vendredi 28 janvier 2022

...ASPERGES VERTES, AMANDIERS BLANCS...

Non, il n'y a pas de comparaison possible entre la flopée d'amis entre guillemets des réseau sociaux et les copains de toujours du réseau du cœur, du quartier, du village. Bien sûr que la vie, en plus de ceux qui s'aiment, sépare ceux qui ont fait un bout de chemin d'enfance ensemble. Pourtant, parfois, l'informatique permet de renouer avec certains de ses camarades d'école, de ses copains du quartier. 

Nous avons joué aux billes, refait le monde à la nuit tombante, et parlé des filles, aux abords du parc de Gibert, même en hiver quand plusieurs couches d'habits arrivent mal à empêcher la froidure du Cers de pénétrer...

"... Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi
Et le vent du nord les emporte
Dans la nuit froide de l'oubli..."
chantait Montand dès le début des années 50.  

On a couru ensemble le coteau de Fontlaurier sans la peur mais sans trop approcher non plus la masure et le feu des gitans, sur l'aire devant. 

"... Chante gitan,
Ton château en Espagne.
C'est le chant des errants qui n'ont pas de frontière,
C'est l'ardente prière
De la nuit des gitans."
chantaient les Compagnons de la Chanson, et Dalida aussi (vers 1958). Je ne préméditais pas de raconter ces souvenirs en chansons mais comme elles accompagnaient et encadraient bien nos premières impressions et sensations ! 

Quelle magie quand on est gosse ! quelle impression de pays béni ce coteau de Fonlaurier ! En vis à vis, la colline du moulin, en limite le tracé ondoyant allant vers les quatre chemins, bordé tout le long, d'amandiers, de bouteilhetiers (azeroliers), de touffes de genêts, de mattes d'asperges. En haut une garriguette parfumée de thym. Tout au bout encore des moulins et le phare dans le souvenir des avions de l'Aéropostale !

Oui, il est entré loin en nous, ce coin qui nous a vu grandir. Nous y avons déterré les poireaux sauvages dans des vignes en larges terrasses, cueilli les asperges sauvages de ses hauts talus, goûté la magie de la fleur d'amandier qui réveille les abeilles pionnières et nos premiers émois d'adolescents... 

"Quand nous jouions à la marelle
Cerisier rose et pommier blanc
J'ai cru mourir d'amour pour elle
En l'embrassant..."
chantait André Claveau, toujours dans ces années 50.

Alors quand un copain de toujours, après les soixante et quelques années qui nous voient survivre aux rouleaux et remous de leurs vagues, publie, du premier bouton au diadème entier de la ramure, son premier amandier fleuri de 2022, sa première botte d'asperges, tous ces souvenirs reviennent fort : ce paysage, ses couleurs, son relief particulier, ce ciel toujours aussi bleu, l'ambiance de la vie d'alors... 

Merci Loulou de mon quartier pour ton partage sur l'Internet... On boira un coup, lou cop qué vèn, la fois prochaine, on revivra Fontlaurier, les gitans, les filles qui nous faisaient jouer à la marelle, la fleur d'amandier messagère des jours meilleurs, tant qu'on peut encore faire la nique à "la nuit froide de l'oubli"...    


Photo Loulou Jourdain (12 janvier 2022) Merci Loulou.

Photo Loulou Jourdain (12 janvier 2022) Merci Loulou.

Asperges sauvages 24 janvier 2022. Photo Loulou Jourdain aimablement prêtée comme celles qui précèdent. 


mardi 25 janvier 2022

CHEMIN D'ÉCOLE (6) Depuis la côte...

