dimanche 3 octobre 2021

J'AIME comme ils ont parlé des VENDANGES / 1. Christian Signol.

 Avec plus d'une quarantaine d'ouvrages depuis Les Cailloux bleus en 1984 (au moins un par an), parfois en diptyques ou trilogie pour la Rivière Espérance, Christian Signol, natif du Quercy (Les-Quatre-Routes-du-Lot), reste inspiré par ces pays plus ou moins hauts d'un ouest qu'on dit adouci du Massif Central. 

Alors quelle n'est pas ma surprise lorsque vers cinquante ans, la veine romanesque amène l'auteur sur nos terres avec Les Vignes de Sainte-Colombe tome 1 et la Lumière des Collines tome 2... Et cet intérêt qui le transporte sur le versant complètement opposé à l'océanique, marqué par la Méditerranée, loin de paraître fantaisiste, est au contraire ancré dans une motivation profonde... peut-être liée à son vécu...  

Couverture de Marc Taraskoff ?

En effet, on ne peut que saluer un travail bibliographique fourni (plus de onze références de livres) s'appuyant sur l'histoire politique et sociale, celle des crises viticoles... Rien d'anachronique dans sa prose. Bigarreau sur le gâteau, en guise d'ingrédients, un lexique fidèle à ce qui se dit en Languedoc... ne parle-t-il pas des bouffanelles, du rabassié, d'un croustet, d'une grésale, de banastes, de caraque, de cansalade, d'espoudasser, pour les mots qui me restent en mémoire ? Il y a aussi un peu d'occitan mais c'est une langue en commun en deçà et au-delà de la ligne de partage des eaux jusque du côté de Montluçon... 

Serait-ce pour dire du bien de l'écrivain, par respect pour la propriété intellectuelle, après une citation liminaire, c'est en paraphrasant pour un rendu très imparfait que je reprends l'évocation des vendanges dans Les vignes de Sainte-Colombe. 

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"Le cers avait chassé la marinade en une nuit et le soleil était revenu, aussi implacable qu'il l'avait été depuis le début de l'été." 

Les charrettes enguirlandées sont revenues de Narbonne avec les mountagnols embauchés pour les vendanges, des gens peu loquaces, gardant en soi. Le lait de vache et les fromages imprègnent les habits des hommes. Les femmes portent des jupons bouffants. Moins vifs que les locaux, ils étaient plus endurants à la tâche et ne rechignaient pas à rentrer à pied en fin de journée. A leur descente, le régisseur organise : un videur et un porteur pour une base de quatre coupeuses et autant d'ensembles, avec le personnel de la propriété et les journaliers du village, pour former une colle plus ou moins grande, menée par une mousseigne, une femme "maîtresse", de confiance, du domaine, sachant trouver le rythme accepté tant par le patron que les travailleurs. 

Sourire de celui qui va rentrer la récolte, joie des vendangeurs qui vont gagner de quoi vivre pendant quelque temps. Un matin plein d'entrain entre les cris des enfants, les chevaux qui se répondent, les roues ferrées grinçant sur l'empierrage.../... 

Si le soleil n'est pas vaillant, avec le mouillé les femmes doivent réchauffer et se frotter les mains. A huit heures le régisseur donne le signal du déjeuner (le gîte et le couvert sont compris dans le contrat). 

Dès le matin une fille se fait caponner : les garçons lui écrasent sur le visage le raisin oublié de plus de sept grains, un rituel ancien assurément machiste dans l'antagonisme accepté des sexes. Sinon les autres grappillons restent pour les nécessiteux du village, une fois que le ban du grappillage sera annoncé. 

1914. les hommes étant réquisitionnés, les femmes ne sont pas descendues de la Montagne Noire et on a fait appel aux Espagnols, plutôt en couples établis. Quelques accès de joie supplantent néanmoins la morosité du début malgré la crainte du glas pour un soldat tombé au front. La récolte fut belle mais on ne fêta pas le Dieu-le-veut cette année-là. 

1918. Beaucoup de chaleur. De nombreux Espagnols ont été embauchés tant la récolte s'annonce belle. La nature régulant la vie, une femme de Ginestas tombera enceinte ; trahi, le mari repartira sitôt arrivé en permission et mourra quelques jours plus tard, en Argonne. Et ces jeunes veuves qui ne cachent pas leur attirance pour ces hommes providentiels ? Des idylles se nouent et une villageoise laissera même ses enfants pour passer la frontière avec son nouvel amour.  

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Restent à découvrir d'autres vendanges dans le tome 2, "La Lumière des Collines", entre la terrible guerre et celle d'Algérie. 

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Les Vignes de Sainte-Colombe a obtenu le prix des lecteurs du Livre de Poche 1996. 

La Lumière des Collines a obtenu le prix des maisons de la Presse 1997.

MAYOTTE, CARTES POSTALES... Le douanier Rousseau

Au fond, quelque part derrière le rideau de verdure, loin de la plage prisée de M'tsanyuni dite aussi "Tahiti Plage".

