Affichage des articles dont le libellé est comporte. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est comporte. Afficher tous les articles

vendredi 11 octobre 2019

CLAIRETTE, PICPOUL, CLAIRETTE / Les vendanges 1939 à Fleury.

"... Mercredi 11 octobre (Ste Clémence). Reste le vin blanc, gardé pour la fin, comme chaque année, car il faut le pressurer tout de suite. La vigne du Baous lui est réservée. On l’atteint en prenant la route de Marmorières et en prenant ensuite à droite pour suivre, prétend-on, l’ancien chemin de Narbonne que devait prendre mon arrière-grand-mère, mamé Babelle, maman de mamé Joséphine, tante Pauline et tante Marie, épouse de Gérard Rossignol, lorsque cette dernière était souffrante à Narbonne. Et dire qu’elle y allait à pied !
Pour d’autres, le Baous, c’est la « Carrieiro Blanco », peut-être parce que le calcaire y est partout présent mais sous forme de lauzes.
Alors que les raisins noirs sont depuis longtemps dans une cuve ou un foudre, nous nous intéressons aux quelques rangées de cépages blancs qui restent : la clairette, le picpoul aux petits grains chétifs, le malvoisie venu nous apporter ses grappes divines depuis la lointaine Grèce. Ce mélange nous donne un vin blanc qui fait l’admiration des connaisseurs. et qui n’a pour rival que le muscat de derrière la maison, un muscat comme jamais je n’en dégusterai un d’aussi bon. Il faut dire que ses grappes sont cueillies très mûres, alors que les guêpes ont déjà profité de nombreux grains. Le nombre de litres sera particulièrement limité quand mon père  aura soigneusement calculé la quantité d’alcool à 90°, à ajouter pour muter l’ensemble et pour qu’aucun goût alcoolisé ne ressorte à la dégustation, ce qui est rarement le cas quand on vous sert de la carthagène…"
Caboujolette /  2008 / François Dedieu

Clairette, picpoul, muscat... des cépages déjà mentionnés par Claude-Joseph Trouvé pour les années 1803 - 1820. Concernant le muscat, les villages d'Ouveillan, Pouzols et Sainte-Valière sont les plus réputés. 

Concernant la fabrication des comportes à Rivel, si  Jean Girou, auteur de L’Itinéraire en terre d’Aude (1936), note, à propos de l'activité  « … Région industrielle qui va de Rivel à Mazamet… » il n'a pas un mot, par contre, pour le village des comportes.
Quelques échos complémentaires chez Charles, Paul, Auguste Ditandy (1826 - 1902), inspecteur d'académie à Carcassonne de 1872 à 1878.

"... Il est peu de familles de cette commune dont quelque membre n'ait exercé jadis, la profession de sémalier. Citons l'illustre Fillol lui-même et à ses côtés les Saliniés ou Courals, les Bergès,les Jean de la Jeanne, les Olive dits Pétrins, etc, tous hommes de forte trempe, de haute stature, d'une force et d'une souplesse peu communes,qualités essentielles pour faire, comme on dit, un rude sémalier, enlevant journellement ses huit comportes ordinaires.
Le sémalier, debout au chant du coq, débute par l'assemblage des douves ; il fonce ses cuves après son déjeuner et procède sur le soir à leur toilette par le polissage. Quelques grands coups de massue, frappés en cadence, achèvent le cerclage : cette ceinture en lattes de châtaignier, rehausse la blancheur de la sémal. Dès lors, elle est complète : elle ira briller dans cet état sur la place de Quarantan, aux foires d'Azillz, d'Alzonnz, de Caunes, de Lézignan, de Peyriac et de St-Maurice-de-Mirepoix. 

