lundi 12 mai 2014

DES CORBIÈRES A L’ARIÈGE / Encore un sermon qui vaut le déplacement.

2. Sous le col du Chioula.

    J'aime beaucoup les Alpins mais nos montagnards sont ceux des Pyrénées et si, venu du plateau jurassien, le français raffiné de Pergaud en impose, le parler des campagnes ne lui envie rien, à plus forte raison lorsqu’il offre les richesses de la langue d’Oc, souvent intraduisibles pour qui sait en apprécier les nuances.
    Et puis, le Chioula, tout en haut du Pays de Sault, prolonge l’horizon des Corbières. Le col qui joint l’Ariège et Ax-les-Termes offrait une variante forestière aux voyageurs du dimanche partis traficoter au Pas-de-la-Case, le pastis, les cigarettes et le beurre par kilos (1). Du coup, en dehors de ceux qui rappelaient un compatriote, le nom des villages sur la route ne piquait pas particulièrement la curiosité de nos excursionnistes.... bien joli déjà qu’ils appréciassent un tant soit peu la vue des montagnes et le dépaysement. Sur cette route buissonnière, justement, une fois passé le Chioula, c’est à peine si on remarque les maisons de Sorgeat. Avec Ignaux, les deux localités se partagent une laisse entre 1000 et 1200 mètres d’altitude, en bas d’une soulane dominée par l’Assaladou (1585 m) et le Pla du Mont (1705 m). C’est plus facile à trouver sur l’ordi, même par le plus grand des hasards !
    Et en attendant d’aller les rencontrer, ces fidèles, ces passionnés qui alimentent un site comme on ajoute une bûche dans l’âtre, un clic et nous y sommes, à Sorgeat.
                http://sorgeat.mvs.free.fr/index.php/homePage
    On entre même dans une maison avec une table de cèpes, dans une grange avec un chevreuil ou un sanglier pendus pour le dépeçage. Sur une autre page, que dis-je, un chapitre qu’il vaut mieux ne pas lire à jeun ! c’est le cochon, abattu, prêt lui aussi pour le débitage en longes, en large et en travers... Ne parlons pas du boudin tripou ! Bref, on n’en finit plus de tourner dans le village avec le lavoir, les fontaines où les mules chargées de rondins et "l’ase pelut" faisaient halte.   
    Plutôt que de s’en lécher les babines, il est plus que temps de tourner le regard vers le clocher-mur ouvert pour deux campanes et l’église d’où, il y a bien une centaine d’années, le père Jean de Balet a prononcé un prêche remarquable sur l’éducation des filles et la propension des hommes à banqueter trop volontiers. (Et là, c’est vrai que cela rappelle Garrigou et Dom Balaguere des Trois Messes Basses de Daudet, écrivain que nous avons évoqué récemment pour l’affaire du curé de Cucugnan..) 
   
    Narrateur et personnage principal de la pièce, Jean de Balet, curé de Sorgeat, assure la présentation, également en vers, du prône, précisant que la fête tombe à la fin de la belle saison (2). Ensuite, il brosse son portrait en quelques traits bien choisis :
«... Boun ome, familiè, plen d'esprit d'aperpaus... » (bon homme, familier, plein d'esprit d'à propos)
    En chaire, les choses commencent mal pour les élégants qui pavanent et les dames aux bras dénudés «... Que debouciou n'abets pas gaire...» (de la dévotion vous n'en avez guère).
    Concernant ses ouailles, il ne l’envoie pas dire « Quant al troupèl dount ai la gardo / N'es pas aquel qu'abio rebat, » (Quant au troupeau dont j'ai la garde, ce n'est pas celui dont j'avais rêvé).
    Il sait que les demoiselles qui se sont faites belles trépignent d’aller danser avec un cavalier du voisinage ; il fustige, surtout, ces tourtereaux qui fêtent Pâques avant Rameaux. Sinon, la mère qui couve sa jouvencelle ferait mieux de rester vigilante : prompte à aller chercher la bête qui manque à l’étable, elle devrait en faire autant pour la fille qui à minuit n’est pas au lit... Il faut garder les galines « ...Quant le rainart rodo à l'entour... » (Quand le renard rôde alentour).
    Les hommes qui croyaient encore s’en sortir à bon compte sont les derniers à charger la musette. Il promet au moins le purgatoire à ceux qui, dans la maison du Seigneur comme au café, parlent sans vergogne, de politique, de la vache menée au taureau ou de l’âne qu’on doit ferrer.
    Finalement, pour ne pas gâcher la fête des rudes montagnards à la vie pas facile, le brave curé s’adoucit. En annonçant que l’heure des vêpres sera retardée, il leur propose, non sans humour, la seule morale qu’en ce jour particulier, ils puissent comprendre : « Fasèts boumbanço / Prenèts pla souen de bostro panso... ». (faites bombance, prenez bien soin de votre panse...). 

