mardi 18 avril 2017

UNE SAINT LOUP BIEN ARROSÉE ! / Fleury en Languedoc


Lundi de Pâques. Si à Coursan on fait « Pâquette(s) », à Fleury, comme dans bien d’autres localités de l’Aude, on fête Saint Loup. L’occasion de faire un grand pique-nique avec l’omelette ou les œufs de Pâques à l’honneur. Les familles, les groupes de jeunes s’égaient dans la garrigue, les prés, la plage ou les pins au bout de la barre de Périmont.

Saint-Pierre a tant changé depuis ces années 60. Au bout de l’échine pelée de Périmont il ne reste que quelques pins. La garrigue à kermès s’est couverte de maisons (on disait « villas » du temps où le mot marquait une certaine fortune) et de résidences. Le transformateur au bout n’existe plus. Il pointait au-dessus d’une grotte donnant, plus bas, sur une grande salle souterraine et un lac en miroir. Le courant servait à pomper l’eau que des prophètes doublés de techniciens promettaient depuis longtemps aux estivants de Saint-Pierre-la-Mer.
 

Cette fois, les copains sont venus, Georges de Narbonne, Antoine d’Ouveillan. Quant à Joël, il devait être auprès des siens, chez ses grands-parents, à Trouillas (j’ai pensé à lui, un peu troublé, avant hier, parce qu’une émission sur les amandes nous a montré un chocolatier de renom, apprenti pâtissier parce qu’il ne faisait rien à l’école, et qui replante des amandiers, si ému de la portée de son geste (1)).
 


Qu’est-ce qu’on a bien pu manger ? Je crois bien que l’amitié, le plaisir d’être ensemble ont constitué l’essentiel du menu. Le ciel est bien dégagé. C’est une belle journée, ensoleillée malgré un Cers un peu frais. Le printemps certes, mais pas un temps à se baigner. La plage est toute encombrée de ces bois flottés que l’Aude a charriés. Et concernant des jeunes qui spontanément, déconnent, qui a eu l’idée de génie ? Ce qui est sûr est que l’enthousiasme a été général ! Dans une vitalité tout à fait à l’opposé du tableau offert par les morts-vivants des rescapés de la Méduse, un radeau est assemblé : une corde, quelques mailles d’un filet déchiré, un bidon en fer à l’origine plein d’huile d’olive, un baril, un tonneau à fourrer sous une structure que les flots ont échoué, providence de robinsons, sur le sable. Mise à l’eau. Recherche d’une fragile stabilité à l’aide de perches tordues. Deux naufragés partent chercher du secours ; le troisième, resté sur la grève, agite les bras. Au début, des salutations, des encouragements puis les cris disent bien qu’il faut revenir, que le vent emporte l’esquif vers le large alors que les deux navigateurs rient à qui mieux mieux quand l’équilibre menace de les envoyer à l’eau. Bien obligés pourtant, de quitter le navire ! Antoine sans plus hésiter une fois le danger compris, Georges, plus cabochard après avoir néanmoins essayé de faire demi-tour, en jouant de sa partègue.
Déjà nos fiers marins n’avaient plus pied ! Eux partis fringants pour des courses lointaines s’en retournent rigolards de ce slip kangourou pur coton mais pendouillant, trempé, jusqu’aux genoux et qu’il faut retenir d’une main ! Et pour finir la journée à s’en taper le ventre, mes deux lascars m’envoyèrent aussi à la baille ! Nous nous sommes séchés en regardant le radeau jouer à cache-cache avant de disparaître dans le bleu foncé du Golfe du Lion. 
Merci Saint-Loup, saint patron des franches rigolades.             

(1) "Les amandes d'ici ont, en effet, une saveur incomparable pour le professionnel, mais leur approvisionnement reste complexe tant la production est minime et la filière peu ou pas organisée. Pour le chocolatier, "on n'a jamais trouvé une amande espagnole ou californienne du niveau de la française". Pour ses recettes, il recherche "un goût parfaitement stable" et c'est une variété spécifique qui le lui donne. Il s'agit de la Feragnès, réputée pour sa grosse amande au goût fin et sucré... /...
... Faire l'acquisition de culture d'amandiers est un acte militant, "un engagement indispensable à l'heure où cette filière à tendance à disparaître de France"... 
http://www.lindependant.fr/2014/08/06/des-amandiers-a-croquer-pour-le-chocolatier-patrick-roger,1915330.php 


mardi 11 avril 2017

DAUDET : ODE AU DELTA... (3) / Lettres de mon Moulin


Dans les Lettres de mon Moulin, Alphonse Daudet a su aussi mêler l’avancée grandiose du delta au tragique des destinées humaines. A Mirèio, à Magali, il associe l’Arlésienne, celle qu’on ne voit jamais alors que tout tourne autour du malheur qu’elle cause.
Daudet a sûrement eu le tort de joindre cette nouvelle à ses Lettres. 


