mardi 25 août 2020

L’ÉTÉ SUR LA DUNE EST BIEN INQUIET / Fleury-d'Aude en Languedoc


Les remords, les pensées nocives ne peuvent que nous travailler. Raison de plus pour se laisser aller à ce qui nous lie encore aux souvenirs, à ce qui réchauffe le cœur, aux jours heureux de l'innocence.
Des sensations aussi remontent à l'enfance quand de s'enfoncer dans le sable fatigue et qu'on voit son camarade qui lui, au contraire, juste à côté, caracole sans peine. C'est qu'il a trouvé cette bande de sable plus compact entre le mou trop mouillé du bas que la mer recouvre presque toujours et le mou à demi-sec, en haut de l'estran, que toutes les vagues ne peuvent pourlécher. 




De lever la tête éblouit à cause des éclats dansants du soleil. Pourtant, l'atavisme de celui qui est né là fait instinctivement remarquer un fond d'un bleu plus terreux, un banc de sable. Et ces tenilles qui aussi nous faisaient faire des poutous à l'été quand, en rythme, presque en musique, nos reins tiraient gaillards sur le harnais, la tête emportée par les rafales du Cers et grâce à la magie des Pyrénées au fond du golfe enchâssé... Et ces crabes, favouios (verts) ou cranquetos (de sable) pris au fond du tenillier et qui à eux seuls donnaient l'essentiel d'une soupe capiteuse, sous la véranda de carabènes, au camping sur la plage, dit "sauvage" ! 



    
En hiver, il paraît que le lais de mer est jonché de coquilles... Une vie secrète sous-marine subsisterait alors ?

Plus loin que l'immeuble de Valras, Agde et Sète au-delà. Sète, "l'île singulière" chère à Paul Valéry... Ce ne serait pas plutôt Agde, l'originale, avec son mont Saint-Loup, cloque volcanique éclose dans l'alignement de l'Escandorgue pour ne pas le faire remonter plus haut dans le Massif Central jusqu'à l'Aubrac, le Cantal et le Cézallier ?

Après la zone réservée au kitesurf, l’œil peut différemment apprécier des formes et reliefs à l'obsolescence plus marquée s'agissant de l'anatomie humaine. M'en veuillez pas pour cette transition pudibonde entre le minéral et le charnel, le strombolien et l'épicurien, je parle de nudité, de gens à poil, pour ceux qui me croiraient bégueule. Bref, le naturisme y est, à ma connaissance, autorisé sur quelques kilomètres de sable. 





Les bulls ont regroupé et entassé de véritables forteresses de troncs et de branches emmêlés mais il en reste et certains nostalgiques des cabanes reconstituent des abris pour se protéger du Cers ou des regards.
Les dunes marquent la limite entre la plage et les marais, derrière. C'est délicat de s'y rendre. Discrètement alors. Mais en fredonnant pour bien montrer que je peux me montrer. Pas comme ces voyeurs dont les naturistes se plaignent régulièrement. (à suivre)

dimanche 23 août 2020

SOMBRE HORIZON AU RAS DU GOLFE CLAIR / Fleury-d'Aude en Languedoc

"Du bord de la mer, il suffit de chercher l'horizon...
- L'horizon ? Allons donc ! Même pas cinq kilomètres à ce niveau ! Il n'y a rien à voir depuis un trou !
- Pas si vite ! c'est juste symbolique d'être dans l'eau. Sinon monte en haut de Périmont et déjà tu verras cinq fois plus loin ! Tu fais la moue ? Tu ne devrais pas. Écoute Pierre, inspiré par la vue en haut de la barre des Karantes ou de Saint-Pierre-la-garrigue : 

" Tout à coup son regard s'emplissait de merveilles : 
Depuis le Mont Saint-Clair jusqu'aux Côtes Vermeilles, 
Tel un vaste arc-en-ciel sur le sol allongé, 
Le sable, de la mer semble prendre congé ;
Le Golfe du Lion secouant ses crinières
Brillant de mille feux et d'autant de lumières
Et brassant dans l'air pur le bienfait de ses flots, 
Enseignait aux humains la richesse des mots... 
Plus loin, elle voyait un bras des Pyrénées
Caresser en rêvant la Méditerranée, 
Tel un amant distrait : l'oeil pourpre du Levant
Tomber à l'horizon une larme de sang..." 

 Pierre Bilbe. La Légende du Cascadel. 