    Mon ambition n’étant pas de vous frustrer de ce plaisir, et dans la mesure où le texte est logiquement protégé, je vous invite à lire sur le site l’intégralité de ce monologue d’anthologie avec sa traduction en français. Me concernant, c’était autour de Noël et l’hiver m’a fait singulièrement penser au toit de l’église du lieu, effondré sous le poids de la neige, en 1960.
    Oui, j’irai les voir un jour. L’auteur du site dit que Sorgeat, son village, est formidable (3) ! Loin d’émaner d’un quelconque orgueil mal placé, cette preuve d’amour pour le pays de ses aïeux est touchante. Oui, j’irai les voir un jour parce que je suis un peu de là-bas, aussi : les archives précisent qu’en 1901, c’est l’abbé Dedieu qui officiait à Sorgeat et a fait réparer l’église ! Alors ? Sûr que j’irai les voir... ils me diront si un « mièjés de blat » est la moitié d’un « capulles de blat », d’une gerbe de blé, ou si je me trompe... Je porterai du vin, de la Clape ou des Corbières...


(1) Le trajet direct passait par Carcassonne, Mirepoix, avant de remonter le cours de l’Ariège par Foix, Tarascon, Ax. Sur le trajet retour, la volante filtrait les excursionnistes, à Mérens-les-Vals, notamment. De nos jours, il reste l’attraction des stations de ski, le tourisme d’été et le Tour de France.   
(2) Jean de Balet, curé de Sorgeat, a laissé en 1915 (année de la disparition de Louis Pergaud, sujet du précédent billet) la trace écrite d’un sermon prononcé quelques vingt années auparavant. la scène se passe en septembre vu que la fête du 6 août en l’honneur de St Just et St-Pasteur, est reportée, à Sorgeat, pour cause de moissons, au dimanche qui suit le 14 septembre, date de la foire aux bestiaux d’Ax-les-Thermes.
(3) Et ne faites surtout pas de rapprochement avec ce chanteur au nord du Nord. Tant mieux pour lui et son tube mais « formidable », pour une génération plus implantée, rappelle Aznavour. Et puis, le seul « formidable » qui compte pour moi est, antérieurement à celui de Sorgeat, celui que prononce Lili des Bêlions, le copain de Marcel :
« « Il n'y a pas à dire : tu es formidable ! »
Cette admiration stupéfaite qui flattait ma vanité me parut soudain très inquiétante, et il me fallut faire un effort pour rester formidable.» page 78 / Le Château de ma Mère. Marcel Pagnol (1958).

photo : pas de cliché disponible pour Sorgeat, Ignaux, Vals en ruine ou Pragelat. Heureusement, dans les archives familiales, ces vues en noir et blanc prises avant le bac 1939 : mon père venu se mettre au vert avant les épreuves chez son copain Marcel. Un jour, à vélo depuis Belcaire, ils ont parcouru, jusqu'à Ax et retour et même si on défalque la montée en Traction avant, une cinquantaine de kilomètres (la borne qui en témoigne doit se trouver, sauf erreur, 7 kilomètres plus bas que le Chioula, du côté des Arnets et de la Calmeraie, pour ceux qui connaissent la route d'Ax...). 


 

dimanche 11 mai 2014

DES CORBIERES AU DOUBS / Encore un sermon qui vaut le détour !

  
 1. Le long du Doubs.





            Ah, si les Girondins n’avaient pas été laminés par les Montagnards, la République n’imiterait pas certains travers monarchiques dont celui faisant descendre du haut de la pyramide des principes aussi impérieux qu’irrécusables ! Sans quoi, la volonté du vivre ensemble remonterait de la base. Notre pays serait une fédération de provinces valorisées, respectées pour l’identité, la culture et éventuellement mais avant toute chose, la langue pour le moins aussi légitime que le français...
            Je m’égare car ce sentiment d’appartenance à un même pays (certains disent encore "nation"), est construit par la religion et l’Histoire qui elle, a prévu des frontières coupant des voisins pour une unité néanmoins artificielle... Ainsi, puisque nous sommes forcés de chercher des points en partage dans ces limites légales, il faudra bien trouver des traits communs en faisant fi de la géographie et du climat... Le despotisme jacobin y a veillé et le Languedocien, pour un exemple pris aussi au hasard que le nom de Cucugnan pour notre cher curé, s’est donc rapproché par force des océaniques, des continentaux, de la cuisine au beurre et des gros de Bourgogne plutôt que de nos cousins méditerranéens, de l’huile d’olive et des petits gris. Des peuples à première vue séparés par des montagnes, mais incontestablement reliés par une mer originelle !
            En vertu de quoi, vers mes onze ans, quand, en 1961 ou guère plus tard, je vis au cinéma de Fleury, le film d’Yves Robert, en bon garçonnet tuteuré et mené à la baguette par des héritiers de hussards aussi noirs que bastonneurs, je ne pouvais que penser, en suivant les campagnes de Lebrac contre L’Aztec, que tous les enfants de France se livraient aux mêmes guerres, que les boutons perdus comptaient encore autant que les cocards reçus et que la rivalité entre Salles et Fleury valait celle entre Velrans et Longeverne (1). Le grand mérite de Louis Pergaud, magnifiant la langue française et aussi ce terrible destin partagé avec ceux qui ont laissé plus que leur nom sur un monument aux morts, je n’étais pas en âge de les apprécier.
            Avec les années et une émotion pour Pergaud toujours renaissante, l’accessibilité des textes tombés dans le domaine public a renouvelé chez moi son lot de sensations exaltantes : l’une d’elles tient au Sermon Difficile, une des nouvelles parues dans le recueil posthume Les Rustiques, en 1921 (2). Dénotant la position extérieure de l’auteur franc-comtois, ce sermon ne s'appuie pas, même s'il l'effleure, contrairement à celui de l’abbé Marti, sur une logique encore inquisitive.  
            Ci-après, les extraits et citations attribuées au curé de Melotte qui répondent plus particulièrement à la problématique exposée plus haut et surtout à ma fibre languedocienne :

