jeudi 10 février 2022

LE POUMAÏROL (11) Ferrals-les-Montagnes et le châtaignier de Ferrat

Roger et Serge, complices depuis des lustres, se jouent (légalement) des limites imposées par l'épidémie de covid. En décembre 2020 ils ont entrepris de monter voir un pays aussi montagneux que mystérieux, pour les filles de là-bas qui ont de toujours laissé un souvenir si pimpant aux hommes émoustillés de la plaine. Depuis Narbonne, l'itinéraire des deux amis quitte le couloir de l'Aude pour gagner les causses et les garrigues du village historique de Minerve. De là, en suivant le cañon de la Cesse, ils vont monter jusqu'aux rudes reliefs du Poumaïrol ce pays méconnu oublié dans les brumes, aux mountagnoles si vaillantes, charmantes et piquantes... 
 
Ferrals-les-Montagnes_-_Vue_générale Wikimedia Commons Author Mossot. 

 

Roger : regarde comme c'est joli, on arrive à Ferrals-les-Montagnes ! 
Serge : c'est le village de la Cesse qui prend sa source, enfin d'une des sources car la rivière vient de plus loin encore et qu'un coude au sud la fait naître sur le territoire de Cassagnoles... disons que c'est à Ferrals que le ruisseau s'appelle la Cesse. 
Roger : ah oui, on ne va pas trainer que ce cassoulet, dans les châtaigniers ou les hêtres, loin de tout, ça va être quelque chose... 
Serge : tu sais que la braise de châtaignier peut offrir des surprises : je n'oublierai jamais, d'ailleurs dans ces Avant-Monts, vers Pardailhan, pas loin d'ici à vol d'oiseau, des coquelets avec, en plus des girolles à la poêle comme pour couronner ce feu si lumineux alors que nous étions loin de tout...
Roger : en attendant les coquelets, on peut toujours rapporter quelques branches mortes. 
Serge : ce n'est pas la place qui manque... Ferrals, j'ai un copain qui venait y chercher des fossiles. 
 
Vue de Ferrals et du vallon de la Cesse vers le sud.

Roger : c'est joli, j'y suis passé en été, quand les vacanciers reviennent ouvrir les maisons de famille. Il y avait un petit marché avec des produits nature : du miel, des fromages de chèvre... Oh j'ai dépassé l'ancien tracé de la route où on peut passer la nuit, après le cassoulet... On ne risque rien même si ça me rappelle, sur la nationale 86, la route des vacances, une mère et son fils qui avaient roulé longtemps, assassinés alors qu'elle dormait un peu... 
Serge : tu te souviens de l'endroit ? 
Roger : attends, il n'y a personne, je mets les feux de détresse ; marche arrière... Voilà on sera bien là. Pour ce que je disais, je m'en souviens : la nationale bien rectifiée, laissant les anciens virages plus marqués comme autant de parkings, avec des platanes pour une ombre appréciée avec la chaleur de l'été. Vers Remoulins, à partir de Pouzilhac, ça descend en pente douce, de longues courbes et ces virages coupés ; on y a souvent fait une pause, sur la route des vacances nous aussi... 
Serge : tu aurais un nom précis, je ne trouve rien sur internet... 
Roger : je te l'ai dit "Pouzilhac", entre Bagnols-sur-Cèze et Remoulins... mais tu peux essayer Valliguières aussi... nous y sommes passés tant de fois avant que je n'obtienne ma mutation pour l'académie de Montpellier... 
Serge : oui Pouzilhac ! C'était le 16 juillet 1979 ; il y avait aussi une petite, miraculeusement épargnée... un an après, une prostituée violée et tuée, en 1983 deux sœurs attaquées à Valliguières et rien d'élucidé depuis ! 
Roger : qu'est-ce que tu veux, la vie, la mort, une question de destin et de chance... Je sors le pâté, le vin de reste...  
Serge : et ta bouteille que je veux goûter. Le cassoulet à réchauffer, à feu doux... tu as tout mis ? 
Roger : hé ça a décongelé... ça se mangera... aujourd'hui ou demain... Revenons à nos moutons, donne-moi quelque chose de plus gai, surtout que l'assassin court toujours... 
Serge : pour te rassurer, dans l'autre sens, ils parlent d'une affaire à Villeneuve-les-Avignon, pas loin : en 1987, le viol et le meurtre d'une fille de seize ans ; en 2003 suite à une bagarre et à une prise d'ADN, on retrouve le coupable, un nommé Greiner, pompier volontaire ; en 2008, condamné à perpétuité... sauf que pour ce qu'on sait de la justice en France... Sinon, pour revenir à Ferrals bien dans ses montagnes, à côté il y a un hameau, Authèze, avec une chapelle en lauzes de schiste blond, un peu ferreux peut-être... même les voutes sont appareillées avec ces pierres... et la charpente en bois au-dessus, du châtaignier peut-être... 
 
"J’entends les vieux planchers qui craquent
J’entends du bruit dans la baraque
J’entends j’entends dans le grenier
Chanter chanter mon châtaignier..."  
 
