Nous parlions de ces repas de famille qui nous regroupaient, suivant les saisons, à l’occasion de réjouissances locales ou liées à la destinée de chacun au sein des familles. Le dimanche, les grands-parents réunissaient enfants et petits-enfants. A l’échelle du village, du terroir, du pays, plus espacées dans le temps, les fêtes laïques, chrétiennes, voire païennes, de même que des aubaines fortuites, comme un gros lot à la tombola ou au loto... piòta, romb clavelat o lop (2), sinon un sanglier à la chasse (rares à l’époque), rassemblaient un cercle élargi aux oncles et tantes (3) d’un cousinage moins direct.
Jusque là, tout se passait, en principe, à la maison. Pour les étapes plus solennelles de la vie de chacun : baptêmes, communions, mariages, noces d’or, parents et alliés de loin étaient invités, du moins ceux avec lesquels, justement, par le biais de ces fêtes-là, on n’avait pas coupé. Ces réjouissances pouvaient se passer chez soi, quitte à embaucher des cordons bleus du voisinage, à installer des plateaux et tréteaux à la cave... Néanmoins, à cause du nombre de convives, de la tournure moins rustique des « repas » (étrange cette façon modeste et banale de parler de festins !) (4), de l’usage aussi, plus fréquent, de l’argent liquide, avec le temps, le menu de ces réjouissances fut plus souvent négocié au restaurant (5).
Ces fêtes qui avaient le grand mérite de resserrer les liens, de situer chacun dans la généalogie des aïeux, favorisaient des apartés sur l’itinéraire, le devenir des uns et des autres, soit autant de confidences et indiscrétions appelées à être divulguées, dès le lundi, dans chaque clan. Force commentaires aussi fleurissaient sur le menu, la finesse, la succulence des recettes, comme en réponse au plaisir escompté, rebattu entre tous, des jours et des semaines avant l’événement. Tous devaient revenir aussi, même si, avec l’érosion des jours qui passent, ne restent que les souvenirs singuliers, remarquables, les tirades les plus épiques, sur les scènes, les bons mots, les rebondissements que la réunion de famille faisait éclore. Et comme nombreux étaient ceux qui avaient retenu des banquets passés, l’air d’un tel, la voix d’un second, la gouaille de tel autre, le talent de conteur d’un quatrième, un florilège de morceaux de bravoure (6) apportait un bouquet final au repas.
Et ce samedi 2 août 2014, celui de la bouillabaisse, pardon, de l’anniversaire du patriarche, ce qui revient au même puisque c’est lui qui régalait, d’instinct sinon consciemment de sa part, grâce à lui en tout cas, après une plaisante histoire de bicyclette, un supplément d’âme est venu sublimer les plaisirs de la table. Toujours en vers, avec la déclaration d’amour de Vincèn à Mirèio, les inflexions de notre langue occitane vinrent renouveler le fil indéfectible qui nous lie aux aïeux, à notre terre, à notre ciel... (7) (8)
(1) à Fleury, dans les années 60 : la sardo (graphie Mistral) à la fin des vendanges, la fête du village pour la saint-Martin, à Noël, au mardi-gras, à Pâques, au 14 juillet, et accessoirement au 15 août.
(2) dinde, turbot ou loup (bar des côtes atlantiques).
(3) ce qui correspond aux grands-oncles et grands-tantes, les parents des cousins étant les tontons et tatis.
(4) Concernant le nombre de personnes invitées, il semble qu’il n’atteigne plus, au milieu du XXème siècle, l’importance qu’il avait cent ans plus tôt quand le sens de la famille concernait un cercle plus large, ce qui mériterait une analyse plus pointue. Pour une fête marquant les annales, un des critères reste néanmoins le décompte des convives. Pour ces "repas", on disait aussi « faire la bombe », « faire bombance ».
(5) d’abord locaux puis plus éloignés grâce à la démocratisation de l’automobile.
(6) Très appréciés même par les plus réservés, les plus bourrus de l’assistance... comme quoi, l’équilibre entre la faconde des uns et la retenue d’autres participe aussi de ces liesses en partage.
(7) « ... Es lou fial d’or que nous estaco
A nostro terro, a nostre cèl ! » Merci Jean Camp de Salles pour ton inoubliable Doublidaïre.
(8) nous n’en étions pas aux libations qui font chanter chacun à tour de rôle mais après son grand-père, Florian nous a récité deux jolis poèmes... en attendant que je lui apprenne quelques chansons... en occitan !
Ces fêtes qui avaient le grand mérite de resserrer les liens, de situer chacun dans la généalogie des aïeux, favorisaient des apartés sur l’itinéraire, le devenir des uns et des autres, soit autant de confidences et indiscrétions appelées à être divulguées, dès le lundi, dans chaque clan. Force commentaires aussi fleurissaient sur le menu, la finesse, la succulence des recettes, comme en réponse au plaisir escompté, rebattu entre tous, des jours et des semaines avant l’événement. Tous devaient revenir aussi, même si, avec l’érosion des jours qui passent, ne restent que les souvenirs singuliers, remarquables, les tirades les plus épiques, sur les scènes, les bons mots, les rebondissements que la réunion de famille faisait éclore. Et comme nombreux étaient ceux qui avaient retenu des banquets passés, l’air d’un tel, la voix d’un second, la gouaille de tel autre, le talent de conteur d’un quatrième, un florilège de morceaux de bravoure (6) apportait un bouquet final au repas.
Et ce samedi 2 août 2014, celui de la bouillabaisse, pardon, de l’anniversaire du patriarche, ce qui revient au même puisque c’est lui qui régalait, d’instinct sinon consciemment de sa part, grâce à lui en tout cas, après une plaisante histoire de bicyclette, un supplément d’âme est venu sublimer les plaisirs de la table. Toujours en vers, avec la déclaration d’amour de Vincèn à Mirèio, les inflexions de notre langue occitane vinrent renouveler le fil indéfectible qui nous lie aux aïeux, à notre terre, à notre ciel... (7) (8)
(1) à Fleury, dans les années 60 : la sardo (graphie Mistral) à la fin des vendanges, la fête du village pour la saint-Martin, à Noël, au mardi-gras, à Pâques, au 14 juillet, et accessoirement au 15 août.
(2) dinde, turbot ou loup (bar des côtes atlantiques).
(3) ce qui correspond aux grands-oncles et grands-tantes, les parents des cousins étant les tontons et tatis.
(4) Concernant le nombre de personnes invitées, il semble qu’il n’atteigne plus, au milieu du XXème siècle, l’importance qu’il avait cent ans plus tôt quand le sens de la famille concernait un cercle plus large, ce qui mériterait une analyse plus pointue. Pour une fête marquant les annales, un des critères reste néanmoins le décompte des convives. Pour ces "repas", on disait aussi « faire la bombe », « faire bombance ».
(5) d’abord locaux puis plus éloignés grâce à la démocratisation de l’automobile.
(6) Très appréciés même par les plus réservés, les plus bourrus de l’assistance... comme quoi, l’équilibre entre la faconde des uns et la retenue d’autres participe aussi de ces liesses en partage.
(7) « ... Es lou fial d’or que nous estaco
A nostro terro, a nostre cèl ! » Merci Jean Camp de Salles pour ton inoubliable Doublidaïre.
(8) nous n’en étions pas aux libations qui font chanter chacun à tour de rôle mais après son grand-père, Florian nous a récité deux jolis poèmes... en attendant que je lui apprenne quelques chansons... en occitan !
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