samedi 22 mars 2025

La “ TUE-COCHON”, Jean-Claude CARRIÈRE et François DEDIEU (1)

La relecture et correction d'un projet « Un Languedoc Fleur d'Amandier » m'amènent à compléter dans la rubrique « Pauro bestio », pauvre bête à propos du cochon tué pour apporter aux humains. Jean-Claude Carrière puis mon père sont mis à contribution pour apporter un complément au sujet. 

Jean-Claude_Carrière_à_la_BNF 2008 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported2.5 Generic2.0 Generic and 1.0 Generic license.Auteur Roman Bonnefoy

À Colombières, au pied du Caroux dont on voit la dent de chez nous, Jean-Claude Carrière indique que l’élevage du cochon se pratiquait avant 1940 et qu’avec la guerre, à cause des restrictions, cela fut nécessaire, les apports en viande, charcuterie et matières grasses ne pouvant mieux tomber. Les familles s’équipèrent d’une porcherie afin d’engraisser un cochon, parfois deux. Devant la maison, dans un gros chaudron de cuivre se cuisait la ration du pensionnaire : farines, châtaignes, herbes… Le cochon reste familier, reconnaissant d’être nourri, caressant même lors de ses petites sorties dans le jardin. On le soigne avec sérieux ! C’est à qui aurait la plus belle bête de plus de deux cents kilos ! 

Même en Moravie (Rép. Tchèque) Creative Commons Attribution 2.0 Générique Auteur kitmasterbloke.

À propos d'embonpoint, une lettre (janvier 1949) de la grand-tante de François fils, Céline (1903-1988) :

« […] Chez Paule on a tué hier le deuxième porc, le premier pesait 180 K et celui d’hier 225 K. Quant à nous qui en avons un mais plus jeune, il se fait joli et doit peser dans les 150 K nous le saignerons le mois prochain d’ici là il fera quelques kilos de plus… » 

« La fèsta dal porc (seguida).

Tout jeunes, nous n’étions pas autorisés à voir saigner par le boucher, appelé pour la circonstance, la magnifique bête qui allait fournir à toute la famille tant de vivres pour de longs mois. Plus tard, j’ai imaginé le cochon pendu par ses pattes de derrière à une poutre de notre cave, solidement maîtrisé par les puissantes mains de mon père et de son oncle, notre « oncle Pierre », [...] proprement saigné par le spécialiste malgré ses cris de désespoir ; le sang recueilli jusqu’à la dernière goutte dans une bassine des plus propres. Alors, le boucher-charcutier le coupait en deux dans sa longueur, et repartait, son travail terminé.

Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai pu voir tous les détails : le cochon tué au pistolet automatique spécial qui enfonçait le crâne de l’animal et avait déjà remplacé l’antique merlin d’étourdissement de nos abattoirs de village ; l’eau très chaude versée dans l’auge impressionnante contenant le cochon devenu porc par sa mort ; la chaîne introduite sous le corps et servant à débarrasser ce dernier de ses soies ; et, une fois l’épilation terminée, le porc suspendu devant le charcutier, celui-ci coupait en deux la carcasse et pratiquait l’éviscération. Les boyaux étaient ensuite soigneusement lavés et conservés pour la fabrication de la saucisse, des saucissons et du boudin… »

CABOUJOLETTE, Pages de Vie à Fleury à Fleury-d’Aude II, 2008, François Dedieu. 

Papa




mercredi 19 mars 2025

LAGRASSE, le CARNAVAL...

Yeux et oreilles chastes, passez votre chemin...  

Encore une référence de la revue FOLKLORE, traînant dans mes brouillons... 

A Lagrasse, les moines auraient, par de mauvais exemples, inspiré des écarts de carnaval, en un latin détourné moquant la liturgie, par exemple, avec la « bito-cono ». 


L'un d'eux est désigné par le père abbé... s'agissant des Moines Paillards (1912) de José Frappa (1854-1904), anticlérical déclaré, on pourrait en déduire bien des choses... Under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Relevé par Hélène Rival en 2019

Les cornes, défenses de sanglier ou de cochon que tous les hommes mariés sont obligés d'embrasser sauf qu'on devrait l'origine de cette coutume au droit de cuissage qu'avaient les moines (en février 1684 le scindic des religieux a porté plainte contre le sieur François Ville qui a dit le 23 janvier, jour du Conseil, à propos d'un enfant exposé à la grille de l'hôpital de l'abbaye « qu'il pourrai estre de quelque religieux... » Alors les moines ? paillards ou diffamés ? et pas qu'au Moyen-Âge... 

