samedi 12 octobre 2019

BROUETTE & MOTEUR BERNARD / Les vendanges à Fleury.

"... Jeudi 12 octobre 1939 (St Séraphin). Nous faisons un saut à Roques, vigne minuscule de l’oncle Noé, « St-Géniès-le-Haut » pour le cadastre, pour son vin blanc à lui. Et il sera temps pour moi, dès demain, d’aller à Carcassonne et d’entrer en classe de première..."


Au travers des témoignages dont nous disposons c'est le manque de main-d’œuvre qui pose problème quand on vendange en famille, d'ailleurs les vendanges se prolongeaient en octobre. En bien si le soleil apportait du degré, en mal si les fortes pluis d'automne s'en mêlaient. Noé, mon grand-oncle et le grand-père Jean, deux petits vignerons tenant mort et fort ("opiniâtrement" nous livre Dicod'Oc Lo Congres pour "fort e mort") à l'appellation "propriétaire" (une plaque bleue sur le chariot en attestait !) ont accueilli la brouette de charrieur avec enthousiasme. 
    
"... Vendanges 1954. « Voici le calme revenu, aussi je ne veux plus tarder à venir bavarder un moment avec vous. Nous avons fait de bonnes vendanges avec du temps frais cette année, il nous est arrivé souvent de battre le record le premier jour des vendanges nous avons fait dans la matinée 24 comportes, mais cette année nous avons fait l’achat d’une brouette pour charrier, ce qui fait que ton père et Noé ont conduit la rangée et Jojo charrié et chargé la charrette tout seul, vous pouvez croire que Jojo était fier de conduire la brouette, c’est en effet pas fatiguant et cela économise un homme ce qui ne faisait pas rire les ouvriers, car il y a beaucoup de propriétaires qui en ont acheté, et je crois bien que l’année prochaine tout le monde en aura, elle nous a coûté 11.000 f

Le jour que nous avons reçu ta lettre nous étions allés finir Aigos Claros, et nous nous sommes arrêtés à la maison pour dîner tous ensemble, ce qui fait que c’est Noé qui nous a lu de vive voix ta lettre, et le soir nous sommes allés aux Traoucats… » 
Tante Céline. 

De gauche à droite, Ernestine et Jean mes grands-parents, Céline et Noé, grands tante et oncle.

Encore la fameuse brouette articulée et mamé qui vient de faire cuire la viande sur le gril... les vendangeurs ont besoin de force !

11000 F de 1954 correspondent à un pouvoir d'achat de 250 euros de 2018 selon plusieurs occurrences, celle de l'INSEE indiquant 24626 € n'étant évidemment pas prise en compte... je n'en dirai pas plus, cela polluerait nos échos de vendanges !      

Pour monter les comportes aussi les moteurs pouvaient aider à la manœuvre : 


"... Le « gros entonnoir » dont tu parles pour verser la vendange dans la cuve ou le foudre, c’était la « trémie », la tremèjo, théoriquement « tremuèja ».

Papé Jean, se voulant un peu plus moderne, voulait éviter de tourner la « grue » à la main pour soulever les comportes. On ne s’en servait plus que pour descendre sur le chariot, en vue de la journée de travail du lendemain, les comportes vides classées par piles de quatre, l’une dans l’autre. Il fallait alors, pour éviter le basculement, faire faire à la corde un crochet autour d’une poignée, crochet présenté en sens inverse de l’autre côté de la pile. Ainsi, le tout descendait bien droit, sans danger pour le « receveur ». Pour monter les comportes, papé avait « inventé » une machine révolutionnaire. En bas, dans notre cave, Isidore Barthe, le maçon, était venu sceller dans le mur deux gros fers peints en rouge, éloignés d’un mètre cinquante environ, et portant un axe solide roulant sur coussinets et muni de chaque côté d’une roue de 60 cm de diamètre. Celle de gauche était normale. Sa circonférence recevait une belle courroie issue du moteur Bernard, bleu, placé tout en bas. Celle de droite était spéciale ; beaucoup plus large que l’autre (dans les dix-huit centimètres), elle était munie d’un double tour en fer qui formait un vide permettant de recevoir une large courroie flottante. Quand le moteur tournait, cette dernière restait immobile. Elle rejoignait, au-dessus du plancher, la même roue à gorge sur un nouvel axe semblable. Enfin, un dernier dispositif permettait, en tirant une solide corde toute neuve, d’appliquer une troisième roue à gorge, beaucoup plus petite, sur la courroie qui, ainsi tendue, faisait tourner l’axe du haut sur lequel s’enroulait le câble de corde qui faisait monter la comporte « en un temps record ». Tout était dans la force de la main gauche  paternelle, qui permettait à sa main droite de tirer la comporte pleine par la poignée. Alors cessait la traction, le moteur, en bas, ne rencontrant plus de résistance, s’emballait joyeusement, et en moins de deux le « voyage » avait disparu dans le foudre.