La Montagne de la Clape avec la Barre des Karantes au-dessus de Saint-Pierre-la-Mer.
Cherche-le, cherche-le ! Il viendra à toi l'horizon ! Les cônes d'Agde et de Sète d'un côté, la ligne de crête des Albères de l'autre, comme le dit le poème. Et va voir si ce "bras des Pyrénées" n'arrive pas au Cap de Creus, surplombant Cadaquès, le village de Dali, de près de 700 mètres... Vois aussi un peu à l'intérieur la masse pyramidale du Canigou, le pic sacré des Catalans, magnifique à en donner des frissons, même sans ses inclusions de neige !

Le Canigou, quand on le voit, annonce le vent marin, le temps de mer idéal dans les deux ou trois jours à venir. Aujourd'hui, les traînées plus ou moins longues des avions qui tracent leur route haut dans le ciel, signalent une météo similaire traduisant l'humidité de l'air (ils sont de retour en ce temps de disgrâce pour cause de covid). Dans les années 60, ce sont les navires qu'on regardait passer au large. 

La dune aux Cabanes-de-Fleury avec, au loin, les Pyrénées au pied desquelles le Golfe du Lion semble se lover... 


2013. Par un beau matin de mer, du Mont Saint-Clair à la Côte Vermeille, le Golfe du Lion éparpille ses voiles et ses bateaux : pêcheurs de bleu, marins du dimanche, hauturiers de passage. J'en compte jusqu'à cinquante-cinq, plus ou moins gros fétus de paille dansant sur LE Golfe clair (1) quelque part au sud-est. J'en perds le compte quand je rêve de ces flottilles de voiles latines partant ou rentrant de la pêche et parce qu'un éclat lumineux semble envoyer un message en morse. C'est un hublot qui doit ainsi renvoyer l'éclat dansant du soleil, plus intense que le miroir de la mer. Il est juste dans la direction de la pointe vermeille, de ce bout de Pyrénées qui s'enfonce dans les flots, face au levant. L'air transparent permet de voir un promontoire coupé par un col insignifiant. Ce n'est qu'après que le relief mérite son nom d'Albères peut-être jusqu'au goulet marquant le Perthus. La ligne de crête court au-delà, vers l'ouest, coupée par la masse imposante du Canigou. Avec ce qui reste de deux névés, sa pointe fière trône sur fond de nuages, un train de nuages semblant rouler vers l'est : peut-être ces orages annoncés par les bulletins météo. Vers l'intérieur, les sommets s'enchaînent, formant cortège. Sur les marches, les Corbières jouent aux princesses et aux pages. Dans l'azur, la longue traînée d'un avion marque une humidité à venir. 
La platitude d'une carte de l'atlas ne saurait donner ce galbe prononcé qui inscrit le Golfe du Lion dans une projection courbe, qui tendrait à se fermer presque, aux confins de la Costa Brava... Les hommes, vraiment, déforment tout à leur image : les Pyrénées rétrécies, la courbe du Golfe redressée, tout est resserré comme si on voulait nier l'arrondi de la côte et de l'horizon qui, à vue d’œil donnent tant, attachent fort et entretiennent à jamais des rêves de gamin d'autant plus que la montagne et la frontière entretiennent les mystères de l'Espagne voisine...    
Comment ne pas s'exalter à le voir en vrai, le Golfe, lapis lazuli serti dans le littoral ? Sauf que ce bonheur contemplatif est désormais plombé de remords, de mauvaise conscience, de l'angoisse de tout perdre, de ne laisser à la postérité qu'une Terre à l'agonie. C'est que les griffes de joaillerie vont, de notre fait, par notre faute, lâcher la pierre précieuse. Comme la nature en général on la croyait éternelle. Sauf qu'entre la pollution notamment plastique de la mer (bientôt plus de déchets plastique en mer que de poissons / Arte, Le Dessous des Cartes) et celle de l'air vectrice du changement climatique se traduisant par l'érosion des côtes et une submersion majeure des littoraux, l'horizon est porteur de menaces, au ras du golfe clair... et mon inspiration poétique, en ce qu'elle témoigne de la complicité passive des générations du baby boom par rapport aux côtés délétères du progrès, en devient insensée, pour le moins pathétique sinon carrément haïssable à force d'aveuglement irresponsable. 

(1) "La mer qu'on voit danser le long des golfes clairs..." a des reflets de Trénet mais d'un Trénet acquis à la réussite française et cosmopolite seulement possible à Paris. Infidèle, il descend en été plutôt sur la Côte d'Azur que sur notre Golfe clair, du Lion. Et s'il est quand même si aimé au bord du golfe et dans les Pyrénées, c'est qu'on pardonne toujours au fils prodigue qui reste quoi qu'il en soit, un enfant du pays.