samedi 4 mai 2019

LIBRE, LIBRE COMME AVANT... / LE DERNIER AFFLUENT (10ème partie) / Fleury d'Aude en Languedoc.



La départementale 618 pour Lespignan passe le Bouquet sur le pont de la Moulino, appelé ainsi (francisé en „Mouline“) peut-être pour indiquer qu’il y avait un moulinot, un petit moulin (?). Monsieur Robert y avait une petite vigne... je l’ai vendangée en tant qu’homme, comme charrieur, à 18-19 ans, j’en bombe encore le torse ! 




Au creux d’un doux vallonnement, entre Carabot et la Magnague, en bas de Saint-Giniès (1), le ruisseau du Bouquet, ponctué de bouquets de carabènes et d’arbres bienheureux de pousser sur ses bords, se retrouvait parfois caché par des ronciers épais quand on ne le voyait plus lambiner en petites courbes charmantes. L’une tranchait dans un limon blond donnant des aramons aux grains plus gros que des cerises. Une autre affouillait dans les racines d‘un gros tronc. Une troisième dévoilait une terrasse fertile mise à profit pour un petit jardin de quelques légumes. En hiver on trouvait des blèdes, des épinards sauvages sur ses bords... 


La carte IGN de 2015 indique deux sources captées entre le pont de la Moulino et l’ultime rupture de pente avant la plaine. Avant celle-ci, au fond, le promeneur comme le fil de l’eau longent de nombreuses vignes sans jamais ressentir l’impression d’outrepasser la propriété d’autrui... Un naturel plus très évident de nos jours chez les gens mais qui donc, aujourd’hui, avec tous les poisons déversés, a envie de courir la campagne pour de petits profits rustiques qui faisaient avat tout plaisir ?

Le Bouquet, lui, manière de faire un pied de nez aux hommes qui l’ignorent, le Bouquet passe à gué la traverse entre Notre-Dame et la route des Cabanes. J’avais des photos d’il y a quelques années avec des friches en lieu et place des vignes arrachées, des caniès, des cannaies épaisses et l’eau passant sur la route pour continuer son cours. Comment on dit ? à gué c’est un passage de la route sur l’eau, là où c’est peu profond et là c’est un passage de l‘eau sur la route. En créole, à La Réunion ils disent „radié“ sauf que le terme là-bas francisé „radier“ n’a plus ce sens en métropole même quand il désigne un rapide souvent sur un lit de cailloux. Ici l’eau court et fredonne sur le goudron avant de goualer dans une cascatelle liliputienne qui érode, si on laisse faire, l’empierrage de la chaussée... Petit ruisseau, beaux dégâts, beau pied-de-nez de l’eau du Bouquet qui travaille jour et nuit depuis des lustres...

Dernier ressaut, Aigos Claros, encore un tènement au nom limpide et qui nous emballe plus particulièrement parce que notre inimitable oncle Noé y entretenait un jardin des délices. Et pour les mille et un légumes du potager, l’oncle puisait l’eau avec une pousalanco (ou pousaranco ?) fièrement pointée vers le ciel quand elle ne prélevait pas l’eau dans une conque aménagée ! Ah qu’elle était jolie la noble conquête de l’oncle Noé ! D’où en avait-il eu l’idée ? La pouzalanco ? un balancier à puiser l’eau, le chadouf fameux de Mésopotamie ou d’Égypte. En été, les melons venaient bien au jardin d’Aigos Claros, du temps où comme pour les hommes, enfin, à en croire les femmes, il fallait en goûter dix pour en trouver un de bon ! En attendant, c’est du propre ces propos de dévergondées puisque souvent le premier amoureux était celui d’une vie... Au service militaire, l’oncle Noé écrivait à tante tous les jours et même dans l’âge, ils formaient un couple aussi soudé qu’attendrissant... Ah ! tante Céline qui donc testait les melons avec une comporte à côté... de quoi cumuler une cinquantaine de kilos ! Toujours gaie, elle sondait et goûtait en effet chacun d’eux pour n‘en garder qu‘une paire, le reste, la comporte, allant directement aux poules. Le temps n’était pas encore celui des melons toujours bons, c’était avant ceux de Canguilhem à Coursan qui ont fait la réputation du marché de Saint-Pierre... Si tu nous lis, Jean-Claude, je te salue... 

