jeudi 3 novembre 2016

RAISIN & VENDANGES / « ADORACIÓN » / François TOLZA / 1945.

 
EXTRAITS D’OUVRAGE « ADORACIÓN » / François TOLZA / 1945.

Si le mot « moussègne » nous donna, il y a peu, du fil à retordre, sa recherche sur l’Internet offrit un prolongement inattendu. Une recherche se lance comme on jetterait une bouteille à la mer et vu que, concomitamment, le serveur, tel un camelot, ferait tout pour ne pas que nous repartions les mains vides, nous suivons notre esquif de verre, parti, grâce à l’Aude en crue, du Golfe du Lion, à travers la Méditerranée jusqu’en Egypte, en remontant dans le temps, à y être, de 70 années bien pesées !

C’est là-bas que notre moussègne se cachait dans la centaine de pages du numéro 78 de  « La Revue du Caire », une publication de littérature et d’histoire paraissant pour sa huitième année. Entre nous, j’y ai trouvé une réclame étrange pour une huile, du genre « ménagez d’autant plus votre moteur qu’on ne sait pas quand la guerre finira » (?)... Sinon, c’est mon parti pris anachronique et décalé qui y voit une étrangeté ? Fermons la parenthèse.

La Revue du Caire propose, en feuilleton, en trois parties, « Adoración », un petit roman, 174 pages, de François Tolza, écrit entre 1941 et 1942, publié en 1945.
Cette chronique villageoise se situe en Roussillon, dans la plaine de la Salanque, peut-être à l’époque des premières caves coopératives, au début du XXeme car la première guerre mondiale n’est pas évoquée. Dans cette histoire, par contre, le rôle central des ouvriers espagnols témoigne d’un mouvement migratoire ancien et bien antérieur aux flux liés à la guerre civile en Espagne.
Et puisque les raisins et les vendanges, qui tenaient une place centrale (1) dans l’arc languedocien-catalan, viennent me reprocher de les avoir aussi oubliés, banalisés, réduits, à l’instar du monde économique, seulement à leur dimension mercantile, en cette fin octobre, avec la fin du grappillage autorisé, comme un remords confessé, je viens méditer, avec ces tableaux dyonisiaques révolus, que la réflexion « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » d’un Rabelais fervent de la dive bouteille reste d’une actualité brûlante.
En guise de tableaux dyonisiaques, des scènes de vendanges bien senties, bien rendues, qui feraient envie au premier scribouillard venu... je sais de quoi il retourne...

 
François TOLZA :
« .../... Depuis huit jours la « colle » (2) du Bagne allait et venait dans les vignes de la Plane. Chaque fois qu'arrivée au bout d'une rangée elle se rabattait pour prendre une rangée nouvelle, cela faisait un mouvement d'éventail qui se ferme et puis s'ouvre. Quarante coupeuses se penchaient vers la terre, brassaient les ceps de leurs bras habillés de sac. Derrière elles, les vignes étaient pareilles à un velours froissé. Les hotteurs venaient par derrière, le corps droit, les doigts appuyés aux bretelles de leur hotte. Ils se penchaient tantôt à gauche, tantôt à droite, recevaient les seaux en arquant les jambes pour se parer du poids, puis, la hotte pleine, sautaient deux ou trois coups, jambes pliées, afin de répartir et de consolider sur leur dos blessé, leur charge. Après quoi ils s'en retournaient, courbés et lents, pareils à des scarabées, une feuille de vigne aux dents pour oublier la douleur de leur dos, jusqu'au chemin vicinal où s'alignaient les comportes. Faustin leur désignait la comporte où ils devaient vider leur charge.../...
.../... C'était un homme fort. Il n'avait pas son pareil pour les coups de main. Il était capable de hisser jusqu'au talon de la charrette une comporte pleine, une main à chaque cornelière. Cela lui arrivait quelquefois lorsqu'il fallait faire vite, que la pluie tombait et que l'on craignait pour le degré ... Sortir une roue d'une ornière était un travail pour lequel,  disait-il, il n'y avait pas de quoi péter. Il faisait tout d'un effort lent et sûr, presque imperceptible. A le voir hisser une comporte, on ne devinait pas le moment de la plus forte tension. Une fois la chose dans  ses mains, on la voyait quitter le sol et lentement monter comme soulevée par une machine. Ce n'était pas à  cause de sa force qu'on l'avait mis à faire des comportes. Il avait un coup d'œil étonnant pour répartir les chargements. Au charretier qui revenait de la cave, de loin,  il criait :  
- Alors ? un peu plus que la dernière...   dans les 1250 ...
Le charretier ne répondait pas,  tendait le ticket rouge de la coopérative. Faustin y  jetait les yeux, souriait. La différence n'allait pas au delà de 20 kilos .../...

