mardi 14 octobre 2025

Le contraire de « astre » svp ? 1.

Aller manger à la mer par un beau dimanche d'octobre ne se refuse pas. 

Belle journée en effet, beau soleil, juste un petit marin contraire : à vélo ça compte. Sauf que ce plaisir se retrouve vite contesté : pauvres amandiers de la saignée crayeuse descendant dans la plaine, tous secs, morts sûrement ; la chapelle de Liesse, en bas, s'en défend au prétexte que le Ciel protège mais la paisible ambiance est trompeuse, qui pourrait encore croire qu'elle n'a rien d'une survie atone ? 

Chemin familier de notre plaine de l'Aude, tranquille, mais les petites feuilles écailleuses jaune-brun des tamaris (1) ne doivent-elles pas, elles aussi, inquiéter ? Allons, ces chevaux au pré, superbes demi-traits, immobiles à vous suivre d'un regard curieux ? Cette buse, de dos, perchée, motivée sans doute par tout ce que les chevaux attirent ? 

L'Aude au pied de la pointe nord de La Clape, en face, le domaine de La Bâtisse, rive gauche. Archive. 

Au bout, le miroir de la rivière, les grands pins sur l'autre rive, le pigeonnier au toit apparemment intact (ce n'est pas le cas sur la pente opposée) ? Allons, tout va comme avant, l'automne suite à l'été, l'astre du jour nous soutient. 
Déjà des voitures sur ce chemin en principe limité aux riverains mais si pratique pour couper vers Les-Cabanes-de-Fleury sans passer au village, beaucoup d'autos même, ensuite, sur la traverse de quelques kilomètres au pied de La Clape, rejoignant Saint-Pierre, limitée, elle, à un 30 à l'heure plus que théorique avec certains indifférents sinon hostiles aux cyclistes... Ah ! un signe des temps, la bagnole ! une pub sur trois pour de piètres solutions tout élec ou hybrides... bien qu'au prix fort ! 

Caudié d'Anglès (Rivière-le-Bas). Archive. 

Le chaudier est à niveau mais plus de massettes dans le fossé à sec, la roselière semble de toujours mais les grands roseaux ne sont pas allés au bout de leur croissance on dirait. Et, à y repenser, pas un chant, pas un oiseau. Puis l'odeur fétide de la station d'épuration, c'est bien vent d'Espagne. Quelques flaques en bordure de l'étang, plutôt relents de résurgences que restes d'un coup de mer viril. Le vieux pin “ de Moyau ”, le dernier des deux ou trois jadis : la cuisse droite pique, le genou gauche voudrait renâcler. Les vignes tests aux rangées numérotées : essais de cépages ou de chimie agressive ? Boède, qualifiée de campagne même si on dit parfois “ château ”, pour La Négly par exemple. Le petit azerolier est mort, ça ne date pas d'aujourd'hui, les figuiers pourtant font comme de rien. L'Oustalet, la campagne, “ petite maison ” pour l'étymologie, mais bâtisse au Conservatoire du Littoral du Parc Naturel Régional, un poney club, une mini ferme en face de l'alignement des logis ouvriers de soixante-cinq ans en arrière, sous la charpente. Trois vaches, retraitées, sauvées du boucher par des enchères, des ânes, enfin un au moins, les autres, des ânesses, pleines plutôt que gonflées de foin ; une douzaine de véhicules, des gens qui mangent dehors, sur les tables pique-nique. Vent de face pour finir, jambes proches de mollir. Pissevaches, une quarantaine sinon plus de camping-cars, et toujours des bagnoles. « Roulez vieillesse ! » pour parodier le leitmotiv du patron des auto-tamponneuses à la fête du village ! Ultime raidillon, descendre du vélo par manque d'entraînement, le souffle court, les jambes flappies, la plante des pieds en surchauffe... (à suivre)

(1) chez nous, on dit familièrement « tamarin », wiki dit « tamarix ». 

samedi 11 octobre 2025

La POÉSIE, ça se triture ?

Toujours dans sa lettre du 1er février 1998, en écho certainement à un petit quelque chose de ma part, papa embraye sur Paul Valéry :   

« Tu parles un peu de Paul Valéry, lui qui disait qu'un “ certain âge ” était pour l'intéressé un “ âge certain ”. je respectais certains côtés de sa pensée et de sa poésie, mais, depuis que j'avais raté sur un extrait de « La jeune Parque », un oral du Certificat d'Etudes Supérieures de Littérature Française (que j'ai quand même décroché), je l'ai regardé avec davantage de circonspection. Il a reconnu que sa poésie était parfois (?) obscure : 

« Je ne veux jamais être obscur, et quand je le suis — je veux dire : quand je le suis pour un lecteur lettré et non superficiel — je le suis par l'impuissance de ne pas l'être » (à Aimé Lafont, 1922). 

