jeudi 17 octobre 2019

VENDEMIOS, un poème en occitan d'Estièine Barraillé



VENDEMIOS

Pes camins boun matin las colhos adraiados
Arriboun al traval avant soulel levat ;
Dins ou felhum roussenc vite soun alognados
E lou brutch dels ferrats (1) semblo un tambour que bat.

Las faucilhos que soun toujour trop aguzados
Passoun coumo' n lausset per ramos e pes brins
E fan se barrejar lou sang de las talhados
Ame l' jus pla souvent mai rouge das rasims.

Cadun apèlo aco se marcar de journados,
E, sans i fa moument (2), se tournoun acatar
Dins las soucos d'un cop de ma lèu desfelhados,
E las empacho pas de rire et de cantar.

Lous tiraires (3) souvent per fa de capounados
A las que per darnié laissoun trop de singlets (4)
Courrissoun pel soucan ; e quand las an trapados
Venèts sourds, l'ausidour tout crevat de gisclets.

E qu'un poulit cop d'èl quand se fa de mudados (5)
La mounsegno (6) davant la tailhairo darniè
Per carreirouns estrets toutos encourdilhados
An un bras lou ferrat, à l'autre lou paniè.

E d'un pas mai pesuc, las cambos alassados,
Seguissoun d'un pauc luènc cachaires e barriès.
Pals ount penjo un barral (7) ou massos (8) airissados
Sembloun de l'ancian temps armos de chivaliès.

Jouves, espérets pas que sigoun acabados :
Risets en vendemiant, vendemiats en riguent
Coulissets lous poutouns tant que n'es lou moument :
Regretariats pus tard las vendemios passados

Estièiné Baraillé. 

(1) seau de fer où on met le raisin.
(2) Sans y prendre garde.
(3) Ceux qui transportent le raisin coupé et sommairement écrasé dans des cuves de bois (semal).
(4) Grappes oubliées. Celui qui les trouve a le droit d'embrasser l'étourdie qui les a laissées.  
(5) Quand on change de vigne.
(6) Coupeuse qui dirige la "colle" (Féminn de Monseigneur).
(7) Tonnelet qui sert à transporter le vin pour les vendangeurs.
(8) Gros pilon de bois dur dont les "cachaires" se servent pour écraser et tasser le raisin.

Remarques :
1. les notes sont d'origine.
2. Rien sur l'auteur Estièine Baraillé sinon qu'il a collaboré à la Cigalo Narbouneso, mensuel de 1911 à 1949) et à l'Almanac Narbounés.  

 

lundi 14 octobre 2019

LE VIN BOURRU (J.C. Carrière) / Les vendanges dans le Sud

Jean-Claude_Carrière_2016-12-11 Wikimedia Commons Author Fryta 73 from Strzegom


J. Claude Carrière est né en 1931 à Colombières-sur-Orb dans l’Hérault. 
Romancier (La controverse de Valladolid), scénariste de Buñuel, de Schlöndorf (Le tambour), de Forman (Valmont), de Godard (Sauve qui peut la vie). En souvenir du petit garçon goûtant du bout des lèvres la récolte de l’année, il a écrit « Le vin bourru » en l’an 2000. 


« … Les bonnes années, quand la récolte était suffisante et le degré d’alcool élevé, mon père faisait vivre la famille avec le seul argent du vin, c'est-à-dire avec un hectare de terre, ce qui parait aujourd’hui invraisemblable.[…]

Les vendanges commençaient (…) entre le 12 et le 25 septembre. […]

Pour vendanger, nous nous aidions entre familles et entre voisins […]

Saint-Martin-de-l'Arçon,_Hérault Wikimedia Commons Author Christian Ferrer


A Saint-Martin, les viticulteurs faisaient venir des coles, c'est-à-dire des troupes d’ouvriers agricoles, de vendangeurs, qui descendaient de la montagne pour deux ou trois semaines. Nous leur fournissions le vin (denrée toujours précieuse, une partie de la nourriture et un salaire. Les mêmes revenaient souvent l’année suivante. […]

Les vendanges marquaient l’apothéose de l’année […]
Elles étaient à la fois une récompense et un souci : peur de l’orage, peur de la pourriture et d’un travail perdu. Il fallait faire vite. Même les vieux venaient à la vigne, même les enfants coupaient les raisins aux sécateurs (…). On leur confiait aussi la masse qui servait à tasser les fruits dans les comportes. Plus tard, vers l’âge de douze ou treize ans, s’ils étaient assez forts, on mettait les garçons aux sémaliers avec les hommes… »

En suivant, l’auteur précise les circonstances dans des terrains souvent en pente, parfois avec des escaliers. Il n'est bien entendu pas question de charrier avec une brouette... D’ailleurs les pals semaliers sont munis d’anneaux pour éviter que la comporte ne glisse. Cela joue aussi pour le chargement plus ou moins lourd de la charrette parfois avec un second cheval devant.  
Il raconte que la journée commençait au début du jour avec, vers 9 heures, une pause pour le déjeuner et à midi pour le dîner à la maison sinon au grand air. En famille les horaires étaient souples et quelqu’un pouvait s’absenter pour des champignons ou des filets à la rivière. L’ambiance était plus relâchée qu’à l’habitude pour des plaisanteries et même des contacts plus intimes... 

« …  Les femmes les plus graves (…) s’en amusaient. Parfois les hommes leur écrasaient par surprise une poignée de raisins noirs sur le visage. Cela s’appelait se faire farder. Toutes les jeunes filles devaient le subir au moins une fois, comme un baptême… »  



Note 1 : Le Vin Bourru a été traduit en occitan. 

Note 2 : Jean-Claude Carrière s'est prononcé, posément et théoriquement en évoquant surtout le chaos qui succède habituellement aux crises sociales, contre le mouvement des Gilets Jaunes. 

Note 3 : logique puisque, en 2017, il s'est retrouvé adoubé par le couple Macron en tant que commandeur de la breloque d'honneur...