dimanche 7 avril 2024

MARCEL SCIPION / 3. Le Clos du Roi.

D’abord un livre sauvé des flammes... Enfin, que ce ne soit maladroit et choquant de l’exprimer ainsi car c’est un homme coincé dans son camion que les flammes menacent. Sa vie se déroule à l’envers, en accéléré ; en dépit des souffrances il se sent serein, presque libéré, tant pis s’il ne peut revoir sa femme, ses enfants. La mort desserre son emprise, il lui arrive de préserver, de prolonger la vie, un sursis, ici, pour intimer à l'intéressé qu’il a une autre façon de garder ses abeilles et moutons, mais à jamais cette fois ! 

Marcel révèle que c’est une voix qui lui reproche de n’avoir pas travaillé son don d’écriture ; Marcel a la foi, il sait que la voix vient d’en Haut. Il doute néanmoins même si l’institutrice lisait déjà ses rédactions à la classe. L’orthographe, sûrement, qui le bloque... 

À partir d'une photo de l'agence Roger-Viollet (édition Rombaldi). pardon pour ce détournement... mais comme disait Pagnol, dans l'esprit, pour ce qu'il avait adapté et copié de Giono qui avait contre-attaqué en justice : « Je n'ai pas pu m'en empêcher ! ».  


Il faut surmonter la souffrance, lui changer les idées, Christiane Vivier, professeure et amie lui apporte crayons et cahiers ; elle corrige puis tape les textes, les lui montre. Il y démontrait un vrai plaisir d’enfant. L’écriture en tant que thérapie, pas pour faire un livre... Refaire surface, rééduquer longuement ses membres, se faire à la hanche artificielle, récupérer de ses deux pieds brisés, pour que l’homme blessé espère en son futur, que l’homme nouveau revienne à une vie nouvelle. 

Il va mieux et c’est plus difficile de le persuader de finir le projet presque à terme. C’est souvent l’entourage qui pousse au livre, objet vivant, unique en cela, comme il en est d’une bonne chanson, d’un bon film... Un homme nouveau, oui, bien qu’il soit déjà monté à Paris, que, de bouche à oreille il a brillamment participé au “ Magazine des Arts Traditionnels ” de France Inter... Une déception ? Non, cela n’enlève rien au mystère de l’écrit, dans sa genèse, sa finalisation, fantasmagorique, presque ! 

Petites abeilles de Mayotte sur des morceaux de papaye confite (2014)
2015... les photos datent de dix ans en arrière. Est-ce lié à la chimie de contrebande à hautes doses que l'Europe vend à l'Afrique et qui arrive à Mayotte avec les migrants clandestins ? Inquiétant...


Nicole Ciravégna (1925-2011) raconte qu’elle le présenta un jour à son amie France Vernillat (1912-1996), à la RTF (ORTF)  de 1952 à 1974, qui le fit parler de l’apiculture sauvage d’autrefois. Le récit, parfois truculent, passa aussi sur France Culture ; un an plus tard, la productrice descendit en Provence pour persuader Scipion d’enregistrer à nouveau. Plus hésitant, Marcel se fit désirer ; à force de discuter, après promesse d’un bon déjeuner, un accord fut conclu. Sauf, et c’est là un trait de son caractère, Marcel exigea « de la daube, de grosses pâtes coudées et des œufs à la neige » ; où et qui pour cuisiner ce menu atypique ? il est seulement indiqué qu’avec l’hydromel « il était rouge comme un piment » !  Lui, coutumier de la sieste, allait-il s’écrouler ? Le micro resta branché pour des paroles plus drôles, plus piquantes encore, diffusées ensuite dans “ La vie sur le vif  ”. 

Anecdotique mais symbolique : le pain à la maison... 


Un Clos dit “ du Roi ”, un vallon où emmener les moutons l'été à transhumer. Cuire son pain à la maison, mais pas pour rigoler (cinquante kilos de farine, quinze jours de miches pour la dizaine de personnes d'une famille élargie), faire ses patates, ses choux, son miel, sa médecine même avec les limites qu'on sait, son vin, distiller son marc en fraude, braconner les sangliers, le lièvre pour qui le grand-père a réservé trente choux terribles appâts à portée de fusil lors des nuits glacées de pleine lune à « couillonner » les gendarmes... Et tout ça conté presque au coin du feu, le même foyer que celui, passé, des quatre de la famille aux douze personnes avec la tante, tonton et leurs sept gosses, suite au décès de la mère de Marcel (il n'avait que six ans)... Oh c'est rustique, presque un cliché pour citadin mal à l'aise, rêvant d'un retour impossible à la nature... Pourtant Scipion est un vrai gavot, un paysan des Basses-Alpes plutôt Hautes (depuis 1970, la nouvelle appellation « Alpes-de-Haute-Provence » étant plus appropriée). Dans la postface du Clos du Roi, Nicole Ciravégna, elle-même professeure de Lettres et écrivaine, pour beaucoup dans l’écriture du livre, dit de Marcel qu’il est « un Pagnol de la montagne ».

