jeudi 10 octobre 2019

A RIVEL, LES COMPORTES DU BARON TROUVÉ / Les vendanges 1939 à Fleury

Suite du journal des vendanges 1939 :

"... Mardi 10 octobre (St Paulin). Le Mourre, (sur la route des Cabanes), une vigne où, une fois, le riche cousin Charles Douarche, boulanger « industriel » et propriétaire d’un grand hôtel luxueux à Rabat, s’est arrêté pour dire bonjour en ajoutant « Ne loupez pas la vente ». Le Mourre est donc vendangé de même que les quatre rangées voisines du cimetière (1). Baurène aussi y passe, vigne curieuse présentant toujours un vide, nommé volcan, où les souches refusent de vieillir.


(1) Vigne ensuite vendue à Sagné et qui va finalement disparaître lors de l’agrandissement du cimetière (la vue des Cayrols de l'autre jour laisse imaginer les vignes qui arrivaient alors jusqu'aux murs du cimetière).  

Papé Jean à la vigne du Mourre
Nous parlions "semal", "coustal", "comportes" et  il est intéressant de se demander où elles étaient fabriquées, commercialisées. Sinon, c'est la forte et profonde empreinte de l'univers de la vigne et du vin qui m'a poussé à publier la photo du charrieur de dix-huit ans que j'étais alors, comme si, sans que j'en aie la moindre idée, le monde du raisin m'inscrivait dans un lignage remontant au moins à Bacchus et Dyonisos !  Mais à cet âge-là, qu'est-ce qu'on s'en fout, on ne se doute même pas... Il en faut des années pour que la symbolique du moût et de la terre nous rattrape. Celle du bois aussi parce qu'il ne faudrait pas charrier non plus, ce sont les comportes qui nous intéressent !  



C’est sous le titre de « Tinettes ou comportes » que Claude-Joseph baron Trouvé ou plutôt baron tout trouvé de la noblesse impériale napoléonienne et Préfet de l’Aude en 1803 présente son  Essai historique sur les états généraux de la province de Languedoc, 2 volumes, 1818-1819. Il semble avoir préféré cette responsabilité loin en province aux ors de l’Empire. D’ailleurs, en 1815 il ne voudra pas suivre le retour suicidaire de l’usurpateur, ce qui lui vaudra de rester préfet de l’Aude un temps avant sa destitution par l’administration de Louis XVIII. 

Venons en au fait ! «  On désigne sous le nom de comporte une petite cuve ou vaisseau de bois qui n’est point couvert, de forme ovale, plus large par le haut que par le bas, et ayant une espèce de corne de chaque côté pour le porter… ». Précision de l’auteur : la comporte est aussi utilisée pour le transport du savon noir dans les fabriques. 

C’est à Rivel qu’on les fabrique ! dans l’Aude ! Pas loin de Puivert dont l’histoire est liée à d’autres barons du Nord (et aussi à la rupture catastrophique d’un barrage). Pas loin non plus de Sainte-Colombe-sur-l’Hers dont l’histoire est restée liée à un fameux… cassoulet ! Bref, au point de lire sur les anciennes cartes de géographie « Rivel de las semals » même si la fabrication se fait ailleurs (Nébias, Roquefeuil, Quillan). 

C’est le bois de sapin qui est utilisé. Les forêts voisines y pourvoient à hauteur de 200 arbres chaque année qui doivent se fendre droit (comme pour les bardeaux). Monsieur le préfet ajoute que cette activité peut se faire dans les zones difficiles d’accès et d’où les fûts (pour le bois de construction), difficiles à traîner, ne sortiraient qu’à bas prix ; les semaliers, en effet, font les douves sur place (en languedocien de Fleury je crois avoir entendu le terme « douelos » peut- être avec deux « l »). Les 15 qui font ce travail se chargent de tailler aussi les douves cornalières et les cerceaux de fer :

« … On appelle douve cornalière celle à laquelle, de chaque côté, tient naturellement une branche de sapin qui forme la corne… »  

Au village, ce sont 20 ouvriers semaliers qui les assemblent et les cerclent. Ils en fabriquent plus de dix-mille par an. L’unité de vente en gros est la « charge » qui correspond à 16 comportes ordinaires ou 12 comportes charretières ou 20 si elles sont destinées au transport du savon noir.
Les comportes sont vendues dans l’Aude, les Pyrénées Orientales, l’Ariège, la Haute-Garonne, le Tarn et l’Hérault. 

A leur couleur claire, on remarque au moins deux comportes neuves. 