Mon père avait acquis à cet exercice assez périlleux une remarquable dextérité. Ils avaient étudié le mécanisme avec Maurice Lande le mécanicien (chez qui Henri avait travaillé quand l’atelier de Lande se situait au fond de l’impasse voisin du bureau de tabacs). Les deux pompes à essence s’élevaient devant le portail, où l’on pouvait lire : Essence ENERGIC / Huile ENERGOL. 

Le garage dont la cour permettra, plus tard, d'entrer au cinéma Balayé.

Pourtant, un jour, nous avons frisé la catastrophe. L’oncle Pierre était sur le chariot qui venait d’être placé sous la grande trappe, et il accrochait méthodiquement les comportes pleines de vendange. Tout allait bien, quand sans doute une fausse manœuvre de son neveu – mon père qui était à la commande de la roue mobile presse-courroie – faillit tourner au drame. J’avais une douzaine d’années et je me revois encore, le cœur anxieux, regardant de tous mes yeux l’oncle Pierre qui essayait, avec un long pieu solide, de repousser cette satanée comporte vers le plancher, alors que seul un côté restait accroché, que mon père tenait l’autre bano ou poignée de sa main droite, au risque d’être entraîné en bas, tandis que la gauche maintenait ferme le patinage de la grosse courroie, permettant un équilibre des plus instables pour la charge. Finalement, celle-ci fut quand même hissée près de la trémie salvatrice, le moteur bondit d’allégresse. Nous l’avions échappé belle.

Au fond, si l’oncle Pierre n’avait pas mis sa grande force pour compléter celle de mon père, cette comporte pleine eût chuté à grand fracas, se serait disloquée et les trois-quarts de son contenu eussent été perdus. Ce n’aurait pas été tellement tragique. Mais à l’époque nous évitions le moindre gâchis.

L’année suivante, le petit moteur « Bernard », trop nerveux et peu puissant, fut remplacé par son grand frère, même marque, même modèle, mais deux ou trois tailles au-dessus, celui qui nous servait pour l’arrosage des vignes, et qui se révéla beaucoup plus pondéré. Il dominait tranquillement sa tâche élévatrice et fit de ce travail saisonnier un jeu d’enfant..."

Caboujolette 2008 François Dedieu. 

vendredi 11 octobre 2019

CLAIRETTE, PICPOUL, CLAIRETTE / Les vendanges 1939 à Fleury.

"... Mercredi 11 octobre (Ste Clémence). Reste le vin blanc, gardé pour la fin, comme chaque année, car il faut le pressurer tout de suite. La vigne du Baous lui est réservée. On l’atteint en prenant la route de Marmorières et en prenant ensuite à droite pour suivre, prétend-on, l’ancien chemin de Narbonne que devait prendre mon arrière-grand-mère, mamé Babelle, maman de mamé Joséphine, tante Pauline et tante Marie, épouse de Gérard Rossignol, lorsque cette dernière était souffrante à Narbonne. Et dire qu’elle y allait à pied !
Pour d’autres, le Baous, c’est la « Carrieiro Blanco », peut-être parce que le calcaire y est partout présent mais sous forme de lauzes.
Alors que les raisins noirs sont depuis longtemps dans une cuve ou un foudre, nous nous intéressons aux quelques rangées de cépages blancs qui restent : la clairette, le picpoul aux petits grains chétifs, le malvoisie venu nous apporter ses grappes divines depuis la lointaine Grèce. Ce mélange nous donne un vin blanc qui fait l’admiration des connaisseurs. et qui n’a pour rival que le muscat de derrière la maison, un muscat comme jamais je n’en dégusterai un d’aussi bon. Il faut dire que ses grappes sont cueillies très mûres, alors que les guêpes ont déjà profité de nombreux grains. Le nombre de litres sera particulièrement limité quand mon père  aura soigneusement calculé la quantité d’alcool à 90°, à ajouter pour muter l’ensemble et pour qu’aucun goût alcoolisé ne ressorte à la dégustation, ce qui est rarement le cas quand on vous sert de la carthagène…"
Caboujolette /  2008 / François Dedieu

Clairette, picpoul, muscat... des cépages déjà mentionnés par Claude-Joseph Trouvé pour les années 1803 - 1820. Concernant le muscat, les villages d'Ouveillan, Pouzols et Sainte-Valière sont les plus réputés. 