Tu le connais ? Le châtaignier de Jean Ferrat, sa montagne, la continuité de celle d'ici, finalement... 
Roger : mon père reprenait à l'occasion sa leçon de géographie sur le Massif-Central avec un rebord à l'est qui remonte loin, il aimait réciter en commençant par Nord, les noms finissant en -ais : Charolais, Mâconnais, Beaujolais, Lyonnais, Vivarais... et pour finir Cévennes... c'est vrai qu'on les fait descendre aussi bas qu'on les fait monter haut le long du Rhône. Après tout, il est rare d'entre parler des Avant-Monts dits parfois monts du Minervois...
Serge : tout comme on disait couramment au village qu'on voit les Cévennes; ici, il faut qu'on revienne, aux beaux jours, pour randonner dans le coin, j'ai déjà repéré un parcours qui ne compte que seize kilomètres... 
Roger : que seize kilomètres ! 
Serge : dans la journée, même un fainéant comme toi en est capable... c'est bon pour réduire ton tour de bedaine ! 
Roger : oh ça va toi ! parce que depuis que tu es en couple tu n'es pas à plaindre non plus... Et puis, n'oublie pas, Churchill, le cigare et "no sport..."
Serge : "whisky" qu'il aurait dit, sauf que cette phrase a été inventée... 
Roger : en attendant il est mort vieux... 
Serge : assez mal foutu, le pauvre, quand même !
Roger : si tu m'emmènes voir les filles du Poumaïrol, par contre, tu peux me faire marcher et oublier, à y être, que la vie est une plaisanterie qui finit toujours mal... 
Serge : bien sûr, animal ! couquinas va ! par le Saladou, tu connais le Saladou ? 

vendredi 28 janvier 2022

...ASPERGES VERTES, AMANDIERS BLANCS...

Non, il n'y a pas de comparaison possible entre la flopée d'amis entre guillemets des réseau sociaux et les copains de toujours du réseau du cœur, du quartier, du village. Bien sûr que la vie, en plus de ceux qui s'aiment, sépare ceux qui ont fait un bout de chemin d'enfance ensemble. Pourtant, parfois, l'informatique permet de renouer avec certains de ses camarades d'école, de ses copains du quartier. 

Nous avons joué aux billes, refait le monde à la nuit tombante, et parlé des filles, aux abords du parc de Gibert, même en hiver quand plusieurs couches d'habits arrivent mal à empêcher la froidure du Cers de pénétrer...

"... Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi
Et le vent du nord les emporte
Dans la nuit froide de l'oubli..."
chantait Montand dès le début des années 50.  

On a couru ensemble le coteau de Fontlaurier sans la peur mais sans trop approcher non plus la masure et le feu des gitans, sur l'aire devant. 

"... Chante gitan,
Ton château en Espagne.
C'est le chant des errants qui n'ont pas de frontière,
C'est l'ardente prière
De la nuit des gitans."
chantaient les Compagnons de la Chanson, et Dalida aussi (vers 1958). Je ne préméditais pas de raconter ces souvenirs en chansons mais comme elles accompagnaient et encadraient bien nos premières impressions et sensations ! 

Quelle magie quand on est gosse ! quelle impression de pays béni ce coteau de Fonlaurier ! En vis à vis, la colline du moulin, en limite le tracé ondoyant allant vers les quatre chemins, bordé tout le long, d'amandiers, de bouteilhetiers (azeroliers), de touffes de genêts, de mattes d'asperges. En haut une garriguette parfumée de thym. Tout au bout encore des moulins et le phare dans le souvenir des avions de l'Aéropostale !

Oui, il est entré loin en nous, ce coin qui nous a vu grandir. Nous y avons déterré les poireaux sauvages dans des vignes en larges terrasses, cueilli les asperges sauvages de ses hauts talus, goûté la magie de la fleur d'amandier qui réveille les abeilles pionnières et nos premiers émois d'adolescents... 

"Quand nous jouions à la marelle
Cerisier rose et pommier blanc
J'ai cru mourir d'amour pour elle
En l'embrassant..."
chantait André Claveau, toujours dans ces années 50.

Alors quand un copain de toujours, après les soixante et quelques années qui nous voient survivre aux rouleaux et remous de leurs vagues, publie, du premier bouton au diadème entier de la ramure, son premier amandier fleuri de 2022, sa première botte d'asperges, tous ces souvenirs reviennent fort : ce paysage, ses couleurs, son relief particulier, ce ciel toujours aussi bleu, l'ambiance de la vie d'alors... 

Merci Loulou de mon quartier pour ton partage sur l'Internet... On boira un coup, lou cop qué vèn, la fois prochaine, on revivra Fontlaurier, les gitans, les filles qui nous faisaient jouer à la marelle, la fleur d'amandier messagère des jours meilleurs, tant qu'on peut encore faire la nique à "la nuit froide de l'oubli"...    


Photo Loulou Jourdain (12 janvier 2022) Merci Loulou.

Photo Loulou Jourdain (12 janvier 2022) Merci Loulou.

Asperges sauvages 24 janvier 2022. Photo Loulou Jourdain aimablement prêtée comme celles qui précèdent.