lundi 26 mai 2025

La MONTAGNE NOIRE (8), les cultures pauvres.

 En lieux et milieux moins favorisés, les cultures pauvres. 

Châtaigne Cévennes wikimedia commons Author historicair 29 décember 2006 UTC 15 h18

Olives 2014 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Author Ввласенко

Le châtaignier bon pour tout : le bois en charpente et menuiserie, la feuille en litières, la bogue en engrais pour les oliviers ; la châtaigne est surtout vendue à Villeneuve (Minervois), à Carcassonne, une  partie est consommée à la maison, une part équivalente destinée à faire venir les cochons (3). La châtaigneraie rapporte mais, contrairement à l'olivette, nécessite des rotations, plus de soin et de travail ; il faut renouveler les arbres, les nettoyer à la base des mauvaises herbes et autres arbustes. 

Solanum_tuberosum Atlas des plantes de France 1891 Amédée Masclef (1858-1916) Domaine Public



Champ de seigle 2005 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Author Letrek


Dans les gorges du Cabardès, la prairie plantée de châtaigniers « ...se vend, à Cabrespine, jusqu'à 10.000 francs l'hectare. » (Il n'empêche que le géographe classe le châtaignier dans les cultures pauvres...). 
De même, la superficie à pommes de terre, dont certaines variétés de renom, se loue aussi cher qu'un bon champ à céréales de la plaine. 
La culture du seigle, par contre, s'avère plus ingrate ; abandonnée pour le pain ainsi que le chaume des toitures, elle ne tient que pour un cycle triennal d'assolement (pommes de terre, seigle, jachère). 

Et le Poumaïrol aux filles joyeuses ? Bien que condamné aux cultures pauvres, à force de travail, le pays produisait des navets, des oignons, des haricots. Pour les sous, grâce aux filles, cela se passait dans le Bas-pays, la plaine de l'Aude, pour les vendanges puis, en remontant, les pommes, les châtaignes et, encore lors d'une seconde migration plus hivernale, les olives, les sarments à ramasser... Sinon, les hêtres sont redevenus taillis d'ajoncs, genêts et autres broussailles. Pourtant, trente ans en arrière, deux boulangers et un éleveur montent l'association « Le Moulin de Poumaïrol » en vue d'obtenir de la farine bio issue de blés anciens, panifiée dans le Minervois jusqu'à Béziers. Le meunier affirme qu'ils se veulent « subversifs », « militants », « autonomes », à échelle humaine, désireux d'animer le territoire. Alors, on y entendra à nouveau la chanson coquine pour la Baraquetto : 

« Las castanhas e lo vin nouvèl 
Fan dansar las filhas e lo pendorèl... » [Les châtaignes et le vin nouveau Font danser les filles et le panèl des chemises (4)]. 

(Voir, dans ce blog, la quinzaine d'articles dédiés au Poumaïrol... et à ses filles...). 

En raison d'un prétexte aussi futile, pardon d'en faire des tonnes à vrombiner autour d'André David, auteur aussi prématurément enlevé à la vie que ceint de lauriers. Moi, je ne suis qu'une mauvaise herbe. À cause de pulsions ordinaires, au nom d'un cheminement pour le moins complexe, j'en arrive à relativiser le sérieux de l'auteur à traiter géographiquement les cultures de la Montagne Noire. Qui plus est, cette proximité avec le Lauragais me soumet avec stupéfaction et tristesse à la perte soudaine de Sébastien Saffon (1974-2025)... Que disait-il de l'élevage du cochon notamment ? Que relevait-il sur le travail des paires de bœufs ? Mon tome de « Ceux de la Borde Perdue » est loin, à Mayotte, de même que le vieux gros et lourd Larousse Agricole 1951. Encore des “ découvertes ” et “ redécouvertes ”, avec la mise à l'honneur par Sébastien de la langue occitane, remises à plus tard dans le meilleur des cas... 
Foin de ces “ découvertes ” alléguées... même si de qualifier ainsi celle de Christophe Colomb ne vaut, après tout, guère mieux... 

(3) André David en sait plus long sur l'élevage du cochon : « Toute famille, dans la Montagne Noire, en possède trois ou quatre, nourris avec les déchets de cuisine; mais les gros troupeaux n'existent que dans les villages de châtaigneraie. Aussi, à Pradelles, doit-on vendre les porcelets aux gens de Labastide-Esparbairenque ou de Cabrespine; de même, sur le versant Nord : Sorèze, plus peuplée que Saint-Amans-Soult, mais privée de châtaigners (sic), a 1.000 porcs; Saint-Amans-Soult en compte plus de 2.000 ». L'auteur semble faire erreur vu que l'élevage du cochon nécessite qu'on lui cuisine, par exemple des pommes de terre, des herbes en fin d'engraissement, sans parler des châtaignes qu'il faut lui peler (réservé en principe à la famille). Sous un appentis accolé à la soue, un gros chaudron était réservé à ce travail. 