Concernant la fabrication des comportes à Rivel, si  Jean Girou, auteur de L’Itinéraire en terre d’Aude (1936), note, à propos de l'activité  « … Région industrielle qui va de Rivel à Mazamet… » il n'a pas un mot, par contre, pour le village des comportes.
Quelques échos complémentaires chez Charles, Paul, Auguste Ditandy (1826 - 1902), inspecteur d'académie à Carcassonne de 1872 à 1878.

"... Il est peu de familles de cette commune dont quelque membre n'ait exercé jadis, la profession de sémalier. Citons l'illustre Fillol lui-même et à ses côtés les Saliniés ou Courals, les Bergès,les Jean de la Jeanne, les Olive dits Pétrins, etc, tous hommes de forte trempe, de haute stature, d'une force et d'une souplesse peu communes,qualités essentielles pour faire, comme on dit, un rude sémalier, enlevant journellement ses huit comportes ordinaires.
Le sémalier, debout au chant du coq, débute par l'assemblage des douves ; il fonce ses cuves après son déjeuner et procède sur le soir à leur toilette par le polissage. Quelques grands coups de massue, frappés en cadence, achèvent le cerclage : cette ceinture en lattes de châtaignier, rehausse la blancheur de la sémal. Dès lors, elle est complète : elle ira briller dans cet état sur la place de Quarantan, aux foires d'Azillz, d'Alzonnz, de Caunes, de Lézignan, de Peyriac et de St-Maurice-de-Mirepoix. 

Rivel Les contreforts du Pays de Sault Wikimedia Commons Auteur Lucas Destrem

C'est au plus fort de l'hiver, dans les quartiers les plus reculés de la forêt, que les sémaliers exécutent leurs grands travaux. ils s'abritent la nuit dans une cabane faite en écorce de sapin, recouverte de branches sèches et de mousse. Après leur frugal repas, où les pommes de terre ont toujours les honneurs de la table, ils s'étendent tout bonnement sur de la paille ; à leurs pieds brille un immense brasier qui les réchauffe jusqu'à l'heure de leur réveil.

Jadis, auprès des Rivelois, fiers de la renommée de leur industrie, nul n'était réputé bon sémalier, connaissant à fond son métier, s'il n'avait hiverné plusieurs années consécutives au milieu des sapins, occupé à façonner un nombre déterminé de "charges de douves ou douelles, destinées à la fabrication des comportes.

[...] Moins empressés à l'office du soir, ils se réunissaient par bandes à l'hôtellerie du Cheval-Blanc, à celle du Lion-d'Or, où quelque bon quartier de mouton mitonnait pour eux dans une ample ration de haricots parfumés à l'ail et au jambon..."

Passons sur le lyrisme parfois trop poussé et revenons sur ce qui est digne d'intérêt. Dans ses "Lectures variées sur le département de l'Aude", Ditandy n'a pas fait que lire sur Rivel et les Rivelois. Ceux qui connaissent les lieux pourront vérifier s'il dit juste quand il nomme huit sources ou fontaines pour nous apprendre que le dimanche, les sémaliers ne buvaient pas d'eau !
"Les verres se heurtaient sur la nappe rougie [...] Adieu, ce jour-là, le pain aigre de maïs, qui, sous le nom de tougno, a fait de tout temps la principale nourriture des ménages peu fortunés ! Avec quelles délices ils mordaient dans le pain blanc du boulanger !.." 

Note : à propos de Rivel, je voulais voir le site belcaire over-blog.com que tenait Jean-Pierre. J'apprends, même si des posts trop vagues le laissaient deviner, qu'il est décédé...  "parti si vite" à cause d'une maladie rare à laquelle on venait à peine de donner un nom. C'était un passionné et si vous aimez l'Aude et l'Ariège, avec lui vous serez servis, c'est un blog d'une richesse foisonnante même si les sémaliers de Rivel n'y figuraient pas encore.