.../... Ce jour-là,  le train de midi avait depuis longtemps haleté derrière les collines Les coupeuses dépliaient leur dos, les unes après les  autres,  s'immobilisaient en bavardant,  dans l'attente du déjeuner. Ce n'est pas que « la colle » du Bagne fût plus vaillante que celles d'alentour. Il y avait là beaucoup de jeunesse résolue à  faire des vendanges  joyeuses, sans coups de colliers, avec des  pauses à l'heure.  Les vieilles ne formaient que l'armature, les cadres. Depuis vingt ans la Cagotte était « moussègne» (3) et elle connaissait son métier. Elle amenait tout son monde dans son sillage sans qu'il y eût jamais un grincement. A la pointe de la file, elle allait de son train régulier de femme besogneuse devant une « colle » qui avait souvent le nez en l'air. Mais, lorsque la distance se faisait par trop grande, tout bavardage cessait. Les hotteurs ne faisaient plus de plaisanteries. Les mères aidaient les jeunes qui s'empêtraient dans les feuilles. On n'entendait plus qu'un froissement de plantes, le bruit sec des sécateurs et le glissement des seaux sur les cailloux plats de la vigne.../...

.../... De sa poche, il tira, au bout du lacet de soulier qui lui servait de chaîne, la montre qui virevolta. Irma et la petite d'Angle lui bourrèrent les côtes, abattirent sur la montre leurs mains poissées, vérifièrent l'heure.
~ Voilà que tu ne sais plus voir l'heure mon pauvre Faustin.  C'est-y que tu aurais trop de travail à « quicher les comportes ? ou bien que le vin du Bagne serait trop clair ?
Elles lui mirent la montre bombée sous les yeux. Elles lui tirèrent les cheveux et les oreilles. Lui riait de bon cœur comme un enfant. Déjà les vieilles promenaient leurs hardes et leurs paniers, à la recherche de l'ombre. Aux comportes, les filles lavaient leurs mains avec des grappillons verts et durs dont le jus acide piquait les yeux. Derrière le hangar de roseaux, sous un arbre que le vent devait peigner durement l'hiver, toutes les branches en fuite vers la mer, la « colle» se rangea en rond. Ils mangeaient en silence, les jambes bien allongées sur le sol, le regard délivré. Faustin coupa une tomate, mit les deux lobes sur une large tranche de pain, arrosa le tout d'huile et de vinaigre, sala, poivra.../... 


.../... Ils étaient tous, hommes et femmes, des quatre coins de Sainte-Marie. Les premiers jours ils s'étaient sentis un peu étrangers les uns vis-à-vis des autres.  Ils avaient mesuré leurs paroles,  vérifié les images qu'ils se faisaient de chacun. Puis, très vite, les préférences avaient maçonné des groupes. On les retrouvait le long de la file des coupeuses, rassemblés aux heures de repos. Seules, deux ou trois vieilles vivaient à  l'écart, traînantes au bout de la file, sommeillantes et écrasées aux repas. Pour les autres, dont la sieste n'était pas un besoin,c'était deux heures de conversation et de délassement.../...

.../... Maintenant ils chargeaient. Debout sur le talon de la charrette, Idrou, le charretier, donnait la corde. Faustin l'enroulait deux fois autour de la cornelière, puis,  les deux mains au cul de la comporte, il poussait un ah! qui la jetait, avec fracas, sur le plancher du véhicule. Idrou la faisait louvoyer d 'une ridelle à l'autre sur le plancher gluant de grappes écrasées, l'amenait sur le devant, la calait contre les supports de fer entre lesquels couraient les chaînes. La dernière comporte monta lentement. Faustin la soutenait dans ses mains en corbeille ; puis elle s'encastra, jetée d'un bloc, sur le côté de la charrette. Idrou, d'une chaîne, ceintura la jumelée. Il n'avait pas fini de vérifier tous les crochets, que la jeunesse prenait la charrette d'assaut, logeait ses paniers, installait des brassées de feuilles sur les comportes pleines. Le charretier allait et venait des brancards au talon, passait la main sous la ventrière du limonier. Déjà loin, le vieux cheval des Bagnes amenait d'un pas fatigué, dans la jardinière cahotante, les vieilles et les mères. Un coup de fouet, l'effort brutal et silencieux des muscles attentifs, le claquement des traits sur les brancards, la morsure des roues sur la terre et l'attelage s'arrachait de la vigne. A l'ouest, le soleil était encore haut. Il pouvait être cinq heures. Des quatre coins des Planes, les « colles » affluaient vers les chemins, pressées de gagner, avant le crépuscule, la route nationale, plus sûre, où l'on était certain de trouver du secours en cas de besoin. La journée finie, les femmes enlevaient les foulards de tête, passaient leurs doigts dans leurs cheveux collés, enfouissaient au fond des paniers les tabliers sales et les espadrilles trouées. Lentes de tous leurs dos meurtris, de leurs jambes raides, elles s'en venaient vers le village.  Il faisait un vrai temps de vendanges. Quoique les matins fissent prévoir des après-midi chaudes, il y avait quelque chose dans l'air qui démentait les orages et la canicule. Dès dix heures, la campagne se dorait. Le ciel  prenait un bleu fatigué de début d'automne. A peine si les midis brûlaient aux flancs des pierres et faisaient l'air plus lourd autour des souches. On ne mangeait pas au fort des ombres, mais dans cette zone tiède à  la lisière de l'ombre et du soleil. Au ciel, pas un nuage, mais cette immobilité limpide, purifiée, de tout de qui n'est pas durable. Les soirs se teintaient d'orange, éclaboussant les vignes de verts ternis où les cépages blancs tournaient au jaune pâle.../... »
 
