jeudi 13 janvier 2022

LE DELTA DE L'AUDE, UNE PETITE CAMARGUE

En préalable à une balade romantique entre Saint-Pierre et Les-Cabanes, j'en étais resté à démontrer qu'il n'existait aucun lien entre le fait d'être né quelque part et de s'en trouver pour autant "imbécile heureux" (1). Quitte à me demander encore, peut-être sans raison, si nous n'aurions pas plutôt tendance à plaindre un apatride que le contraire, je tourne le dos à la polémique. Dans les facettes nourricières du milieu propre à influer sur les gens, natifs et autres, le delta de l'Aude, aux terres gagnées sur la mer et qui ont rattaché La Clape, hier encore une île, au continent. 


 Saint-Pierre-la- Mer, au pied de la garrigue. A partir des pins de Périmont, la balade vers Les-Cabanes-de-Fleury vient compiler le présent sur les strates de souvenirs plus anciens. Ne suivons pas, le long de la Clape, le sentier vers l'Oustalet, là où nous allions couper les carabènes (2) de la véranda devant la tente. Non, il faut se décider à traverser la zone lagunaire, ces confins que l'étang occupe plus ou moins l'hiver, en période de grandes eaux. 


 L'été en principe, on peut passer même si la surface craquelée reste traître, cachant sous une mince couche sèche, un sable noir, vaseux et collant où l'on s'embourbe en moins de deux. Bien que du coin, j'y bloquai une fois les roues du vélo dans une gangue très adhérente. Étaient -ce les vapeurs du gris-de-gris mis en bouteille au domaine de Gaysart qui m'avaient rendu distrait ? Ce qui est sûr est qu'elles avaient rendu la mésaventure très joyeuse, du moins avant que de devoir nettoyer... Mais je me répète, j'ai déjà raconté ça, fin août me semble-t-il... tout comme de s'embourber avec la voiture... "Non papa, on va s'embourrer ! " redoutait mon aîné... 

 https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2021/08/pissevaches-saint-pierre-la-mer.html


 Suite à ces espaces plutôt familiers, il fallait et il faut toujours passer la chaussée de la Grande-Cosse, inondable peut-être, en cas extrême, redescendre un peu plus loin, s'engager de l'autre côté où la piste se dirige résolument vers les dunes du littoral. La carte indique bien qu'elle rejoint un ancien lit de l'Aude. Le Payroulet, les Terres Salées, des territoires où l'eau douce le dispute au sel, où le privé veut prendre le pas sur le public : qu'en est-il de cette clôture barrant initialement le passage ? Ou, est-ce ouvert parce que les taureaux camarguais n'y sont plus ? 


 Plus loin, une petite rivière empêche de passer... Étrange : il n'a pas plu depuis belle lurette... N'est-ce pas pour dissuader ? inciter à faire demi-tour ? L'eau pour l'agriculture ?  l'eau pour la chasse ? Et la multiplication des pompages à la rivière, autorisés ou non, qu'en est-il ? Par moments, des salves de coups de fusil derrière la chaussée qui clôt le vaste domaine de Saint-Louis, jadis aux Salins du Midi. Choquant, en pleine journée... Il me semble qu'à l'affût, le gibier se tire le soir, la nuit, le matin mais qu'il se repose durant le jour. Non, excusez mes craintes mais ce n'est peut-être que du ball-trap. Le pouvoir de l'argent donne aussi celui de détruire à grande échelle, est-ce la raison de cet a priori négatif et accusateur ? Pour en finir avec cette eau, si c'était pour entretenir les zones humides afin d'en préserver la biodiversité ?  


 Aujourd'hui, le réalisme voudrait me fermer les portes du rêve alors qu'en post-adolescence romantique, à l'âge des premiers émois, des amours incertaines, c'est ici, sur la piste de limon, de sable et de sel, que je revoyais celle à laquelle je m'accrochais toujours, touché par les destins croisés de l'Arlésienne, Mireille, Magali, la condition première étant le moment de la journée. Il faut que le soleil donne fort, à la verticale presque, quand la nature et les hommes l'évitent. Alors on se retrouve seul, écrasé sous la chape implacable. Alors, la survie commande de rejoindre la forme incertaine, dansante, d'un tamaris ou d'un pin... Sauf qu'entre maléfice et enchantement, sur la platitude désolée de la sansouire, là où des croûtes de sel rappellent un chott du Sahara, les mirages savent faire danser aussi comme une silhouette disloquée et floue d'une femme en perdition : c'est Mirèio, l'héroïne de Mistral, empêchée d'épouser Vincèn, son amoureux aux origines trop modestes. En dernier recours, elle va aux Saintes-Maries-de-la Mer, implorer les saintes mais elle n'y arrive que pour y mourir, frappée d'insolation lors de la dure traversée de la Camargue. Autre histoire contrariée, celle de Jan qui se défenestre pour avoir, par respect des conventions sociales, renoncé à la femme qu'il aime, une "coquette" déjà promise mais à un parti moins intéressant, l'Arlésienne. Et comme pour conforter toute cette mythologie, dans les années 60, on entend à la radio  :  

"... Magali, Magali,
Qu’est-ce qui t’a pris de t’en aller pour le pays de nulle part
Parce qu’un gitan t’a regardée en faisant chanter sa guitare?
Magali (3)..." 