(4) dans les dicos Lagarde et Laus, le pendourèl est le pan de chemise qui pend, qui dépasse... est-ce celui des femmes ? des hommes ? Dans Lou tresor dau Felibrige, à l'entrée “ pendourèl ” Mistral ajoute « pont-levis d'une culotte »... Alors, femme ou homme, à chacun de prolonger ou non la portée du mot « pendorèl »...    


dimanche 25 mai 2025

La MONTAGNE NOIRE (7), les cultures riches.

Ah, le Poumaïrol tant restent prégnants l'effet, les répercussions suite à la “ découverte ” fortuite de ce haut pays perdu pourtant dans la modeste entité afférant à la Montagne Noire ! Quel culot de se poser là en “ découvreur ” pas même d'une invention, mais seulement pour être tombé inopinément sur un article de la revue Folklore de 1974. Encore un hasard, une de ces coïncidences qu'on se trouve forcément parce qu'on se les cherche, en ces années 70, “ ma ” “ découverte ” marquante de « La Vallée Perdue » pour tout ce qui m'a plu d'emblée et plaît toujours dans ce film : Michael Caine (1933-), le Capitaine des mercenaires, plus qu'Omar Sharif (1932-2015), le contexte de la Guerre de Trente Ans, perturbante dans ce qu'elle donne à méditer sur les horreurs des guerres pourtant si ordinairement pratiquées encore de nos jours, et quoi encore, le cadre d'une vallée montagnarde alpine épargnée, les thèmes universels écolos avant l'heure, un cours de la vie simple autarcique, lié à la ronde des saisons, sans la funeste attraction industrieuse à venir des villes, sans la pollution... Il est vrai que de vivre dans un HLM du pourtour lyonnais ne pouvait porter qu'à envier un idéal vécu par des paysans encore moyenâgeux dans un îlot de paix miraculeuse. 

Non sans un regard pour les métairies du Lauragais que Sébastien Saffon (1974-2025), parti si brutalement, faisait si bien revivre, avec André David (1893-1915), revenons à la vie paysanne d'alors. 

Paire de bœufs 2006 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Auteur Monster1000

Les paires de bœufs au labour appartiennent bien aux terres grasses d'en bas ; au-dessus de 250 mètres, seuls les replats et fonds de vallées sont capables d'offrir un mitage  de sol  plus profond «... plus argileux et plus épais, riche en potasse et soude... ». Sur les hautes terres schisteuses, cristallines, la Montagne n'est qu'un « ségala » avec surtout du seigle, des pommes de terre. Entre les deux, au Nord, une bande de blé et légumineuses, au Sud des cultures méditerranéennes là où les gorges s'élargissent, partout des prairies permettant l'élevage de bovins de bon rapport, un liseré de châtaigniers. 

Lauragais 2018 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Jean-philippe.miconi

La moindre parcelle exploitable est vouée aux cultures riches. 
Appréciés, rappelant l'opulence de la plaine, le blé, le maïs. Le blé est destiné aux boulangers de la Montagne, le maïs à l'engraissage des volailles de la famille. Au débouché des torrents du sud, sous l'étage des châtaigniers puis les restanques de vignes et olivettes, grâce aux roues à auges ou autres puisages à balanciers (les pousarancos languedociennes), en partant des rigoles d'irrigation des prairies à pommiers, on arrose les maraîchages. 
Les pommes de la Montagne Noire sont renommées jusqu'à Paris. Les amandes, pêches et figues sont consommées localement. 
Les choux dominent dans les potagers. 
Chaque paysan tient à faire son vin. 
Les oliviers ont souffert des hivers rigoureux entre 1789 et 1870 puis des maladies. 
Bien que naturelle, la prairie prétend à conclure cet ensemble. Naturelle, associée aux vergers de pommiers, elle reste en effet tributaire de l'irrigation. Les rigoles suivant les courbes de niveau, soignées, nettoyées, aux vannes révisées, les séparent du bois ou de la lande qu'elles seraient sans la main de l'homme. Elles permettent l'élevage des vaches laitières et à viande (pour, plus particulièrement, les villes de Perpignan, Marseille et Toulon). Avant 1850, leur utilité se limitait au trait, au travail (1). De bon rapport, ces prairies ont conduit à la construction de réservoirs (2) et auraient pu mener à l'édification de barrages à Cenne-Monestiès et Saissac. (à suivre)

(1) Au début du XIXe, élevées pour la viande destinée à l'armée d'Espagne de Napoléon. 

(2) de 108.000 m3 à Saint-Denis, permettant l'arrosage de 142 hectares. Moyennant une redevance de 4,50 fr/ha, un syndicat régulait la distribution d'eau.