Jean, mon grand-père paternel, le vigneron, est né le 4 juin 1897 à la métairie de La Pierre, domaine des Karantes, commune de Narbonne, en pleine Clape. Comme les enfants des châteaux de Tarailhan et Marmorières, administrativement comptés sur le territoire de Vinassan, ceux des Karantes allaient à l'école à Fleury, la seule alors accessible (entre 1903 et 1910). Nous nous devons aussi d'évoquer les enfants dits "des campagnes", des domaines nombreux alors (autour de 20 sur le territoire de la commune !). Ceux des Cabanes, plus loin dans le temps, astreints à plus de dix-sept kilomètres journaliers, ont disposé d'un local provisoire vers 1885, avant que le comte de Villeneuve, propriétaire de Saint-Louis-de-la-Mer n'offre le terrain, vers 1910, en vue d'une construction définitive (1), devaient quitter la classe une heure avant les autres pour ne pas être rattrapés par la nuit. 

"... Je n'ai toujours pas vu La Pierre, ce refuge lové dans une combe en pleine garrigue, un milieu complètement étrange, sûrement, pour mes aïeux, réfugiés économiques descendus des forêts et monts de l'Arize, dans l'Ariège, passant d'un coup du frais au sec, du froid au chaud, des prairies aux garrigues, des papillons bleus aux cigales brunes, des sapins et myrtilles aux pins et asperges sauvages. Nous ne verrons donc pas encore le débouché de ce chemin d'école qu'il serait peut-être judicieux et moins difficile de retrouver par l'autre côté, en partant de la côte, dos à la mer..."

C'est ce que je pensais et écrivais lors du dernier épisode sauf que ces choses-là comptent trop : latentes, elles sommeillent prêtes à se rappeler à vous au moment opportun, même si, par rapport au présent, on fait comme si ce n'était qu'anodin, futile, seulement par curiosité.  

Et un jour, avec l'idée d'aller aux Exals, juste une balade, manière de brûler quelques calories, la petite voix insiste "Ce n'est pas loin dans les terres... et si tu essayais d'aller voir où es né ton grand-père ?" 

Vue vers le Nord-Est avec les constructions des hauts de Saint-Pierre.

Les Exals, ces yeux-de-mer, exsurgences karstiques, sources de la famille des caudiès, suivant l'appellation locale, ces "chaudiers" où l'eau sourd (2 a, b, c) tempérée en toute saison, mais ici comparables à des étangs reliés à la mer, appréciés des pêcheurs pour les migrations de poissons, et tout autour par des mémères, souvent par paires, qui amènent toutou faire la crotte.  

Vue vers l'ouest avec un couvert forestier de pins d'Alep.

Les chemins enserrent un mamelon où les pins serrés, trop nombreux, ne grandiront pas. A contourner par la droite, la carte à l'esprit, pour cheminer, cap à l'ouest, vers cette combe, ce piémont favorable à la vigne où des humains aussi s'acharnèrent à ancrer leurs racines.  

Vue vers l'Est.

Vue vers l'Est.
 

(1) de quand date l'école occupée aujourd'hui en tant que capitainerie, il me semble ?

(2 a) Chaudier, nom commun :  ouvrier chargé de chauffer le métal à bonne température. 
Chaudier, verbe intransitif : entrer en chaleur en parlant des levrettes (Émile Littré). 
Chaudier, nom commun : dommage qu'il n'y ait pas cette entrée en tant que source chaude, admise instinctivement par les occitanisants.
 
(2 b) Les Exals alimentés entre 5 et 10 mètres sous la surface, explorés en plongée à la profondeur de 110 mètres. 

(2 c) Qu'en est-il de l'aquifère sous la Clape ? Hier, un reportage racontait que le Cap, ville capitale de l'Afrique-du-Sud, manquait d'eau. Aussi la municipalité envoie-t-elle des équipes couper des arbres, des pins d'Alep acclimatés jadis pour fournir du bois. L'employé à la tronçonneuse (beaucoup n'ont que des scies manuelles) parlait de 200 litres/jour économisés, la scientifique de service de 80 litres pour un arbre de 15 cm de diamètre dont la racine pivotante volerait en profondeur l'eau de l'espèce humaine... Ainsi, sur la Montagne de la Table, tout au bout de l'Afrique Australe, le pin d'Alep pourtant plus clairsemé que dans la Montagne de la Clape, est à éradiquer... Et si ces racines retenaient la terre ?