(1) Ne disait-on pas, à propos d’un choix important, d’une décision importante à prendre « Va veïren aprèi las vendenios ! » ? (Nous verrons après les vendanges)(F. Dedieu). 
(2) La « colle » désigne l’ensemble du personnel préposé à la récolte d’une propriété.
(3) Pour «moussègne», l’auteur indique « chef de colle ». 

PS : à tout hasard, si quelqu'un peut nous dire quelque chose sur François Tolza, l'auteur...  

photos autorisées commons wikimedia
1.  Vendanges Maestri,_Michelangelo - Busto_di_Bacco - 1850
2. Vendanges Colle de vendangeurs. Corbières
3. Vendanges Repas de vendanges dans l'Hérault vers 1900.

mercredi 2 novembre 2016

LES CORBIÈRES XVI / VERDOUBLE / Paziols... sous les feux, sous les eaux...


Au débouché des Gorges du Grau, le Verdouble aborde son troisième bassin, partagé entre Tuchan et Paziols. Malheureusement, dernièrement, début septembre, du jour au lendemain, le tableau bucolique a fait place à un paysage de désolation : en cause, un feu monstrueux ! Attisé par un vent violent, rendu plus furieux encore par une sécheresse excessive, l’incendie a ravagé les garrigues, les pins et même les vignes, coupe-feux moins efficaces qu’autrefois. Quand on sait qu’il faut un demi-siècle pour voir la nature régénérée... Et pour reconstituer un vignoble ? plus ou moins une quinzaine d’années ? C’est beaucoup dans une vie (1)... 

https://www.youtube.com/watch?v=e2UaqHFzrp4

Voilà longtemps qu’on la connait la hure de sanglier sur du carignan étoffé de grenache et de syrah. Tous nos vœux pour que la destinée de ses vins, si typiques et loyaux, se poursuive alors que la moitié des vignes du Languedoc a été arrachée (2). Et désormais, l’irrigation est subventionnée, ce qui semble paradoxal avec les faibles productions de qualité et, par ailleurs, l'évolution plus sèche du climat. 


Cette idée d’irriguer a même eu une incidence sur une affaire qui a mis ce terroir du Fitou des Hautes Corbières sous les feux de l’actualité. A Paziols plus particulièrement, les esprits se sont échauffés entre ceux qui acceptaient et ceux qui refusaient de confier à Lafarge la construction de deux lacs réservoirs. Les seconds s’opposaient surtout parce que le projet prévoyait pour le cimentier l’exploitation d’une carrière de granulats qui, au bout de trente années, aurait donné le second lac, avec, entre temps, pour la population, la pollution, les camions et rien pour la commune. Néanmoins, après deux ans de bataille, et non seulement à cause d’un lézard mis en péril par le projet, le cimentier, rendu à une vision plus raisonnable du développement durable (ce sont presque ses mots), a préféré abandonner.

Certains y verront un épisode de la lutte toujours recommencée entre les gros et les petits, l’âpre rivalité entre pots de fer et pots de terre, entre dominants insatiables et dominés rétifs. Les premiers voulant toujours garder la main pour exploiter les seconds. Ainsi, au Moyen-Âge, les moines de Fontfroide qui s’étaient rendus maîtres des moulins et ruisseaux forcèrent les Paziolais à détruire volontairement le leur de moulin, pour moudre chez eux en échange de quelques avantages dont les droits, certains jours seulement, de pêche et d’arrosage.

