vendredi 26 janvier 2018

OUVERTURE, ZÉNITUDE... / tourisme, cohabitation, indignation, contemplation...


 Mais n’est-ce pas la nature d’un village qui s’aime, pour le dire naïvement et sans prétention aucune, d’être en capacité d’aimer les autres ? Nous avons déjà exprimé cette ouverture aux autres en multipliant les références au voisinage, au département, à la région élargie jusqu’à sa dimension « Grand Sud », à tout ce qui fait de nous des Français solidaires, à commencer par la langue  et les épreuves subies, notamment les guerres. 

Fleury d’Aude, notre village avec ses défauts (sur ce point aussi il serait intéressant de comparer l’évolution des mentalités), accueille avec  une sympathie spontanée plus sincère et moins en façade que cette fausse amitié seulement autour du pastis que certains aigris venus d’ailleurs voudraient affirmer !  Qu’il soit dit pas trop fort mais haut que non seulement les tares dues à la consanguinité n'affectent pas une population issue de Ligures, d'Ibères, de Celtes, de Grecs, de Romains sans parler d'Hannibal remontant la côte et des Vandales dans l'autre sens et de migrations plus récentes, mais qu’en prime, en tant que station balnéaire, la fréquentation touristique nous vaut un supplément d’impôts de poids !.. Rien de négligeable même si le fiasco de la Bulle de Fleury, par la mégalomanie lamentable d’un appareil socialo d’État devant tout à François Mitterand, président de la République, nous ramena au bon vieux temps des taillables et corvéables à merci pour renflouer les millions engloutis « … payer cher le souvenir cuisant d’une gigantesque magouille » comme le confirmait, encore en 2013, le journal régional L’Indépendant.





Il faut dire que la vue, le paysage y sont pour beaucoup. Imaginez un ramasseur de tenilles[1] jusque dans les années 70 environ. Une bricole sur les reins, en reculant, il fait avancer son engin qui progresse en crabe (entre parenthèses le tenillier capture aussi des petits crabes de sable[2], de jeunes vives[3], des bernard-l’ermite, quelques rares escargots). Le mouvement est lent, régulier, accompagné de quelques mouvements verticaux sur le manche pour faire monter les coquilles et mieux faire passer l’épaisseur de sable ; une fois le coin trouvé, toujours un banc de sable qui donne à la mer un ton plus terreux, il laisse tout le loisir de penser, de rêvasser dans la contemplation d’un panorama unique sur une bonne part du Golfe du Lion. 



La Clape, le modeste massif mais qui surplombe Saint-Pierre-la-Mer empêche la vue vers le sillon audois et à droite, le Pic de Nore surnommé « le petit Ventoux[4] » au sommet ratiboisé par les souffles furieux qui font trembler l’antenne de télévision. En tirant vers le sud, le pêcheur à pied repense pourtant à Saint-Pons-de-Thomières pour les cageots de châtaignes et marrons devant La Ruche du Midi au village et aussi pour cette réserve de truites apprivoisées et grasses de tout ce que les gens lancent depuis les platanes du foirail…  Vers l’intérieur des terres, au-delà des collines aux moulins ruinés de nos voisins héraultais, se reconnait la belle dent du Caroux plantée dans les Monts de l’Espinouse : monts de granit, de bruyère, sinon de sapinières à cèpes. Sait-il que ce versant tourné vers la mer tombe vers le Jaur et l’Orb, pays de cerisiers et plus haut de châtaigniers chers à Jean-Claude Carrière[5].




[1] Telline en français, on dit aussi « haricot de mer ». En occitan tenilho ou tellino. La lame du tenillier (rateau ou drague à tenilles) allait jusqu’à 1 mètre. Seuls les professionnels (Camargue) ont aujourd’hui le droit de l’utiliser alors que pour les amateurs la dimension autorisée est de 20 cm et la taille minimale des tenilles est de 2,5 cm, diminution de la ressource oblige.
[2] Etrille élégante potumnus latipes
[3] Trachinus araneus, vive araignée d’une dizaine de centimètres en bordure de plage.
[4] Autre rapprochement avec le Ventoux, la vallée de l’Aude, l’Atax, « petit frère » du Rhône où s’engouffre le Cers, un vent aussi fort et emblématique que le Mistral…  
[5] Jean-Claude Carrière a raconté la vie entre les Avants-Monts et le Caroux dans « Le Vin Bourru » (2000). La vallée de l’Orb est aussi le pays de Michel Galabru (1922 – 2016). 