Alors pre semple (contraction de par exemple) si je m'attendais ! Un grand merci au baron Trouvé pour cet essai et certainement davantage que ce paragraphe sur les comportes de Rivel page 627 ! Avec les sapins des Pyrénées audoises, c’est le moût et la terre des semals lancées depuis l’épaule dans ma rangée de charrieur que je retrouve. Je me suis même demandé si ce n’était pas désagréable d’avoir les mains empéguées pendant des heures… Et bé non, je crois que plutôt qu’une grimace, c’était plutôt un sourire ! Les vendanges, un souvenir magnifique malgré les efforts et la fatigue… Et puis il y avait les vendangeuses ! ça compte quand on a dix-huit ans et qu'on préfère un sourire à une grimace !     

Source :
https://books.google.com/books?id=VF4bAQAAMAAJ&pg=PA627&lpg=PA627&dq=les+semaliers+de+Rivel&source=bl&ots=FoDg3Auq-8&sig=ACfU3U27hzGntsd0mg3NtxZeCQt8u4UpDw&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjose60_pDlAhUIAWMBHXbtCiEQ6AEwBnoECAQQAQ#v=onepage&q=les%20semaliers%20de%20Rivel&f=false

mercredi 9 octobre 2019

LA SEMAL, LOU COUSTAL… SEULEMENT DES COMPORTES ! / les vendanges à Fleury.


"... Lundi 9 octobre (St Denis, évêque). Le Courtal Cremat, sur la route de la mer. « Aqui la terro es de sabloun… » dit mon père pour souligner que le terrain n’est pas riche. Aussi y plantons-nous des raisins très colorés de rouge, afin de procurer aux autre cépages, tel l’aramon de la plaine, une couleur satisfaisante. Il s’agit donc ici du « petit bouschet ».
La fin des vendanges approche..." 
Caboujolette / 2008 / François Dedieu. 


Quelques notes encore sur le caponage :
Chaponner comme si l'ablation des glandes hormonales pour ce qui devient le chapon ou la poularde se faisait avec les dents. 
la caponada = le chaponnage
capounot-oto = petit(e) effronté, libertin, petite friponne. Frédéric Mistral / Trésor dau Felibrige.
capouneja = friponner, polissonner. Frédéric Mistral / Trésor dau Felibrige.
caponada = poton a una vendemiaira en li espotissent sus la boca lo rasim qu' oblidat de copar. (baiser à une vendangeuse en lui écrasant sur la bouche le raisin qu'elle a oublié de couper). Cantalausa
mascarar, mostar, mostejar : barbouiller le visage (Dico d'Oc Lo Congrès)

LA SEMAL, LOU COUSTAL… JAMAÏ QUE DE COUMPORTOS !

« Le coustal dous cops se balanço al pougnet de l’ome que lanço » 
(La comporte pleine se balance deux fois au poignet de l’homme qui lance) Achille Mir. 

Rien n'est plus libre que la poésie mais il vaut mieux que la comporte le soit moins et qu'elle se balance entre les deux hommes qui la chargent...

« …Un chariot de comportes.
Pour charger les comportes pleines sur le deuxième rang, on balançait aussi la comporte en comptant « un, deux, et trois). Et le 3 coïncidait avec l’arrivée de la charge sur le plateau. Un jour, Fernand Monbiéla..." (pour la suite voir https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2019/09/loncle-maurice-toumassou-fernand-et-la.html).

La semal est la comporte vide que le charrieur met en place dans une rangée centrale desservant jusqu'à six coupeurs. L'espacement entre ces récipients à remplir est fonction du rendement des souches (le terme cep reste très théorique pour tous les praticiens de la viticulture). Dans la plaine où l'aramon donne  jusqu'à un farrat (un seau) par pied, les comportes se touchent. 
Une fois pleines, elles changent et de nom et de genre : le féminin de la semal le cède au masculin du coustal et lous coustalses, il faut les charrier jusqu'au chariot ou la remorque du tracteur. 
 

Longtemps les charrieurs ont marché par paires, avec une paire de pals justement à passer sous les banes, les cornes, les cornelières des comportes ; ces pals sont dits "semaliers"... "coustaliers" eût été plus logique non ?! 
Ne chicanons pas ! Les pals ont longtemps continué à être utilisés chez les gros propriétaires qui disposaient non seulement des ouvriers mais de leurs familles, jusqu'aux enfants (couper les raisins est plus un travail de femme, d'enfant aussi sinon d'homme mais diminué par l'âge ou la santé...). 


Par contre chez les petits propriétaires où l'effectif est réduit, l'arrivée de la brouette a bien arrangé les choses, un seul homme suffisant alors à sortir la récolte. 
Sortir la récolte ! c'est bien de cela qu'il s'agit parce que s'il pleut,la brouette ne peut plus faire son office et seuls les pals semaliers d jadis peuvent sauver les efforts d'une année !