vers, déclamés, chantés par les « folheteros », ces poètes-troubadours sortis du peuple.
(3) fleuve de première importance par le lien qu’il matérialise entre le sud riche, industrialisé, et le Nordeste pauvre et agricole. Longueur 3160 km, bassin de 617 000 km2, débit de 2943 m3/s soit plus que le Rhin à l’embouchure ou le Nil à Khartoum (source wikipedia). 
(4) sorte de radeau à voile sans abri ni sécurité. 

Crédit photos commons wikimedia : 
1. Campina grande Vista Aérea do Açude Velho Author Bruno Coitinho Araujo
2. Caatinga_-_Sertão_nordestino Auteur Maria Hsu 
3. Virgulino Ferreira da Silva dit Lampião Auteur Benjamin Abrahao Botto (1890-1938)
4. Cangaceiros_Lampião e Maria Bonita Auteur Benjamin Abrahao Botto (1890-1938)
5. Brazil.Brasilia la cathédrale Author Victor Soares ABr. 
6. Praia Tambaú carte postale collection François Dedieu. 
7. Praia Tambaú, collection François Dedieu. 
8. Nordeste Jangada àTibau. Author Patrick-Patrick
9. les agaves et Campina Grande, collection François Dedieu.

mercredi 26 avril 2017

DELTA DE L’AUDE (4) / Les îles de la Narbonnaise.

  

Un autorail rouge et crème s’en va dans le petit matin blême. Ambiance enfumée d’un temps où la clope tue en toute impunité. Presque tous ont un abonnement de travail (merci la SNCF), et des habitudes. L’encre pas encore sèche de l’Indépendant ou de la Marseillaise noircit les doigts. D’autres forment une table à quatre pour une belote bruyante. Moi je retrouve Alain qui enseigne, toujours dans les P.O. où il a "fait" l’École Normale. Malgré nos discussions, les instantanés des lagunes, des îles, viennent forcément meubler nos silences. En attendant d’en savoir davantage, un jour, sur cette langue de terre avec le canal et le rail entre des étangs qui, sans cela, ne feraient peut-être qu’un, nous sommes si habitués qu’il faut se pincer pour admettre le caractère admirable de ces paysages dont nous semblons blasés. 


Avec le Paris-Port-Bou, toute cette beauté vous saute aux yeux. Jamais aussi bien perçue que dans les yeux des voyageurs du train de nuit. "Le train de nuit, c'est Paris à une heure de Perpignan : une demi-heure pour s'endormir, une demi-heure pour se réveiller" (1). La surprise donne à tous cet air émerveillé des enfants à Noël : la lumière toute méditerranéenne, magie de toutes ces nuances encore mêlées de bleus, de gris, de verts, le ciel, les étangs, le canal, les pins émergeant peu à peu de la nuit sous un soleil encore froid comme un œuf clair mais qui n’a plus rien à voir avec celui d’Austerlitz. 
    

Depuis sept millénaires, sur près de 250 km2 (2), le delta de l’Aude occupe à peu près la surface qui est la sienne  aujourd’hui. Le littoral abordé par les Romains ressemble beaucoup à celui que nous connaissons. Le maintien artificiel du bras méridional de l’Aude (barrage ou digue seulement à Sallèles ?) (3) ne permettait déjà plus d’atteindre Narbo Martius et les marchandises passaient des navires de haute mer sur des barges à fond plat, à hauteur des îles de Sainte-Lucie et de l’Aute. La Clape a longtemps gardé son insularité ; appelée « Île du Lec », elle se trouvait en effet séparée du fossé comblé de Narbonne par un étang salin qui s’est maintenu jusqu’au XVIIIe siècle (4).     

(1) train supprimé en décembre 2016...
(2) plus marqué, le delta de l’Ebre s’avance sur 320 km2 tandis que celui du Rhône avec une Camargue plurielle (la Petite et la Grande) s’étend sur 1500 km2.
(3) «... Gaston Galtier (La côte sableuse du Golfe du Lion [Bulletins de la Société languedocienne de Géographie - année 1958] pense que le bras oriental, plus court et présentant une pente plus forte, écoulait la majeure partie des eaux et que les Romains ont barré ce bras oriental à Sallèles pour augmenter le tirant d'eaux du bras méridional et le rendre plus propice à la navigation, ce qui paraît plausible en raison de l'importance du port de Narbonne.../... à la suite de l'inondation de 1316, l'Aude a emporté le "barrage" de Sallèles et repris son cours primitif dans le bras oriental... /... les efforts déployés, après la rupture du barrage, pour maintenir le cours de l’Aude vesr Narbonne se sont révélés vains. Depuis le milieu du XIVe siècle et jusqu'à la fin du Moyen-Âge, l'Aude n'arrose qu'irrégulièrement la ville. Une nouvelle robine doit être établie à Moussoulens en 1468.../... Ces efforts restent vains ; le 3 octobre 1531, l'Aude change définitivement son cours et quitte Narbonne.../... La situation des embouchures de l'Aude ne sera stabilisée qu'au début du XIXe siècle : la Robine a été canalisée de Moussoulens à la mer, la branche nord sera à son tour canalisée en Brumaire an VIII...» (22 oct- 21 nov 1799).
Source Vilatges al pais, Canton de Coursan (2005 / Francis Poudou et habitants) 
(4) Etang Salin sur les communes de Vinassan et Narbonne, restes du lacus Rubressus, desséché en 1585 grâce au canal Ste Marie. La mention des salines de Coursan apparaît en 844. Estang salin ou marais de la Clape 1680. Le canal de l’étang-Salin ou de Ste marie prend à Coursan le trop-plein de la rivière Aude, arrose les basses plaines de Coursan (A l’estang 1768), Armissan (Tot lo lonc de l’Estanh 1537), Narbonne et se jette dans l’étang de Campignol au roc de Conilhac. 
https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/search?q=Coursan

 
Crédit photos commons wikimedia : 
1. autorail quittant Calvi auteur Didier Duforest
2. Étang_de_l'Ayrolle,_Gruissan Auteur Christian Ferrer / cliché pris vers l'ouest depuis l'île Saint-Martin / La voie ferrée et le canal séparent l'Ayrolle de l'étang de Bages-et-de-Sigean. 
4. Étang de Bages et de Sigean  depuis Sainte-Lucie Author Christian Ferrer / photo prise vers le sud : on distingue la petite île de la Nadière ainsi que les silos et les cuves à hydrocarbures de Port-la-Nouvelle. 

Photo de nos impôts : 
3. Ile de l'Aute vue aérienne Conservatoire du Littoral