Photo Wikimedia Commons autorisée : le Jaur près d'Olargues, Author Christian Ferrer. 

mercredi 24 janvier 2018

AU FIL DU TEMPS, UN VILLAGE EN PARTAGE / Fleury en Languedoc

L’amandier aux abords du village, un village avec son identité, son rythme propre. Les saisons ont toujours commandé aux hommes autour du clocher. Après Achille Laugé, un peu des tableaux de Jean-François Millet (1814 – 1875). Un peu, pour l’intérieur des hommes car la lumière au dehors, cristal, méditerranéenne, on la doit au Cers, un maître vent à réhabiliter, absolument, à plus forte raison quand on est né sous son souffle ! 


Lien entre le passé et un jour de commémoration, le 11 novembre, en respect pour nos Poilus qui étaient aussi nos grands-pères. L’occasion aussi, d’un hommage à Pierre Dantoine de Carcassonne (1884 – 1955) pour ses dessins, à Louis Barthas (1879 – 1952) tonnelier à Peyriac-Minervois, pour ses carnets de guerre. 

On se donne ensuite rendez-vous pour Noël, une fête qui fait communier nos villageois et tout le Sud, de la Provence aux Corbières en passant par le Lauragais pour évoquer Paul Arène (1843 – 1896), Alphonse Daudet (1840 – 1897), Marcel Pagnol (1895 – 1974), Joseph Delteil (1894 – 1978), sans oublier de laisser une petite place aux auteurs plus locaux comme Alfred Cazeneuve 1923 – 2010) ou André Galaup du côté de Limoux.

Janvier est le mois du cochon, l’occasion d’aller voir tout le cérémonial de l’abattage près de Quillan avec Robert Reverdy (1908 -1999), à Lavelanet et Sorgeat (Ariège), chez Jean-Claude Carrière (1931) à Colombières-sur-Orb et jusque dans le lointain Périgord avec Fernand Dupuy (1917 – 1999). 


Fin janvier sinon février même si l’apparition merveilleuse se produit plus tard en mars ou plus rarement encore, à l’opposé, en décembre, l’amandier refleurit. Bêtes et gens, remontés par ces prémices de renouveau, voudraient accélérer le balancier de l’horloge universelle :

«  Le carnaval s’en va, les roses vont éclore […]
Tandis que, soulevant les voiles de l’aurore,
Le Printemps inquiet paraît à l’horizon… »
A la mi-carême. Alfred de Musset (1810 – 1857).

« Printemps, tu peux venir ! » fait dire Théophile Gautier au mois de mars.

A moins qu’ils ne veuillent le retenir ce balancier « … qui dit oui, qui dit non… » (J. Brel 1929 - 1978). On mange les oreillettes. Un temps indécis, entre jouissances charnelles et châtiments célestes. Le petit peuple aimerait se laisser aller sauf que les flammes de l’enfer menacent. Si salut il y a il est dans la pénitence, la mortification, l’abstinence, le jeûne… A la tentation du jambon pendu ou du pot de confit répond un confiteor résigné.  

Apothéose, libération quand reviennent les cloches de Pâques et que les gens s’égaient dans les prés, la garrigue ou le bord de mer pour fêter une saint-Loup extraordinaire, forcément sans date fixe. 


Avec les beaux jours, la nature s’offre, on goûte la guine pour Pentecôte… Noël, Carême, Pâques, Pentecôte… L’occasion, pour chacun, d’évaluer le poids de la religion suivant qu’on est né avant ou après 1965 : la croyance requiert l’adhésion, l’individu n’est plus, bon gré mal gré, sous son emprise… à condition que le troisième millénaire ne connaisse pas la barbarie ancienne des conversions forcées…  

Vers la deuxième quinzaine de juin, l’appel de la mer devient pressant. L’épicentre des envies passe du village entouré de vignes aux plages du bord de mer, derrière la Clape et ses garrigues. Dépaysement garanti au bout de neuf kilomètres à peine ! Mais c’est déjà, avec cette impression de se sentir chez soi - serions nous seulement locataires d'une planète empruntée à nos enfants - se tourner vers l’extérieur, accepter sans même se poser la question, un afflux massif d’estivants venus de toujours plus loin. 

Photos, illustrations autorisées : 
1. Pierre Dantoine. dessin d'après photo.  
2. Louis Barthas Wikimedia Commons.