Tout y est : le refrain en occitan "... L’amour que pourra pas se taïre, e ne jamaï se repaua, Magali...", les gitans, le soleil qui rend fou ; en prime, l'évocation de la grande steppe de la Crau, créée par la Durance, encore une fille folle de Provence. 

Mais il faut absolument rejoindre les pins là-bas. Ce n'est que dans leur ombre bienfaisante que la fièvre s'apaisera même si on aime prolonger en imaginant le chaume sur les murs blancs de chaux de la maison du gardian, une cabane de sénils comme dans la Salanque ou celles, à l'origine, des pêcheurs de l'embouchure de l'Aude.  

Plus prosaïque, alors que Mistral est récompensé du Nobel de littérature pour son poème en occitan (autre chose qu'une collection de la Pléiade, à la réputation surfaite, truffée d'auteurs d'extrême droite sinon fascistes), encore pour une histoire de femme, la Vénus d'Arles (1er siècle avant JC), force est toujours de constater qu'elle reste détenue à Paris (4)... Entendez-les donc, ces racistes historiques rejetant la "race du Sud" mais s'accaparant la culture méditerranéenne ! 


 Pourtant, rien ne saurait gâcher la fin de cette balade. Au bout de la piste, le camping, puis toute la poésie du fleuve vers les Cabanes-de-Fleury, d'autant plus qu'en septembre, le pays respire à nouveau après la saison touristique (une pensée pour Gilbert Bécaud)... Le Cers a, une fois de plus, lavé et le ciel et nos âmes... 

(1) "... Je suis né quelque part
Laissez-moi ce repère..." Maxime Leforestier.
 
(2) arundo donax, roseau poussant en rideaux en bordure de cours d'eau ou dont la présence indique aussi celle de l'eau, ici les résurgences des infiltrations dans la garrigue.  Où les copains de la Barjasque allaient-ils donc couper les leurs pour leur campement sur la plage ? 
 
(3) Robert Nyel 1962. 
 
(4) demandez aux Agathois comme ils ont dû se battre pour rapatrier l’Éphèbe d'Agde, plus de vingt ans après sa découverte ! 

 

Maison_de_Frédéric_Mistral,_Maillane,_1914 wikipedia Domaine Public Source BNF, Auteur Agence Rol. La porte à mouches, les moustiquaires à guillotine à la fenêtre, les chaises en paille pour prendre le frais après la chaleur de la journée... 


 

 

samedi 8 janvier 2022

DANS NOS TÊTES ET NOS ÂMES, LES OISEAUX (3)

Sans donner dans le verbiage, est-ce que quelques idées et pensées arriveront à plaider pour ces oiseaux petits ou grands, qui chantent leur quotidien puis disparaissent sans faire de bruit... Mais qui donc a écrit un roman au titre évoquant la légende de ces volatiles qui s'empalent sur des épines afin de mieux chanter en mourant, manière d'illustrer le choix cornélien, pour un ecclésiastique, entre l'amour de Dieu et celui, terrestre, d'une femme. Bien que ne comprenant pas le parallèle entre l'oiseau et le prélat, ou la femme, ou les deux partenaires, qui sait ? la traduction en français :   "Les oiseaux se cachent pour mourir" m'a beaucoup touché...  

Ce n'est pas qu'elle rappelle ce qui est arrivé à l'abbé qui a encadré notre "retraite" avant la communion solennelle, lui qui a préféré la femme, quitte à fuir loin des dénigrements. Chose qui, dans le temps, ne m'a jamais choqué, au contraire. Non, c'est ce remords pour les oiseaux, qui dure, anachronique certes, mais parce que nous balancions entre sensibilité et barbarie. 

A l'école, mieux que ne l'auraient fait des films, parce que le poème imprime les images de la lutte pour la vie de ces compagnons de tous les jours, comment ne pas s'émouvoir de la mort alors qu'une peur irraisonnée, éludée par les adultes, assaille en permanence les enfants que nous sommes. 

"... Oh ! comme les oiseaux doivent mourir l’hiver !
Pourtant lorsque viendra le temps des violettes,
Nous ne trouverons pas leurs délicats squelettes
Dans le gazon d’avril où nous irons courir.
Est-ce que les oiseaux se cachent pour mourir ?

François Coppée. 

" La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.../

... Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
Eux, n’ayant plus l’asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.

Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;
De leur œil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu’au jour la nuit qui ne vient pas."