« Il avait marié les vieux, baptisé les jeunes, enterré les aïeuls, catéchisé des générations de moutards et malgré ses soins vigilants et sa ferme douceur, malgré toutes ces qualités, dis-je, et d’autres encore, il avait vu – son Dieu savait avec quels serrements de cœur – la foi baisser lentement comme l’eau d’un vivier dont la source est tarie, et son église, sa chère petite église, se vider peu à peu chaque dimanche... /...

... il ne s’était jamais permis, comme beaucoup de ses collègues, d’interdire aux jeunes, voire aux adultes et aux vieux, si ça leur disait, de danser à leur saoul le soir de la fête patronale et même tout autre dimanche quand la moisson était abondante ou que la vendange était bonne... /...

... Il se bornait à des recommandations anodines et à des conseils mitigés : ne buvez pas tant d’apéritifs, un verre de bon vin fait beaucoup plus de bien ; ne dites donc pas de gros mots devant les enfants, ils ont bien le temps de les apprendre tout seuls ; à quoi sert de se disputer et de s’en vouloir, nous n’avons déjà pas tant de jours à passer sur terre... / ...»

A la troisième page, Pergaud agrémente son propos d’une histoire de curé en soutane mais sans pantalon, telle que celles qui faisaient tant rire les populations villageoises d’où qu’elles soient. (3)

«... Ce qui tourmentait et désolait et retournait le curé de Melotte, c’était le dévergondage des filles et des garçons du pays... /...

... Ces enfants, sous ses yeux, perdaient leur âme, sans compter que leurs corps..., car enfin, c’est une malhonnêteté pour une jeune fille qui se marie, sinon pour un garçon, de donner comme intégral un... capital ébréché. Oui, parfaitement, c’est malhonnête !
            Si encore elles avaient fait des gosses ! Si l’une d’entre elles seulement, n’importe laquelle, avait eu un enfant, peut-être que les autres pères et mères auraient enfin ouvert l’œil. À quelque chose, malheur est bon.../...»

            La  Pentecôte approchant, le curé annonce par avance qu’il ne faudra surtout pas manquer son prône, des paroles d’autant plus pesées que les enfants aux oreilles innocentes sont présents à la messe. Après une évocation édifiante d'un déjeuner dans l'herbe au bord du Doubs, notre curé de conclure :
           
« ... Eh bien, scanda-t-il, frappant à grands coups de poing le bord de la chaire, eh bien ! mes frères, oui, oui, eh bien ! le garçon, le garçon fait sauter la nappe, fait sauter la nappe, vous m’entendez, et il grimpe sur la table... Voilà ! Voilà ! Voilà !
            Et il descendit de sa chaire, plus rouge et plus excité que jamais, les yeux lançant des éclairs et brandissant vers la nef un poing terrible et vengeur.../...»

            En confessant combien je m’en veux de m’être mis ainsi en avant (4), j’espère que la tentation pour la langue magnifique de Louis Pergaud jouera, alliant la construction ciselée d’un texte avec un fonds villageois rustique, en apparence seulement. Et puis, vous n'en avez découvert que la trame : raison de plus pour le lire, et y revenir souvent, absolument et sans modération !   

(1) La Guerre des Boutons, vous aviez deviné. 
(2) ouvrage disponible en intégralité sur
 http://www.ebooksgratuits.com/pdf/pergaud_rustiques.pdf 
(3) je pense à celle que nous racontions « J’en ai encore trois mètres sur le porte-bagages ! » sans parler de la bonne du curé qui  alimentait aussi des supputations salaces...
(4) Louis Pergaud est mort près de Marcheville-en-Woëvre, le 8 avril 1915... j’ai honte de n’avoir pas pensé à lui au jour du 99ème anniversaire de sa mort... 

Photos autorisées : wikipedia, wikimedia / images google / Le Doubs / Louis Pergaud.