mercredi 13 octobre 2021

J'AIME parce que les VENDANGES les ont marqués. 5. Jean Camp

Reprise d'un article du 24 octobre 2016 : LA CIGALO NARBOUNESO / VENDANGES.

Dans le numéro double 114-115 d'août-septembre 1927, "La Cigalo Narbouneso", un poème de Jean Camp, "La Moussenho"(orthographe d'origine).  

Jean Camp / convertimage d'après photo.

Jean Camp (1891 - 1968), l’auteur sallois connu pour ses pièces de théâtre, ses romans « Jep le Catalan », « Vin Nouveau », ses recueils de poèmes avec « Les voici revenues, Coursan, tes grandes heures...» ainsi que « Le doublidaïre » sur le mal du pays, pour ceux qui comme lui et sa famille, sont "montés à Paris"(1). 

La Moussenho.

Per tant vièlho que siogue, es lou cap de jouvent
De la colho e partits al travalh la prumièiro,
Lou pèd laugè, toujour davant, meno la tièiro
E lou darriè ferrat l’a pas visto souvent.

Ajudo as maïnajous e buto las mametos.
Sous ciseùs valentiùs coupoun aissi, ala.
Jamai boun limouniè refuso lou coula ;
Jamai bouno moussenho a roubilhat serpetos.

Fa doublida l’soulel, lous mouissals, lou banhat
Quand de sus pots risents fusoun las coutaralhos.
D’un mot viù a fissat la jouve que varalho
E sap respoundre as capounados d’un goujat.

Quand veï parpalheja proche elo las galinos
Coumo un gaujous eissam d’alos de passerats,
Se leva, se coulca as dessus das ferrats,
Uno simplo fiertat i couflo la poutrino

E quand, al vèspre, a fait soun counte de semals,
Lous rens cansats, lou cor countent, dintro al vilage,
Dejoust soun cos de sac gardo prou de courage
Per entouna ‘n couplet das darriès Carnavals. 

Jan Camp. 

Traduction proposée :

La moussègne (a).
Pour vieille qu’elle soit, elle mène l’ardeur
De la colle et part au travail la première.
Le pied léger, toujours devant, elle mène sa rangée
Et le dernier seau ne l’a pas souvent vue.

Elle aide les jeunes enfants et presse les grands-mères
Ses vaillants ciseaux coupent ici et là.
Jamais bon limonier ne refuse le collier.
Jamais bonne moussègne ne "laisse en repos" (b) ses serpettes.

Elle fait oublier le soleil, les moustiques, le mouillé
Quand de ses lèvres rieuses "elle ne veut en démordre" (c)
Elle a cinglé d’un mot vif la jeune qui papillonne
Et sait "répondre aux caponages" (d) d’un gars.

Quand elle voit, proches d’elle, voleter les calines
Comme un joyeux essaim d’ailes de passereaux
Elle se lève "comme si elle couvait" (e) les seaux
Une satisfaction lui gonflant la poitrine.

E quand le soir elle a son compte de comportes (f),
Les reins las, le cœur content, elle entre au village,
"Sous ses hardes de sac" (g), elle garde assez de courage
Pour entonner un couplet des derniers carnavals.  

(a) la meneuse, la chef des vendangeurs, celle qui donne le rythme et que personne n’a le droit de dépasser.
De mossenh n. m. (s.   XII.) monsieur (onorific) (cf. sénher)
mossénher n. m.(s.   XII.) 1.   monseigneur 2. chef de groupe de travailleurs agricoles (cf.monsenhor)
http://www.academiaoccitana.eu/diccionari/DGLO.pdf (page 422).
(b) de roupilhar : roupiller ?
(c) coutaire, acoutaire : celui qui aime soutenir le contraire (Mistral).
(d) de capounot -oto, friponneau, libertin / le caponage consiste à barbouiller par surprise les jeunes gens (plutôt les filles) qui auraient oublié un grappillon de plus de sept grains... La moussègne que l’âge et le respect dus à son rang protègent peut, à la rigueur, contrôler ces débordements à partir du moment où ils compromettraient le rendement de l’équipe.  
(e) se colcar = se coucher... Problème, le poète nous dit qu'elle se lève, se relève de sa souche... Quitte à faire un contre-sens, je propose « couver », En occitan « clocar », qui irait avec l’image des gélines ou poules. Comment un simple «l» avant ou après le «o» peut tout changer !
(f) Dans ce cas ce serait en fonction d’un rendement à tenir suivant la grosseur des grappes et ce que donnent les ceps. Quoi qu’il en soit, en fin de journée, tout le monde a son content de comportes !
(g) D’une âme charitable j’attends la proposition... 


(1) Pour en savoir davantage
http://www.la-bonne-entente-salloise.fr/salles/Jean%20Camp.pdf
et le livre du canton de Coursan (Vilatges al Pais).