Nuit de neige. Guy de Maupassant. 

A la maison, parce que même sous la lampe, en hiver, avec celui des fleurs, bien en couleurs, le loto des oiseaux contribue à attendre sereinement le printemps, à rêver du vert sur les arbres encore dénudés...   

Sauf que, en grandissant, devenu galopin, le garçon en vient à ricaner de la sensiblerie de Coppée ou de Maupassant. Il se coltine à ceux de son âge et ne veut que suivre l'exemple des grands qui ne s'en vantent pas mais ont du sang sur les mains. Alors il chasse à la "flèou", au lance-pierre (1), facile à cacher sous la veste ou dans une poche large car les gardes veillent, la chasse étant un droit réglementé. Quelques années plus tard, s'étant loué pour les vendanges, il part à Narbonne, acheter une carabine à plombs (2) allemande, chez l'armurier. 

Et une des chasses les plus lâches est celle dite "à la luminaïre". Le faisceau d'une lampe de poche dévoile un oiseau dans le lierre, les cyprès ou platanes, jusque ceux devant la mairie. Le temps de se réveiller, de se demander ce qui arrive, les pattes du petit animal qui dit son étonnement, décrochent ; et il tombe, mort.

Pour preuve de mon remords ineffaçable, toujours aussi difficile à exprimer, dans ce blog même : 

moineau friquet au Japon wikimedia commons Author Laitche
 

en juin 2017 : 
"... Il est sorti, le garçon à la carabine, de sa cachette. il a ramassé les petits cadavres encore chauds, plutôt content. Mais pas cette satisfaction instinctive du paléolithique. Pour preuve : il a jeté sa chasse à quelque chat en maraude.
https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2017/06/lou-muraillet-cest-le-moineau-lete-en.html
 
mésange bleue wikimedia commons Author Estormiz

 
en avril 2019 : 
"... Le ruisseau, lui, entretient le souffle vital sur ses bords : des arbustes, des frênes de belle taille, des bergeronnettes hoche queue. Le rouge du sang dans ma main, une mésange bleue, me rappelant à jamais que le respect de la vie n’est pas à prendre à la légère..." 
https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2019/04/prisonnier-comme-jamais-le-dernier.html 
 
Carduelis_carduelis Chardonneret élégant wikimedia commons Author Marie-Lan Nguyen

(1) pour les moins dégourdis, une armature en fil de fer fort et torsadé pour donner un manche rigide. Pour les gamins de la campagne, la fourche d'une branchette dont la base a la grosseur du pouce. Gris et carré, fixé avec un bout de cuivre ou de nombreux tours de fil de laine (rouge dans mon souvenir), l'élastique s'achète au mètre chez la buraliste. José, qui habitait la rue Neuve, était un as de la "flèou" (une seule syllabe). Je ne sais toujours pas ce qui lui a pris lorsque, lors d'un plein-air scolaire vers la bergerie, il m'a indiqué un nid de catarinettes (chardonnerets) dans un vieil amandier. J'étais si heureux de cette confiance inattendue, que pour rien au monde, je n'aurais divulgué le secret à quiconque ! 
La flèou a fait aussi beaucoup de victimes chez les colombrines, les lézards des murailles, si rares aujourd'hui, tout comme le lauzèrt, le lézard vert.  

(2) de marque Diana. José, de la rue du Pré, avait une 25 (le nombre indique le poids je pense), moi une 27. La plus puissante au village, une 35, était celle de Gérard, développant deux fois plus de joules que la 25. En gardant le canon armé, on arrive à la camoufler, sous une veste ample et dans une manche, le temps de sortir du village... José, j'espère que tu tiens le coup... Gérard nous a quittés en 2014 (67 ans) tout comme Néné (61 ans) qui nous ouvrait l'accès aux vastes dépendances du plus gros propriétaire local. En 2002, c'est le cœur de Patrick qui lâchait (50 ans). il était un peu sabraque, un peu brise-fer. je lui avais prêté la carabine... il me l'a rendue avec la hausse cassée... Il y a longtemps que je ne lui en veux plus. La hausse, je ne l'ai jamais réparée, j'aime penser à lui chaque fois que je touche l'arme...
 
... Parler de ceux que nous avons aimés, plus ou moins proches, d'une manière ou d'une autre, c'est honorer la vie en prenant d'autant mieux conscience que même souvent si cruelle, elle reste pourtant extraordinaire... Au sein de la nature, les oiseaux aussi, bien sûr, chantent la vie, formidablement... Que chacun, à son niveau, fasse en sorte d'être positif à leur égard. 

PS : et moi je voulais parler des observations faites par les "ornithos", entre le Grau de Vendres et Gruissan... Nous remettrons l'ouvrage sur le métier, ils le valent bien les oiseaux qui, pour ne pas nous culpabiliser, se cachent pour mourir...