La Jeune Parque devait son obscurité à sa richesse, à ses nuances, à « l'accumulation sur un texte poétique d'un travail trop prolongé » (Lagarde et Michard XXe siècle). Voici ce que proposait Marcel Girard (1), mon dernier directeur à l'Institut Ernest Denis de Prague dans son livre « Guide illustré de la littérature moderne (de 1918 à aujourd'hui) » paru chez Seghers en 1949 et « destiné avant tout au grand public qui aime lire, et particulièrement au public étranger » : « Nous recommandons la méthode suivante : apprendre par cœur ces vers, les laisser chanter dans la mémoire : la beauté apparaît d'abord, puis le sens s'éclaire progressivement. Surtout, on lira la prose même de Valéry, une des plus belles du siècle [...] ». Un jour, dans une conférence, il expliquait sa façon de concevoir la poésie — il avait la chaire de poétique au Collège de France — et il disait en gros, je cite de mémoire, « On me reproche d'écrire des vers obscurs, mais je n'ai jamais écrit rien de plus obscur que ces vers de Musset, considérés comme magnifiques : 

« Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, 
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots. » (La Nuit de Mai) 

A cet instant, un jeune étudiant, révolté par ces propos, et idolâtre de Musset comme on l'est à dix-huit ans, s'est levé courroucé et a voulu prendre la défense du poète. 

— Venez donc ici, dit Valéry ; je vous cède la place avec honneur. 

Mais les explications furent assez lamentables. ce fut alors le maître qui les donna, en expliquant ce qu'était un chant, puis ce qu'est un sanglot, qui ne peut en aucune façon lui être comparé. Et de citer un autre vers, de Victor Hugo celui-là : 

« Cet affreux soleil noir d'où rayonnait la nuit » 

Paul Valéry (1871 - 1945) Domaine public auteur Pierre Choumoff (1872-1936)

Impensable, ajoutait-il, ce négatif est admirable ! » Et il expliquait pourquoi, mais cela m'entraîne trop loin. Tu vois que je ne suis pas comme ce visiteur qui disait sur sa tombe « Les vers se vengent ! » ». 

« Un petit quelque chose » je disais... Ça s'est étoffé depuis avec, du moins, ces articles déjà publiés : 










Finalement, pourquoi se torturer l'esprit avec la poésie, un domaine où justement il vaut mieux se laisser aller au ressenti, au sentiment, s'en tenir au « j'aime » sinon l'inverse ? Laissons les complications à ceux qui voudraient tout expliquer, jusqu'à la complexité de l'esprit. Ne jamais aller trop loin dans les explications de textes, le compliqué relevant souvent d'un principe de régurgitation laborieuse de la part de QI se voulant trop au-dessus... 

Alors oui aux « chants »  qui sont des « sanglots », oui au jeune étudiant exalté... les qualificatifs « idolâtre », « lamentables » dépassaient sûrement les pensées de papa trop partisan de Valéry... et encore oui à l' « affreux soleil noir » magnifique de Victor Hugo. 

Et puis, chez Paul Valéry, j'aime l'essayiste sur la philosophie, l'histoire, le penseur singulier, d'une hauteur de vue toujours pertinente, le poète aussi mais dans ce qu'il nous livre de sensible directement abordable, accessible, sur les quais de Sète par exemple :  

« ...je remonte le long de la chaîne de ma vie, je la trouve attachée par son premier chaînon à quelqu'un de ces anneaux de fer qui sont scellés dans la pierre de nos quais. L'autre bout est dans mon cœur... » 

Valéry Sete_monument_Valery Author Fagairolles 34

Valéry Sete_monument Author Fagairolles 34

et même sur son cimetière marin, quitte à trahir un peu, rien n'interdit de ne retenir que ce qui plaît : 

« Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
Ô récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !...

[...] Et quelle paix semble se concevoir !
Quand sur l’abîme un soleil se repose...

[...] Fermé, sacré, plein d’un feu sans matière,
Fragment terrestre offert à la lumière,
Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,
Composé d’or, de pierre et d’arbres sombres,
Où tant de marbre est tremblant sur tant d’ombres;
La mer fidèle y dort sur mes tombeaux ! ...

[...] Le vent se lève!. . . Il faut tenter de vivre!
L’air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies!
Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs ! "

Le Cimetière Marin, Paul Valéry (1920). 

Sete_tombe_Valery_(cimetiere_marin)  Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Fagairolles 34

Et n'y avait-on pas droit avec nos instituteurs et les extraits sélectionnés des manuels scolaires ? 

Toucher sans prise de tête comme dirait un vocabulaire plus actuel. La poésie, ça ne se triture pas même si ça se triture...  

(1) papa, tu aurais aimé sûrement savoir que Marcel Girard (1916-2006), Inspecteur Général de l'Éducation Nationale, professeur à Prague entre 1945 et 1951, a aussi été attaché culturel à Moscou, à Pékin... 
Né à Tours, mort à Rochecorbon juste à côté... cet attachement inconditionnel aux racines, au pays, me touche.