dimanche 9 mars 2025

CARNAVAL (5) années 50 et 60 à Fleury

Alors, à Fleury, village du bout de l'Aude, d'un bout du monde, le carnaval ? Vague souvenir, peut-être seulement apporté par les dires d'un aîné, de Carnaval sur le charreton des jeux du 14 juillet, jugé depuis l'estrade et voué au bûcher déjà en place sur la place du marché. Sinon, la cavalcade, plus éloignée dans sa portée bien que s'agissant de fêter l'installation de la belle saison (suite à la fin de la guerre, carnaval et cavalcade se sont confondus, le précédent article en témoigne). Plus communément, toute la mise en scène du cortège puis du jugement n'était-elle qu'une survivance ponctuelle puisque cette fête restait avant tout l'affaire de chacun et plus particulièrement des enfants impatients d'être quelqu'un d'autre derrière un masque et un déguisement. 

Deux cas de figure se présentent, soit c'est une cavalcade programmée de longue date, soit et c'est l'expression à laquelle nous nous sommes attachés, il s'agit simplement de petits groupes masqués visitant les habitants. 

Masques 1961


Les parents ont donné de quoi acheter un masque chez Odette ou madame Zan, les buralistes, sans quoi, entre cousins, on échange si ceux des années passées ont été gardés. De même pour le déguisement, de vieux habits jusqu'aux fripes et oripeaux feront l'affaire. À l'exception du rouge à lèvres et du noir de fumée, rien d'autre pour le maquillage. Armés d'uno padeno, d'une poêle (en fer de l'époque rappelant, qui sait, un temps où des nourritures roboratives étaient prisées ?), de petits groupes arpentent le village. À croiser les autres bandes, ils restent froids, silencieux : c'est que la concurrence est rude quand il s'agit d'éprouver la largesse limitée des concitoyens. Heurtoirs, cloches, en toquant, il faut sonner chez les gens, saluer, présenter la poêle en disant « Vingt sous dins la padeno ! », vingt sous dans la poêle (mon père relevait « Un sou a la padeno »... avant l'inflation sûrement... ). Cinq, dix, parfois vingt centimes (à titre de comparaison, vers 1960, la place de cinéma coûtait 70 centimes). Certaines, parce que ce sont souvent les femmes qui ouvrent, la plupart du temps la mère et la fille ; la mamé, tenant la pièce du bout des doigts, demande « Qui es-tu toi ? ». 
 
masques 1961

Masques 1961

Mes fils à Fleury 1980

samedi 8 mars 2025

CARNAVAL (4), la paille et la poutre...

«  Et chez toi, à Fleury ? c'est pas le tout de critiquer les voisins ! » 

Bien envoyé ! Et que répondre sinon que notre village a, comme les autres, subi l'usure du temps. La vie moderne en a peu à peu distendu le lien avec l'ancrage terrien. Petit à petit, le couple humain-nature a dérivé vers la séparation de corps ; tels ces racines pathétiques qui pendouillent dans un liquide nutritif, s'ils restent sensibles, aux conditions météo, égoïsme et confort personnel obligent, à force de se vouloir hors-sol, leur ressenti se limite à pouvoir sortir, à dépenser moins pour se chauffer, à se sentir mieux. 
S'ils ne dénient pas le besoin de soleil, qu'est devenu le sens profond de la saisonnalité ? l'angoisse de décembre aux nuits toujours plus prenantes ? le réconfort ensuite, aux jours toujours plus pugnaces ? Qu'en est-il, dans un Sud pionnier et favorisé, de la liesse quand l'amandier fleurit ? Et, pour carnaval, qu'en est-il de la symbolique des signes du printemps chassant l'hiver ? Mathumones de Sardaigne, sorcières d'Alsace, fous, hommes sauvages d'Allemagne, gnomes de Bâle, ours des P.O. et Pyrénées, pas plus de compassion que de pitié pour tous ces pleureurs de la méchante saison défunte ! 

Alors à Fleury ? Au moins ne pas fanfaronner, ne pas voir la paille chez les voisins. La symbolique de carnaval en a pris un coup aussi, comme chez les copains, Néanmoins, en toute modestie, avec l'âge qui l'autorise, pourquoi ne pas rappeler ce que représentait carnaval par un passé plus ou moins éloigné ? 

Extraits de Caboujolette, Pages de vie à Fleury II, 2008, auteur François Dedieu. 

Oreillettes de Titi de Fleury qui, après les crêpes de la Chandeleur, aime suivre cette tradition de carnaval... 


De la part d'une correspondante amie qui, bien qu'émigrée, tient à la tradition...  

OREILLETTES : «... À « l’hôtel » rue de la Poste, chez « Marie de l’hôtel » la mère de Georges Bonnet chez lequel tu as vendangé une année, celle à qui des jeunes réussirent une fois, il y a bien longtemps, à chiper une grande corbeille d’oreillettes (1)... ».   

ENFANTS MASQUÉS : «... Un de ceux qui tenaient à voir le visage du quêteur masqué, avant de lui glisser une pièce, c’était, racontait papé Jean qui l’avait vu faire « chez Pierre Marty » le bourrelier, Cazanave. 
« Cal sès, tu ? Te baillarei quicon se m’enlevés lou masqué et se me ba disés ». (« Qui es-tu, toi ? Je te donnerai quelque chose si tu m’enlèves le masque et si tu me le dis. »)... ». 

BALS de CARNAVAL : «... Vendredi 6 février 1948 / A Fleury, nous préparons une cavalcade pour le 7 mars, tu seras peut-être ici si tu viens au début du mois ; Louis Robert est toujours président, il y a déjà 7 ou 8 chars inscrits, à la J.A.C.F (Jeunesse Agricole Catholique auprès des Filles) Nous en ferons un, nous voulions faire les Saintes-Maries-de-la-Mer, mais Les Cabanes le font. Peyrel en ont commencé un mais on ne sait pas ce que c’est. Dimanche 8 février c’est la cavalcade de Narbonne et le 23 celle de Coursan. Tous les dimanches nous dansons chez Robert (Prola, qui, avec Gaby, avait pris en gérance le café Billès FD) ; la samba « Maria de Baïha » fait fureur, il y a beaucoup de masques tous les dimanches, il y en a davantage qui sont des gens mariés, que des jeunes gens et jeunes filles... »  

PRÉPARATIFS : «... lors des préparatifs pour carnaval, Toumassou prend place dans un cercueil (allez savoir pour quelle mascarade encore ?). Nous sommes au premier étage et ses camarades qui viennent de fermer le couvercle plaisantent et parlent de le jeter par la fenêtre :
« Eh ! fasetz pas lous couillouns ! » « Ne faites pas les couillons » se défend une voix étouffée… ». 

(à suivre)

(1) la coutume était d'en faire des kilos en une seule fois. La cuisinière en remplissait une grande corbeille à linge en osier. Certains de ces brigands ont dû la faire parler pendant qu'un ou deux autres subtilisaient la corbeille laissée « à côte », à savoir dans la salle à manger qu'on ne chauffait pas.