Aux marges de la Crau, dans un mas aux micoucouliers, vit Jan, le fils de maître Estève.

«... Il s’appelait Jan. C’était un admirable paysan de vingt ans, sage comme une fille, solide et le visage ouvert. Comme il était très beau, les femmes le regardaient ; mais lui n’en avait qu’une en tête, ~ une petite Arlésienne, toute en velours et en dentelles, qu'il avait rencontrée sur la Lice d'Arles, une fois. ~ Au mas, on ne vit pas d’abord cette liaison avec plaisir. la fille passait pour coquette, et ses parents n’étaient pas du pays. Mais Jan voulait son Arlésienne à toute force; il disait :
~ Je mourrai si on ne me la donne pas. »

 


Hélas, le jour même où on officialise sa liaison, un homme demande à voir maître Estève, seul à seul. Le soir venu, le père se doit de dévoiler à Jan ce qu’il lui a appris :
«  ~  Femme, dit le ménager, en lui amenant son fils, embrasse-le ! il est malheureux... »   

Daudet a eu tort de joindre cette nouvelle à ses Lettres : elle s’inspire directement de la triste fin d’un neveu de Mistral et c’est Mistral lui même qui s’en est confié. La publication d'une intimité à ne pas mettre au grand jour pèse certainement dans le froid à venir entre les deux hommes...

Arles est à l’entrée du delta, sur le bras principal du fleuve alors que le Petit Rhône, lui, en amont de la ville, est déjà parti divaguer vers l’ouest, vers Saint-Gilles. Dans sa "lettre" « En Camargue », Alphonse Daudet nous livre quelques impressions liées au delta d’un temps où le vapeur assurait le service dès le matin :

«... Avec la triple vitesse du Rhône, de l’hélice, du mistral, les deux rivages se déroulent. d’un côté c’est la Crau, une plaine aride, pierreuse. de l’autre, la Camargue, plus verte, qui prolonge jusqu’à la mer son herbe courte et ses marais pleins de roseaux... /...
Les terres cultivées dépassées, nous voici en pleine Camargue sauvage. À perte de vue, parmi les pâturages, des marais, des roubines, luisent dans les salicornes. Des bouquets de tamaris et de roseaux font des îlots comme sur un mer calme. pas d'arbres hauts. L'aspect uni, immense, de la plaine, n'est pas troublé... /... Comme de la mer unie malgré ses vagues, il se dégage de cette plaine un sentiment de solitude, d'immensité, accru encore par le mistral qui souffle sans relâche, sans obstacle, et qui, de son haleine puissante, semble aplanir, agrandir le paysage. Tout se courbe devant lui. les moindres arbustes gardent l'empreinte de son passage, en restent tordus, couchés vers le sud dans l'attitude d'une fuite perpétuelle... »


Et sur le Vaccarès, l’étang le plus grand et le plus emblématique de la Camargue :

«... le Vaccarès, sur son rivage un peu haut, tout vert d’herbe fine, veloutée, étale une flore originale et charmante : des centaurées, des trèfles d’eau, des gentianes, et ces jolies saladelles bleues en hiver, rouges en été, qui transforment leur couleur au changement d’atmosphère, et dans une floraison ininterrompue marquent les saisons de leurs tons divers... »  


Va pour les centaurées, les gentianes maritimes mais pour les saladelles, monsieur Daudet, vos détails ne peuvent que laisser interdit un natif du delta (serait-ce celui de l’Aude) : même pour la variante audoise de la saladelle (limonium narbonense) la couleur varie du bleu au mauve pour une floraison en fin d’été ! Alors seuls des Parisiens peuvent se pâmer en imaginant des saladelles rouges, en été qui plus est ! 
 

S’il s’agit peut-être d’une confusion avec les salicornes qui rougissent mais en hiver, ce qui est sûr est qu’Alphonse Daudet, aspiré par la capitale (nous parlions de Pergaud, dernièrement, monté lui aussi à Paris), ne peut éviter l’écueil du détail inexact !
S’il a su parler néanmoins de Nîmes, de la Provence rhôdanienne, parce qu’il y a passé les neuf premières années de sa vie (et peut-être trois ans comme répétiteur au collège d’Alès après la ruine de son père alors que la famille était installée à Lyon), il n’est plus du Midi... les dernières lignes des Lettres de mon Moulin en attestent :

«... Et moi, couché dans l’herbe, malade de nostalgie, je crois voir, au bruit du tambour qui s’éloigne, tout mon Paris défiler entre les pins...
Ah ! Paris... Paris !... Toujours Paris ! »


Si l’erreur est humaine, perseverare diabolicum se doit-on d’ajouter même si, pour tout ce qu’il a su offrir de beau, notamment dans ces Lettres de mon Moulin, on ne peut que pardonner. Merci, monsieur Daudet ! 

crédit photos commons wikimedia
1. Alphonse Daudet. 
2. ferme à Arles. Paul Gauguin 1888. 
3. étang du Vaccarès attribution ShareAlike 3.0