Comment ne pas aimer Marcel Scipion quand il raconte la soupe de sa grand-mère, la solidarité qui fait partager le cochon entre voisins, l’équilibre ancestral pour la nature de la part de l’agriculteur chasseur, fustigeant ainsi ces repeuplements protégés ne pouvant que générer des malformations. Le gaspillage non plus il n’aime pas... (mon grand-oncle Noé, comme Marcel, ne gardait-il pas toujours le cuir des chaussures pour faire, par exemple les charnières des portes du jardin ou du poulailler ?). 

J’aime Marcel pudique, qui avoue sa sensualité : « C’est émouvant, une femme qui, dans l’amour, découvre qu’elle existe... ».

J’aime Marcel pas avare de certains secrets dont celui, pour reprendre des forces, de ceinturer nu le tronc d’un chêne : « C’est une source de vie, un chêne. Et qui sait vous donner une vigueur terrible. Je le sais. Je l’ai fait ». Étonnant comme on retrouve une pratique identique chez Henri Vincenot, pourtant loin dans le Morvan...  

Comment ne pas aimer Scipion lorsque dans son introduction, il présente ainsi sa démarche :
« Ces souvenirs, j’ai pris grand plaisir à les évoquer.
Puissent-ils, lecteur, “ t’agrader ” aussi. »
Un pays, c’est une langue aussi qui régente tout un état d'esprit !   

Presque, je laisserais en plan mes mots, là, tout de suite, par fringale, gourmandise, pour vite rouvrir les pages du Clos du Roi !  

samedi 6 avril 2024

QUAND TOUT S’ÉCROULE À L’AQUEDUC ! (7ème partie) Dimanche de Pâques 31 mars 2024.

Avec l’accord plausible (1), pour Tarailhan, des frères Raymbaudi, marchands à Narbonne et G. Pagesi, pareur dans cette même ville (rue de la Parerie, non ?) et celui des frères de Malves, seigneurs de Marmorières, Amalric Ier, baron de Pérignan (2) depuis 1281, s’est vite chargé (peut-être a-t-il été autorisé par sa hiérarchie) d’assécher l’étang de Tarailhan. 

© François Dedieu / diapositive / 1967. L'Étang de Fleury vu depuis la colline de Montredon (moulin). C'est la partie que se réservait, à l'origine, Amalric Ier, seigneur de Pérignan; On remarque que le cyprès sur le route de St-Pierre, n'est plus, que les pins de la garrigue à gauche ainsi que ceux du Pech Azam à droite, sont moins envahissants qu'aujourd'hui...  

Dès cette date, pour sa possession correspondant au Nord, aux 2/3 de la surface, il passe deux contrats d’emphytéose “ centum quadraginta sestariatas de terra que nunc jacet sub aqua ”, pour cent quarante séterées de terre se trouvant alors (nunc ?) sous l’eau. Si le drainage est en rayons avec évacuation au centre comme à Montady, en éventail (comme à Canohès, Pézenas), à Pérignan il peut se comparer à un réseau foliaire (3) dont les veines donnent dans la nervure médiane principale qui poursuit le ruisseau du Cascabel traité de Cave Maîtresse. Nous retrouvons cette qualification dans le fossé mère, ruisseau de la Mairale (4), la nervure médiane principale donnant sur l’évacuation souterraine. Au moins un pont de pierre atteste d’une certaine largeur pour ce fossé. Une fois asséché, un arpenteur entreprend le bornage des nouvelles parcelles (5), en principe en suivant les fossés auxiliaires. L’entretien, les curages des fossés, le contrôle de l’état de l’aqueduc souterrain sont aussi arrêtés légalement.

En 1286, cinq ans plus tard, suite au décès du premier signataire un nouveau bail est signé “ portem stagni nunc dessicati et agotatum ” la porte de l’étang désormais (nunc ?) vidée et asséchée.