De gauche à droite : Ernestine, Jean, Céline et Noé.
 Désormais dans la plaine, le Ruisseau du Bouquet entame la dernière partie de son cours microcosmique, notre dernier épisode à suivre, je pense...   

(1) Carabot ? un rapport avec ces gerbes laissées au soleil, empilées le soir pour être battues le lendemain, bien que plutôt dans le Dauphiné ? (F. Mistral /Trésor dou Felibrige).
La Magnague... „Maniago“ étant la mignonne, la bien aimée... en parlant d’une vigne, sur la route des Cabanes, notre maniago, avec les grappes opulentes de la plaine, les sucres et le degré du coteau.
Géniès, ce saint obscur peut-être de Lyon „Genès“ ou encore orthographié „Genest“...
Ah tous ces noms de lieux, déjà attestés pour la plupart en 1495, balises du spatio-temporel, déformés, transformés, évanouis mais qui resuscitent en dépit des siècles écoulés depuis les Ligures, les Ibères, les celtes, les Grecs, les Romains, les Occitans, les Francs... Indices obligés des nouvelles, des ragots du jour, mais empreints de poésie, gourmands en bouche, appellations de terroirs, de coins, de points précis, d’histoires, de mémoire du pays, de visages qui passent... Ce rapiéçage de parages, de voisinages, qui racontaient une tranche de temps passé, limpide pour les riverains, déjà diaphane pour les autres villageois, opaque pour les pièces rapportées, carrément hermétique pour les estrangès et que la vie moderne, de toute façon, efface inéluctablement...  

samedi 27 avril 2019

LE PAIN de LA FEMME DU BOULANGER de Marcel PAGNOL.

Photo du magazine Pour Vous du 24 août 1938, publiée par "La Belle Équipe", un site remarquable sur le cinéma français.
 https://www.la-belle-equipe.fr/2017/10/12/la-femme-du-boulanger-de-marcel-pagnol-pour-vous-1938/

"... Pour mon goût personnel, j'aimerais mieux du pain qui fût aussi beau que du pain. Car la beauté des femmes est fugitive et se fane comme les fleurs..." 

La Femme du Boulanger, Marcel Pagnol. 

Nous aimons les citations qui confortent et ancrent plus encore nos convictions et sentiments. Dans cette scène, l'effet est inverse car ce qui est dit sur la beauté ne dépend que de la discussion en cours. 
Aimable, le boulanger veut faire dire que sa femme est belle :
"... Du pain aussi beau que ma femme ! Eh bien ! dis donc, mais je ne sais pas si on n'a jamais fait du pain aussi beau que ma femme."

Barnabé approuve. La boulanger ravi surenchérit : 
"Elle est belle, hein ! ma femme !"

Antonin et Maillefer le disent aussi. 
Même l'instituteur y va de son scenario :  
"Mon cher, si elle essayait, tout à coup, la nuit, dans une ruelle obscure, de m'embrasser fortement sur la bouche, eh bien ! je ne porterais pas plainte !"

Les hommes tous les mêmes ! C'est alors que Mademoiselle Angèle, la vieille fille acariâtre, lance sa pique :

"... Pour mon goût personnel, j'aimerais mieux du pain qui fût aussi beau que du pain. Car la beauté des femmes est fugitive et se fane comme les fleurs..." 

mais c'est Tonin qui a le dernier mot : 
"Et ça fait plaisir aux vieilles betteraves qui ne risquent pas de se flétrir. Boulanger, ta femme est belle !"

 Il y aurait beaucoup à dire sur ce film daté mais n'allez pas demander à un vieil enfant qui a connu cette vieille société machiste et grandi dans les mêmes paysages que Marcel Pagnol de juger objectivement... Quand on aime, on ne juge pas... Ne me demandez pas non plus un mémoire sur les beautés comparées du pain et de la femme... 

Mes brichetons ne font pas penser à des miches, mais qu'est-ce qu'il est beau et bon mon pain de ce matin !