Rivel Les contreforts du Pays de Sault Wikimedia Commons Auteur Lucas Destrem

C'est au plus fort de l'hiver, dans les quartiers les plus reculés de la forêt, que les sémaliers exécutent leurs grands travaux. ils s'abritent la nuit dans une cabane faite en écorce de sapin, recouverte de branches sèches et de mousse. Après leur frugal repas, où les pommes de terre ont toujours les honneurs de la table, ils s'étendent tout bonnement sur de la paille ; à leurs pieds brille un immense brasier qui les réchauffe jusqu'à l'heure de leur réveil.

Jadis, auprès des Rivelois, fiers de la renommée de leur industrie, nul n'était réputé bon sémalier, connaissant à fond son métier, s'il n'avait hiverné plusieurs années consécutives au milieu des sapins, occupé à façonner un nombre déterminé de "charges de douves ou douelles, destinées à la fabrication des comportes.

[...] Moins empressés à l'office du soir, ils se réunissaient par bandes à l'hôtellerie du Cheval-Blanc, à celle du Lion-d'Or, où quelque bon quartier de mouton mitonnait pour eux dans une ample ration de haricots parfumés à l'ail et au jambon..."

Passons sur le lyrisme parfois trop poussé et revenons sur ce qui est digne d'intérêt. Dans ses "Lectures variées sur le département de l'Aude", Ditandy n'a pas fait que lire sur Rivel et les Rivelois. Ceux qui connaissent les lieux pourront vérifier s'il dit juste quand il nomme huit sources ou fontaines pour nous apprendre que le dimanche, les sémaliers ne buvaient pas d'eau !
"Les verres se heurtaient sur la nappe rougie [...] Adieu, ce jour-là, le pain aigre de maïs, qui, sous le nom de tougno, a fait de tout temps la principale nourriture des ménages peu fortunés ! Avec quelles délices ils mordaient dans le pain blanc du boulanger !.." 

Note : à propos de Rivel, je voulais voir le site belcaire over-blog.com que tenait Jean-Pierre. J'apprends, même si des posts trop vagues le laissaient deviner, qu'il est décédé...  "parti si vite" à cause d'une maladie rare à laquelle on venait à peine de donner un nom. C'était un passionné et si vous aimez l'Aude et l'Ariège, avec lui vous serez servis, c'est un blog d'une richesse foisonnante même si les sémaliers de Rivel n'y figuraient pas encore.   

jeudi 10 octobre 2019

A RIVEL, LES COMPORTES DU BARON TROUVÉ / Les vendanges 1939 à Fleury

Suite du journal des vendanges 1939 :

"... Mardi 10 octobre (St Paulin). Le Mourre, (sur la route des Cabanes), une vigne où, une fois, le riche cousin Charles Douarche, boulanger « industriel » et propriétaire d’un grand hôtel luxueux à Rabat, s’est arrêté pour dire bonjour en ajoutant « Ne loupez pas la vente ». Le Mourre est donc vendangé de même que les quatre rangées voisines du cimetière (1). Baurène aussi y passe, vigne curieuse présentant toujours un vide, nommé volcan, où les souches refusent de vieillir.


(1) Vigne ensuite vendue à Sagné et qui va finalement disparaître lors de l’agrandissement du cimetière (la vue des Cayrols de l'autre jour laisse imaginer les vignes qui arrivaient alors jusqu'aux murs du cimetière).  

Papé Jean à la vigne du Mourre
Nous parlions "semal", "coustal", "comportes" et  il est intéressant de se demander où elles étaient fabriquées, commercialisées. Sinon, c'est la forte et profonde empreinte de l'univers de la vigne et du vin qui m'a poussé à publier la photo du charrieur de dix-huit ans que j'étais alors, comme si, sans que j'en aie la moindre idée, le monde du raisin m'inscrivait dans un lignage remontant au moins à Bacchus et Dyonisos !  Mais à cet âge-là, qu'est-ce qu'on s'en fout, on ne se doute même pas... Il en faut des années pour que la symbolique du moût et de la terre nous rattrape. Celle du bois aussi parce qu'il ne faudrait pas charrier non plus, ce sont les comportes qui nous intéressent !  