 "GAUGUIN ET LE DOUANIER ROUSSEAU 

  L'heure du farniente sur une plage de la Baie de Boueni. Un chaos de blocs noirs borde un croissant de sable doré. L'étale de basse mer. pas un chant d'oiseau, pas un cri de roussette, juste un ruisseau qui gazouille son cours et couvre les vaguelettes du lagon. Il ne sait pas pourquoi il reste allongé, à plat ventre sur le sable : cela ne lui ressemble pas. 

Un bruissement dans la brousse épaisse, en amont de la rivière. Un faisceau de hautes herbes qui plient, s'écartent sur un passage furtif pour reboucher aussitôt la trouée. Il épie, il piste la trace au bruit, immobile sous les lobes protecteurs d'un badamier. Un drageon brutalement libéré cingle la verdure proche... Puis, rien... Le silence retombe sur un monde plombéqui, dans l'attente d'une fraîcheur espérée, ménage le souffle vital... Ça bouge à nouveau, des galets qui choquent... un clapotis intermittent à présent : quelqu'un avance à contre courant... Puis, de l'eau qu'on écope, de l'eau qui ruisselle... Des gouttes qui cloquent... Plus rien... la présence est discrète, prudente... Quelques mots fredonnés... une voix de femme... Il se lève sur les mains... Un bras relevé, replié, une épaule pleine et cuivrée : une femme au bain... La verdure cache le reste. 

Et s'il se levait ? réflexe de voyeur. Pour brusquer la baigneuse et tout gâcher ? Il se remet sur les coudes, les joues dans les paumes, méditation en esthétisme et fantasmes majeurs. l'imagination galope d'autant plus que la pulsion est bridée. Femme au bain et secret de la plastique d'un sein qu'il ne saurait voir... juste le temps d'en frémir que le film défile déjà à l'envers : un clapotis dans l'eau, plus fuyant, avec le courant, des galets s'entrechoquent, un drageon fouette l'air, les hautes herbes s'ouvrent, se referment. La nature retient son souffle. Il fait trop chaud. Soupir. Il a rêvé... 

L'instinct frustré se rendort mais la pensée vagabonde encore ; elle agrémente l'instant d'un décor de glaives, de palmes, de dentelures... Puis des tons de salade tendre panachent la végétation d'une grasse verdeur. Les tropiques se griment d'une luxuriance trompeuse, trois calices rouges, une panicule rose. Le douanier Rousseau a offert ce rideau exotique qui cache, dans la pénombre, le geste lascif d'une femme au bain, une forme chaude et galbée... un cadeau des îles signé Gauguin. 

Une risée sur la baie qui danse le réveille. Les vaguelettes du flux remontent et couvrent le murmure du ruisseau. Les oiseaux s'ébrouent, les roussettes à la toilette émergent de la torpeur. Une relative fraîcheur arrive du large. la canicule n'est plus qu'un souvenir. Ce ne fut qu'un moment suspendu par un dimanche après-midi sur la Terre."

Pourquoi ce souvenir tout à coup ?  


 Hier, une plage jadis paradisiaque aujourd'hui envahie par une flopée de bagnoles et des relents de musique mondialiste sans reliefs. Pourtant, infatigables, des jeunes tapent sur des tambours de bois et de peaux, de toutes tailles, msindrio, fumba, dori (en partant du plus grand) ; plus loin, de la cabane bambou guinguette dont la palissade doit cacher le collé-serré des danseurs, sortent des rythmes illustrant la prétendue liberté de mœurs des tropiques... et c'est vrai que je ne pouvais refouler ces lambeaux de la vie d'avant. 

Comme j'en ai bavé (je ne vaux pas grand chose et ce n'est plus de mon âge...) pour revenir de cette plage de Sohoa avec 8% de dénivelé en moyenne dont des raidillons à 33%... le sommeil m'a vite assommé sauf qu'à trois heures du matin, l'horloge interne m'a fait lever...

Le café, le gâteau à la citrouille, être bien, se sentir vivant... Ne rien demander de plus or voilà que fb me donne à admirer "Le Rêve" d'Henri Rousseau, un tableau inconnu de moi à ce jour. Hasard, coïncidence... Mon cœur a aussitôt fait boum ! Un dimanche après-midi de 1995, sur une île tropicale du Canal de "Moçambique", dans la moiteur d'une saison des pluies finissante, convaincu d'évoquer ingénument, je m'imaginais entrant dans une toile mais sans me douter qu'en 1910, un incomparable coup de pinceau avait déjà prédit ce qui devait advenir ! 

Henri Rousseau - Le Rêve - Google Art Project wikimedia commons Domaine public Author LwEt57AOdD6SGA at Google Arts & Culture

  Palpitant, sur les livres de Jules Verne et Louis Pergaud, dans un fort carton d'encyclopédie en disquettes dépassée, il attend qu'on lui donne vie ou que je meure pour y parvenir (quelle prétention !), le tapuscrit "Mayotte, cartes postales". L'épisode ne figure pas sur la table mais je sais que c'est dans le chapitre "Tourisme et géographie" que ça palpite... Page 55, bingo ! 

Sous le croissant de lune qui pâlit alors que l'aube blanchit le ciel, j'avais quand même oublié que Paul Gauguin avait remplacé la femme du douanier Rousseau par une de ses filles des îles...