Ces luttes intestines, bien que chroniques, passent au second plan puisque cette zone frontière a, par définition, causé bien des malheurs. Périodes noires, sous le feu des invasions ou des guerres. Invasion des Sarrasins vers 720, qui, lorsqu’ils ne déportent pas en esclavage, soumettent à l’impôt des habitants par ailleurs obligés de travailler pour l’occupant. Incursions, durant des siècles, des troupes espagnoles qui pillent, rasent, emprisonnent et rançonnent. A partir de 1659, un mieux néanmoins, pour Tuchan et Paziols, quand le Traité des Pyrénées repousse la frontière avec l'Espagne, plus au sud.

Conflits pour l’eau, à cause de l’eau, menaces que font courir l’eau qui court et l’eau du ciel.
Le nom de Paziols viendrait du latin « paludis », signifiant marais, qui a donné « paludisme ». Un marécage occupait ce bassin qui voit le Tarassac apporter au Verdouble. Les moines de Fontfroide l’auraient asséché en creusant le Mayrat mais un lac réapparaît si un aigat (à présent on dit plutôt « épisode méditerranéen » qu’« épisode cévenol ») déverse son déluge. Les locaux, les journaux parlent d’un « lac éphémère » qui n’est sans doute pas sans rapport avec l’importance des eaux invisibles. 



« Le feu, on l’éteint mais l’eau on ne l’arrête pas » affirme le dicton. Les 12 et 13 novembre 1999 ont vu un aigat exceptionnel (3) s’abattre uniformément sur une diagonale SE-NO, des Corbières maritimes à la Montagne Noire. Le secteur qui nous intéresse, justement, a subi les crues à partir de Padern, à cause du Torgan, mais la catastrophe est surtout venue du Petit Verdouble qui passe en bas de Tuchan et de son affluent la Donneuve avec laquelle il forme le Tarassac. Les deux pics de crues furent les plus forts au confluent du ruisseau des moines, le Mayrat. 

Pour ne pas poursuivre avec une note négative s’ajoutant aux tristes épisodes dus au bellicisme si particulier à notre espèce, allons voir, à Paziols, la fontaine dite « de Cucugnan ».
Dans un banc de poudingues (4) une source, modeste mais pérenne appelée « de Pégugnan » aurait déjà intéressé les Romains. Au XIIIème, elle constitue une dot apportée à la maison de Cucugnan. Pour notre période, la fontaine a appartenu à Maître Albert Malaviale, ancien bâtonnier au barreau de Perpignan, qui en 2006, ena fait don à la mairie. Depuis, celle-ci a pris soin de nettoyer, de remettre en état le site.

Et pour une conclusion souriante tant le Verdouble est plus un miracle qu’un mirage, la brillante inspiration de Nougaro se propose.

« ... Mais si tu aimes la chanson
De son hameçon
Si tu aimes le son, le son de son âme,
Elle te servira comme un échanson
Les flots fous, les flots flous
De ses fraîches flammes... »
Au pied de chez moi, coule une rivière : Le Verdouble. Claude Nougaro.

C’est vrai que la chanson de l’illustre balladin de Paziols complète le fond sonore du « menu flot sur les cailloux ». Sa mélodie et ses mots poursuivent la rivière magique. Sur ses rives, on voit les baigneurs de l’été, les jardins, les moulins des moines, les premières caunes dont le Barran de la Mousque d’Ase qui annoncent, plus en aval, celle du séjour, sur ses bords, du plus vieil européen, l’Homme de Tautavel.
 Merveilleuse petite rivière qui nous fait rebondir de surprises en surprises et qui quitte le bassin de Paziols et Tuchan, encore avec des gorges, seraient-elles pitchounettes. 
Verdouble toujours capable de nous replonger dans son imaginaire fantastique !       

(1) lire le compte rendu de Vincent Pousson http://ideesliquidesetsolides.blogspot.com/2016/09/les-larmes-et-les-flammes.html
(2) le chiffre d’affaire de l’arboriculture dépasserait celui de la viticulture.
(3) 36 morts ou disparus, plus de 400 communes sinistrées, 14 ponts emportés, 6000 ha de vignes détruits.
(4) il est fait mention aussi d’un tènement de galets roulés propice à un vin de qualité : les poudingues du Pilou.  



photos autorisées commons wikimedia
1. Tuchan église author ArnoLagrange
2. Paziols author Frachet
3. Paziols_(France)_Vue_du_village auteur Serbus
4. Château d'Aguilar "fils de Carcassonne" author Yeza