La
départementale 618 pour Lespignan passe le Bouquet sur le pont de la Moulino,
appelé ainsi (francisé en „Mouline“) peut-être pour indiquer qu’il y avait un
moulinot, un petit moulin (?). Monsieur Robert y avait une petite vigne... je
l’ai vendangée en tant qu’homme, comme charrieur, à 18-19 ans, j’en bombe
encore le torse !
Au
creux d’un doux vallonnement, entre Carabot et la Magnague, en bas de Saint-Giniès
(1), le ruisseau du Bouquet, ponctué de bouquets de carabènes et d’arbres
bienheureux de pousser sur ses bords, se retrouvait parfois caché par des
ronciers épais quand on ne le voyait plus lambiner en petites courbes
charmantes. L’une tranchait dans un limon blond donnant des aramons aux grains
plus gros que des cerises. Une autre affouillait dans les racines d‘un gros
tronc. Une troisième dévoilait une terrasse fertile mise à profit pour un petit
jardin de quelques légumes. En hiver on trouvait des blèdes, des épinards
sauvages sur ses bords...
La
carte IGN de 2015 indique deux sources captées entre le pont de la Moulino et l’ultime
rupture de pente avant la plaine. Avant celle-ci, au fond, le promeneur comme
le fil de l’eau longent de nombreuses vignes sans jamais ressentir l’impression
d’outrepasser la propriété d’autrui... Un naturel plus très évident de nos
jours chez les gens mais qui donc, aujourd’hui, avec tous les poisons déversés,
a envie de courir la campagne pour de petits profits rustiques qui faisaient
avat tout plaisir ?
Le
Bouquet, lui, manière de faire un pied de nez aux hommes qui l’ignorent, le
Bouquet passe à gué la traverse entre Notre-Dame et la route des Cabanes.
J’avais des photos d’il y a quelques années avec des friches en lieu et place
des vignes arrachées, des caniès, des cannaies épaisses et l’eau passant sur la
route pour continuer son cours. Comment on dit ? à gué c’est un passage de la
route sur l’eau, là où c’est peu profond et là c’est un passage de l‘eau sur la
route. En créole, à La Réunion ils disent „radié“ sauf que le terme là-bas
francisé „radier“ n’a plus ce sens en métropole même quand il désigne un rapide
souvent sur un lit de cailloux. Ici l’eau court et fredonne sur le goudron
avant de goualer dans une cascatelle liliputienne qui érode, si on laisse
faire, l’empierrage de la chaussée... Petit ruisseau, beaux dégâts, beau
pied-de-nez de l’eau du Bouquet qui travaille jour et nuit depuis des
lustres...
Dernier
ressaut, Aigos Claros, encore un tènement au nom limpide et qui nous emballe
plus particulièrement parce que notre inimitable oncle Noé y entretenait un
jardin des délices. Et pour les mille et un légumes du potager, l’oncle puisait
l’eau avec une pousalanco (ou pousaranco ?) fièrement pointée vers le ciel quand
elle ne prélevait pas l’eau dans une conque aménagée ! Ah qu’elle était jolie
la noble conquête de l’oncle Noé ! D’où en avait-il eu l’idée ? La pouzalanco ?
un balancier à puiser l’eau, le chadouf fameux de Mésopotamie ou d’Égypte. En
été, les melons venaient bien au jardin d’Aigos Claros, du temps où comme pour
les hommes, enfin, à en croire les femmes, il fallait en goûter dix pour en
trouver un de bon ! En attendant, c’est du propre ces propos de dévergondées
puisque souvent le premier amoureux était celui d’une vie... Au service
militaire, l’oncle Noé écrivait à tante tous les jours et même dans l’âge, ils
formaient un couple aussi soudé qu’attendrissant... Ah ! tante Céline qui donc
testait les melons avec une comporte à côté... de quoi cumuler une cinquantaine
de kilos ! Toujours gaie, elle sondait et goûtait en effet chacun d’eux pour n‘en
garder qu‘une paire, le reste, la comporte, allant directement aux poules. Le temps
n’était pas encore celui des melons toujours bons, c’était avant ceux de Canguilhem
à Coursan qui ont fait la réputation du marché de Saint-Pierre... Si tu nous
lis, Jean-Claude, je te salue...
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De gauche à droite : Ernestine, Jean, Céline et Noé. |
Désormais
dans la plaine, le Ruisseau du Bouquet entame la dernière partie de son cours
microcosmique, notre dernier épisode à suivre, je pense...
(1)
Carabot ? un rapport avec ces gerbes laissées au soleil, empilées le soir pour
être battues le lendemain, bien que plutôt dans le Dauphiné ? (F. Mistral
/Trésor dou Felibrige).
La
Magnague... „Maniago“ étant la mignonne, la bien aimée... en parlant d’une
vigne, sur la route des Cabanes, notre maniago, avec les grappes opulentes de
la plaine, les sucres et le degré du coteau.
Géniès,
ce saint obscur peut-être de Lyon „Genès“ ou encore orthographié „Genest“...
Ah
tous ces noms de lieux, déjà attestés pour la plupart en 1495, balises du
spatio-temporel, déformés, transformés, évanouis mais qui resuscitent en dépit
des siècles écoulés depuis les Ligures, les Ibères, les celtes, les Grecs, les
Romains, les Occitans, les Francs... Indices obligés des nouvelles, des ragots
du jour, mais empreints de poésie, gourmands en bouche, appellations de terroirs,
de coins, de points précis, d’histoires, de mémoire du pays, de visages qui
passent... Ce rapiéçage de parages, de voisinages, qui racontaient une tranche
de temps passé, limpide pour les riverains, déjà diaphane pour les autres
villageois, opaque pour les pièces rapportées, carrément hermétique pour les
estrangès et que la vie moderne, de toute façon, efface inéluctablement...