Camembert-Abbaye-Aunay-sur-Odon-Calvados-2024 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Rundvald... Les fromages avec des moines bien portants, parfois rougeauds, sur les boîtes et emballages sont gages de produits nourrissants. Le petit peuple les dénigrait avec raison, en tant qu'exploiteurs, à l'égal des nobles... Des moines dont certains faisaient fi des privations de Carême, par exemple en considérant qu'à cause de sa queue plate à écailles, le castor pouvait être consommé...  

L'essentiel des festivités se passe en chants et danses souvent grivoises, triviales... mais plus en sous-entendus néanmoins : 

« ... Je la baise quand je veux, 
Je vous la ferai baiser à tous 
Car je n'en serai jamais jaloux (bis)... . Et l'assemblée reprend en chœur 
— Car c'est une bouteille 
D'une liqueur sans pareille !  
— [...] Abaissez-y le devant
Relevez-y le derrière... [...]
De sa complaisance (celle du maître de maison) je vous en réponds
Car vous n'irez jamais au fond... 
— [...] Elle est grosse sans malice
Elle a reçu tout son mal 
Par le trou où elle pisse... » Et l'assemblée en chœur " car c'est une bouteille... " 

Lagrasse vue vers le sud,le village à gauche (rive droite de la rivière Orbieu), à droite (rive gauche) l'abbaye Sainte-Marie. 2007  under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic license Author MartinD. 


Pour Mardi-Gras, à minuit, dans la salle de bal, ils chantent et miment la " Bito-cono ". Le chef, de sa baguette, fait épeler et lire une phrase au tableau " Il-lu-mi-na-Bito-cono-Da-mo " (c'est vrai qu'aujourd'hui on chanterait " lui, mit, la, bite, au, con [con, c'est vrai, insulte mysogine, se référant ici à la " Damo ", utilisée de nos jours dans bien des circonstances])... Même les notes, parce qu'il y a la musique, insistent sur cette paillardise : " belle noire, belle blanche, queue en haut, belle qui n'en a guère etc "

Il faudrait en rester là non ? mais comme il serait criminel de ne pas transmettre ce fond d'humanité intemporel, 340 ans quand même ! passant outre mes mœurs prudes et ma réserve naturelle, encore " La cansou das asclairés ", les fendeurs de bûches, enfarinés, portant le bonnet de coton, la chemise de femme, une hachette à la talholo, la taillole rouge : 

« Sé nous bailhats de joubé bouès 
Ou caouco pièço de résistenço
Pourtan dé pigassous esprès 
Palpan la béno amé pacienço 
La biran, la rébiran 
Nous aous l'asclan coumo la desiran... » 
Je vous laisse le soin de traduire (mais ce sera avec plaisir si vous demandez !)... un indice, la « béno », « begno » dans Lou Tresor dou Felibrige de F. Mistral, serait, la banne ou manne, ce grand panier allant par deux de chaque côté de l'échine de l'âne ou du mulet, et ils y mettent la main... Quant à “ ascler ”, c'est fendre le bois... fendre, fente... dans le contexte de carnaval, les allusions sont à la portée du premier venu. 

Lagrasse halle du XIVème s. 2012 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Auteur Inocybe. Classé dans les plus beaux villages de France, Lagrasse compte nombre de vieilles maisons, des ruelles pavés, des remparts avec la Porte de l'Eau... 

Bien sûr, entre chaque couplet (au nombre de sept), après le refrain, ils font tourner le baral, le tonnelet de vin. Le cérémonial se répétait sur les places et carrefours du village. Un seul tonnelet y suffisait-il ? 

Un témoignage transmis par D. BARBOTEU d'après un cahier dans lequel M. E. Mazet notait, le 17 mars 1926, les « Chants et danses de Carnaval, des us et coutumes de la ville de Lagrasse ». Revue FOLKLORE n°70, printemps 1953. (Par exemple pour la « Danse de la Mané », avec indications de la partition du Rondeau, ainsi que toute « La Cansou das asclaires », l'article se devant de limiter les références salaces). Même la revue Folklore s'excuse de n'avoir pu joindre « L'Air des Cornes du Mardi-gras ». 

PS : pas étonnant que le Supérieur de l'abbaye de Lagrasse ait été transformé en âne pendant sept ans pour avoir péché gravement, et dire que ce conte populaire audois, en occitan siouplèt, s'il vous plaît, figure aussi  dans un numéro de la revue FOLKLORE !