En 1321, Aymeric Ier, fils d’Amalric Ier, concède, en lots, aux Pérignanais, la part en réserve de son père (qu’il faisait travailler à son profit). Un document de 1514 fait état d’un plan avec 58 lots attribués par tirage au sort à treize intéressés.  

De la confrontation entre la future bastide de Tarailhan et le seigneur de Pérignan datent les premiers conflits ; dès 1286. les imprécisions, le statut des terres, des tenanciers, les inondations vont nourrir nombre de procès.

Début XVIIème (1610-1620, peut-être sous Charles ou Hercule de Thézan-St-Géniez alors baron) un long procès oppose Tarailhan et les tenanciers de Pérignan au seigneur : les premiers cités ne veulent plus payer de redevances sur les 140 séterées de 1281 ; ils font état de déguerpissements datant de 1377, attendu que suite à ces expulsions d’occupants illégaux qui auraient occupé des parcelles, peut-être suite à des inondations, les terres délaissées n’ont pas été concédées, les tenanciers s’estiment libres de ne plus payer ( en font-ils autant que les occupants illégaux jadis expulsés ? il est vrai que les seigneuries n’ayant plus réclamé les redevances que par intermittence, les différents tenanciers arguent que les parcelles ne seraient plus soumises au privilège de noblesse)... Le parlement de Toulouse tranchera en faveur du seigneur, un nouveau partage de l’étang se fera en 1616 (34 parcelles pour les tenanciers pérignanais).

S’il n’y a aucune preuve du drainage de l’étang durant l’Antiquité, il n’empêche que l’histoire de notre dépression aux 2/3 communale demeure des plus intéressantes. Plus de sept siècles nous séparent de l’aqueduc souterrain... quelques années entre mes assertions néanmoins plutôt formulées au conditionnel (je m’avance, affirmant cela) et le propos actuel. Bref j’ai été long à la détente, l’article du Midi-Libre de 2012 aurait dû m’alerter. Il informait que la municipalité confiait la gestion de l’aqueduc et des fossés en amont au Syndicat Mixte du Delta de l’Aude, cet entretien ne pouvant plus être assuré par l’association des propriétaires riverains (cela n’est pas sans rappeler les anciens usages...). 

Carrefour des Quatre Chemins. Sous terre, l'aqueduc vient de la droite pour, suite à un angle droit, s'engager vers le village par le chemin des Arbres blancs (en face sur la photo). 

À cette occasion, un hydrogéologue, un ingénieur (et un troisième “ larron ”) ont alors parcouru le souterrain. Contrairement à ce qui peut se dire, ils n’ont pas mentionné de ramification pour un second conduit vers le village... À partir d’où ? qui devrait remonter à contre-pente ? Avec une marteilhière à la jonction pour fermer en cas de fort débit ? ne serait-ce pas plutôt à propos du souterrain du château ? Avec la gravure sur un mur de notre église, toutes les quêtes ne peuvent que nous faire avancer...       

(1) L’étang est alors sous deux juridictions : la seigneurie de Pérignan au Nord, celle alors de Narbonne au Sud, pour Tarailhan et Marmorières (aujourd’hui Vinassan).   

(2) Fils d’Amalric Ier, vicomte (un degré de noblesse au-dessus de baron) de Narbonne, qui aurait servi en Terre Sainte (huitième croisade ?) Source Le canton de Coursan, Opération vilatges al Pais, 2005.  

L'étang asséché depuis le Pech Azam ; en bas, l'enceinte de l'ancien terrain de rugby. 

(3) La comparaison avec une feuille peut se continuer avec le pourtour de cette feuille, appelé alors “ le Cercle ”. Avec la majuscule, c’est toujours un nom de tènement au Nord-Ouest de l’Étang de Fleury « ...cette vigne nous donna des pois et des pois chiches entre 1940 et 1944. Elle jouxtait la vigne de Germain Rey où fleurirent plus tard des rangées de poiriers... » Caboujolette, Pges de vie à Fleury II, François Dedieu 2008.  

L'Étang depuis le Pech Azam. Les parcelles géométriquement régulières jusqu'au ruisseau mairal. 

(4) Mairal (en occitan, le “ i ” se prononce tel un “ y ”), de la même racine que “ maternel ”, “ principal” s’agissant d’un cours d’eau (nombreux de ce no dont un à Narbonne).

(5) Les parcelles sont-elles évaluées en “ cesti ” et non en arpents ? Gravé sur un mur de l’église Saint-Martin, figure la valeur du “ cestus ”, division de mesure de superficie à usage local. Sur quel mur cette gravure ? On attend les investigations des passionnés du Da Vinci Code !