2 commentaires:

  1. Bonjour.

    J’ai beaucoup apprécié votre série sur les vendanges de jadis et naguère.

    Dommage que « La Moussenho » soit entachée d’un certain nombre de contre-sens , du moins c’est ce qu’il me semble . Quel est votre avis ?
    Bonne soirée.

    Jean BOULET


    Jean Camp (1891 – 1968)

    La Moussenho.


    Per tant vièlho que siogue, es lou cap de jouvent
    De la colho e partits al travalh la prumièiro,
    = Pour si vieille qu’elle soit, c’est le chef de jeunesse

    Qui anime la colle et elle part au travail la première.

    Cap de jovent : c’est un garçon reconnu par la jeunesse d’un village comme leur chef pour animer les fêtes. Ce serait maintenant le président d’un comité des fêtes fait des jeunes non encore mariés …

    E lou darriè ferrat l’a pas visto souvent.
    = Et son seau, on ne l’a pas souvent vu le dernier.

    Le dernier seau c’est celui de la coupeuse qui termine sa rangée la dernière.

    Jamai bouno moussenho a roubilhat serpetos.
    = Jamais bonne mousseigne n’a laissé rouiller les serpettes.

    ( rovilhar = rouiller).


    Quand de sus pots risents fusoun las coutaralhos.
    = Quand de ses lèvres rieuses fusent les blagues.
    (contaralhas = blagues, histoires drôles, histoires brèves)


    Quand veï parpalheja proche elo las galinos
    Coumo un gaujous eissam d’alos de passerats,
    Se leva, se coulca as dessus das ferrats,
    Uno simplo fiertat i couflo la poutrino
    = Quand elle voit voleter près d’elle les calines
    Tel un joyeux essaim d’ailes de passereaux,

    Se relever, s’abaisser au-dessus des seaux,

    Une simple fierté lui gonfle la poitrine

    - se leva, se coulca, ce sont des infinitifs, les coupeuses se penchent sur le seau, relèvent la tête alternativement et les deux verbes traduisent parfaitement cette alternance.

    - la calina = la caline, coiffe des travaux de la vigne ( la pronociation locale en fait un homonyme de galina = la poule)




    E quand, al vèspre, a fait soun counte de semals,
    Lous rens cansats, lou cor countent, dintro al vilage,
    Dejoust soun cos de sac gardo prou de courage
    Per entouna ‘n couplet das darriès Carnavals.

    = Et quand le soir venu, elle a son compte de comportes,
    Les reins las, le cœur content, elle rentre au village,
    Sous ses hardes de sac, elle garde assez de courage
    Pour entonner un couplet des derniers carnavals.

    - son compte de comportes : dans la plaine narbonnaise, les rendements sont assez constants et le nombre de comportes plus ou moins comparable d’un jour à l’autre jour.

    - Son còs de sac = son corps de sac. La toile de sac est utilisée par les vendangeuses pour se protéger, notamment pour les tabliers.

    L’auteur aurait-il voulu suggérer un parallèle entre vendanges et carnaval ? Entre la moussègne et le bonhomme carnaval, ce paillasse fait d’une toile de sac garnie de paille et destiné à être brûlé ou jeté à l’eau, après avoir conduit des joyeux cortèges.

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  2. Bonjour, et avant tout merci pour cet apport doublement intéressant, pour sa teneur d'abord, ensuite pour l'échange qu'il permet... Mais je ne vais pas me plaindre de la passivité ambiante, c'est déjà positif d'être lu par quelques uns (102.000 depuis le début)..

    Revenons à la moussègne. Pourquoi DOMMAGE ? Ce n'est qu'une traduction PROPOSéE, à discuter. Et tant mieux si c'est ce que nous faisons.

    * Qu'elle soit comparée au cap de jovent ne me semble pas être une erreur...

    * "Lou darrié ferrat" , N'est-ce pas l'auteur qui nous induit en erreur avec son "pas souvent" puisque la meneuse finit toujours la première ?

    * D'ACCORD : elle ne laisse pas rouiller les serpettes.

    * "de ses lèvres rieuses fusent les blagues... JE PARTAGE PRESQUE puisqu'elle a à se défendre de la jeune qui papillonne et du gars qui caponne...

    * "se leva", "se coulca" des infinitifs. ENTIèREMENT D'ACCORD.

    * "caline", "galine"... nous sommes sur la même longueur d'onde non ?

    * "sous son corps de sac" à la place de "sous ses hardes de sac" ... POURQUOI PAS...

    Pour conclure, avec l'idée de la toile de sac bourrée de paille, nous partageons, je crois, l'idée du carnaval au sein des vendanges.

    Un grand merci pour cet échange que j'aurais bien accompagné de "castagnos et de vin nouvel"... J'ai pensé à vous en évoquant la Côte Chalonnaise à propos de Clavel...

    Bonne journée, JFDedieu.

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