"... Jeudi 12 octobre 1939 (St Séraphin). Nous
faisons un saut à Roques, vigne minuscule de l’oncle Noé,
« St-Géniès-le-Haut » pour le cadastre, pour son vin blanc à lui. Et
il sera temps pour moi, dès demain, d’aller à Carcassonne et d’entrer en classe
de première..."
Au travers des témoignages dont nous disposons c'est le manque de main-d’œuvre qui pose problème quand on vendange en famille, d'ailleurs les vendanges se prolongeaient en octobre. En bien si le soleil apportait du degré, en mal si les fortes pluis d'automne s'en mêlaient. Noé, mon grand-oncle et le grand-père Jean, deux petits vignerons tenant mort et fort ("opiniâtrement" nous livre Dicod'Oc Lo Congres pour "fort e mort") à l'appellation "propriétaire" (une plaque bleue sur le chariot en attestait !) ont accueilli la brouette de charrieur avec enthousiasme.
"... Vendanges
1954. « Voici le calme revenu, aussi je ne veux plus tarder à venir
bavarder un moment avec vous. Nous avons fait de bonnes vendanges avec du temps
frais cette année, il nous est arrivé souvent de battre le record le premier
jour des vendanges nous avons fait dans la matinée 24 comportes, mais cette
année nous avons fait l’achat d’une brouette pour charrier, ce qui fait que ton
père et Noé ont conduit la rangée et Jojo charrié et chargé la charrette tout
seul, vous pouvez croire que Jojo était fier de conduire la brouette, c’est en
effet pas fatiguant et cela économise un homme ce qui ne faisait pas rire les
ouvriers, car il y a beaucoup de propriétaires qui en ont acheté, et je crois
bien que l’année prochaine tout le monde en aura, elle nous a coûté 11.000 f
Le jour que nous avons reçu ta
lettre nous étions allés finir Aigos Claros, et nous nous sommes arrêtés à la
maison pour dîner tous ensemble, ce qui fait que c’est Noé qui nous a lu de
vive voix ta lettre, et le soir nous sommes allés aux Traoucats… »
Tante
Céline.
De gauche à droite, Ernestine et Jean mes grands-parents, Céline et Noé, grands tante et oncle. |
Encore la fameuse brouette articulée et mamé qui vient de faire cuire la viande sur le gril... les vendangeurs ont besoin de force ! |
11000 F de 1954 correspondent à un pouvoir d'achat de 250 euros de 2018 selon plusieurs occurrences, celle de l'INSEE indiquant 24626 € n'étant évidemment pas prise en compte... je n'en dirai pas plus, cela polluerait nos échos de vendanges !
Pour monter les comportes aussi les moteurs pouvaient aider à la manœuvre :
"... Le
« gros entonnoir » dont tu parles pour verser la vendange dans la cuve ou
le foudre, c’était la « trémie », la tremèjo, théoriquement
« tremuèja ».
Papé Jean, se voulant un peu plus
moderne, voulait éviter de tourner la « grue » à la main pour soulever les
comportes. On ne s’en servait plus que pour descendre sur le chariot, en vue de
la journée de travail du lendemain, les comportes vides classées par piles de
quatre, l’une dans l’autre. Il fallait alors, pour éviter le basculement, faire
faire à la corde un crochet autour d’une poignée, crochet présenté en sens
inverse de l’autre côté de la pile. Ainsi, le tout descendait bien droit, sans
danger pour le « receveur ». Pour monter les comportes, papé avait «
inventé » une machine révolutionnaire. En bas, dans notre cave, Isidore Barthe,
le maçon, était venu sceller dans le mur deux gros fers peints en rouge,
éloignés d’un mètre cinquante environ, et portant un axe solide roulant sur
coussinets et muni de chaque côté d’une roue de 60 cm de diamètre. Celle de
gauche était normale. Sa circonférence recevait une belle courroie issue du
moteur Bernard, bleu, placé tout en bas. Celle de droite était spéciale ;
beaucoup plus large que l’autre (dans les dix-huit centimètres), elle était
munie d’un double tour en fer qui formait un vide permettant de recevoir une
large courroie flottante. Quand le moteur tournait, cette dernière restait
immobile. Elle rejoignait, au-dessus du plancher, la même roue à gorge sur un
nouvel axe semblable. Enfin, un dernier dispositif permettait, en tirant une
solide corde toute neuve, d’appliquer une troisième roue à gorge, beaucoup plus
petite, sur la courroie qui, ainsi tendue, faisait tourner l’axe du haut sur
lequel s’enroulait le câble de corde qui faisait monter la comporte « en un
temps record ». Tout était dans la force de la main gauche paternelle, qui permettait à sa main droite
de tirer la comporte pleine par la poignée. Alors cessait la traction, le
moteur, en bas, ne rencontrant plus de résistance, s’emballait joyeusement, et
en moins de deux le « voyage » avait disparu dans le foudre.
Mon père avait acquis à cet exercice
assez périlleux une remarquable dextérité. Ils avaient étudié le mécanisme avec
Maurice Lande le mécanicien (chez qui Henri avait travaillé quand l’atelier de
Lande se situait au fond de l’impasse voisin du bureau de tabacs). Les deux pompes
à essence s’élevaient devant le portail, où l’on pouvait lire : Essence ENERGIC
/ Huile ENERGOL.
Le garage dont la cour permettra, plus tard, d'entrer au cinéma Balayé. |
Pourtant, un jour, nous avons frisé
la catastrophe. L’oncle Pierre était sur le chariot qui venait d’être placé
sous la grande trappe, et il accrochait méthodiquement les comportes pleines de
vendange. Tout allait bien, quand sans doute une fausse manœuvre de son neveu –
mon père qui était à la commande de la roue mobile presse-courroie – faillit
tourner au drame. J’avais une douzaine d’années et je me revois encore, le cœur
anxieux, regardant de tous mes yeux l’oncle Pierre qui essayait, avec un long
pieu solide, de repousser cette satanée comporte vers le plancher, alors que
seul un côté restait accroché, que mon père tenait l’autre bano ou poignée de
sa main droite, au risque d’être entraîné en bas, tandis que la gauche
maintenait ferme le patinage de la grosse courroie, permettant un équilibre des
plus instables pour la charge. Finalement, celle-ci fut quand même hissée près
de la trémie salvatrice, le moteur bondit d’allégresse. Nous l’avions échappé
belle.
Au fond, si l’oncle Pierre n’avait
pas mis sa grande force pour compléter celle de mon père, cette comporte pleine
eût chuté à grand fracas, se serait disloquée et les trois-quarts de son
contenu eussent été perdus. Ce n’aurait pas été tellement tragique. Mais à
l’époque nous évitions le moindre gâchis.
L’année suivante, le petit moteur «
Bernard », trop nerveux et peu puissant, fut remplacé par son grand frère, même
marque, même modèle, mais deux ou trois tailles au-dessus, celui qui nous
servait pour l’arrosage des vignes, et qui se révéla beaucoup plus pondéré. Il
dominait tranquillement sa tâche élévatrice et fit de ce travail saisonnier un
jeu d’enfant..."
Caboujolette 2008 François Dedieu.
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