C’est sous le titre de « Tinettes ou comportes » que Claude-Joseph baron Trouvé ou plutôt baron tout trouvé de la noblesse impériale napoléonienne et Préfet de l’Aude en 1803 présente son  Essai historique sur les états généraux de la province de Languedoc, 2 volumes, 1818-1819. Il semble avoir préféré cette responsabilité loin en province aux ors de l’Empire. D’ailleurs, en 1815 il ne voudra pas suivre le retour suicidaire de l’usurpateur, ce qui lui vaudra de rester préfet de l’Aude un temps avant sa destitution par l’administration de Louis XVIII. 

Venons en au fait ! «  On désigne sous le nom de comporte une petite cuve ou vaisseau de bois qui n’est point couvert, de forme ovale, plus large par le haut que par le bas, et ayant une espèce de corne de chaque côté pour le porter… ». Précision de l’auteur : la comporte est aussi utilisée pour le transport du savon noir dans les fabriques. 

C’est à Rivel qu’on les fabrique ! dans l’Aude ! Pas loin de Puivert dont l’histoire est liée à d’autres barons du Nord (et aussi à la rupture catastrophique d’un barrage). Pas loin non plus de Sainte-Colombe-sur-l’Hers dont l’histoire est restée liée à un fameux… cassoulet ! Bref, au point de lire sur les anciennes cartes de géographie « Rivel de las semals » même si la fabrication se fait ailleurs (Nébias, Roquefeuil, Quillan). 

C’est le bois de sapin qui est utilisé. Les forêts voisines y pourvoient à hauteur de 200 arbres chaque année qui doivent se fendre droit (comme pour les bardeaux). Monsieur le préfet ajoute que cette activité peut se faire dans les zones difficiles d’accès et d’où les fûts (pour le bois de construction), difficiles à traîner, ne sortiraient qu’à bas prix ; les semaliers, en effet, font les douves sur place (en languedocien de Fleury je crois avoir entendu le terme « douelos » peut- être avec deux « l »). Les 15 qui font ce travail se chargent de tailler aussi les douves cornalières et les cerceaux de fer :

« … On appelle douve cornalière celle à laquelle, de chaque côté, tient naturellement une branche de sapin qui forme la corne… »  

Au village, ce sont 20 ouvriers semaliers qui les assemblent et les cerclent. Ils en fabriquent plus de dix-mille par an. L’unité de vente en gros est la « charge » qui correspond à 16 comportes ordinaires ou 12 comportes charretières ou 20 si elles sont destinées au transport du savon noir.
Les comportes sont vendues dans l’Aude, les Pyrénées Orientales, l’Ariège, la Haute-Garonne, le Tarn et l’Hérault. 

A leur couleur claire, on remarque au moins deux comportes neuves. 

Alors pre semple (contraction de par exemple) si je m'attendais ! Un grand merci au baron Trouvé pour cet essai et certainement davantage que ce paragraphe sur les comportes de Rivel page 627 ! Avec les sapins des Pyrénées audoises, c’est le moût et la terre des semals lancées depuis l’épaule dans ma rangée de charrieur que je retrouve. Je me suis même demandé si ce n’était pas désagréable d’avoir les mains empéguées pendant des heures… Et bé non, je crois que plutôt qu’une grimace, c’était plutôt un sourire ! Les vendanges, un souvenir magnifique malgré les efforts et la fatigue… Et puis il y avait les vendangeuses ! ça compte quand on a dix-huit ans et qu'on préfère un sourire à une grimace !     

Source :
https://books.google.com/books?id=VF4bAQAAMAAJ&pg=PA627&lpg=PA627&dq=les+semaliers+de+Rivel&source=bl&ots=FoDg3Auq-8&sig=ACfU3U27hzGntsd0mg3NtxZeCQt8u4UpDw&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjose60_pDlAhUIAWMBHXbtCiEQ6AEwBnoECAQQAQ#v=onepage&q=les%20semaliers%20de%20Rivel&f=false