lundi 2 avril 2018

ÉTAIT-CE UN MONDE INNOCENT ET INCONSCIENT DE LA CATASTROPHE A VENIR ?

Ciste de Montpellier

Ciste cotonneux.

"... Les cloches sonnaient à toute volée et le printemps éclaboussait ce dimanche matin de toutes ses fleurs. Les petites, blanches, au cœur d’or, du ciste de Montpellier. Les grandes, mauve clair, comme froissées, du ciste cotonneux. Et les papillons voletant sous les grands pins muets d’un vent, pour une fois, aux abonnés absents. J’en avais plein les yeux. Non je ne rêvais pas : c’était bien moi qui pinçais entre mes doigts les feuilles rêches et collantes du premier buisson. C’est bien moi encore qui froissais celles, douces, duveteuses du second pied. Encore moi qui suivais dans l’air immobile la farandole du paon de jour, la voltige de l’apollon, les poursuites des machaons. Toujours moi à l’écoute des cloches, sûr que le Bon Dieu indulgent suspendait son souffle. Parce que, pour cette messe buissonnière, solitaire, j’avais voulu oublier Saint-Martin et que, de l’autre côté du vitrail, un monde merveilleux s'était offert. 

Paon de jour Author Romski wikimedia commons.

Papillon « Machaon ou Grand porte-queue » Author Erwan Corre wikimedia commons.
Ah ! si elles pouvaient parler, nos cloches. Cette fois-là, j’étais aux pins de Barral et elles m‘ont dit de rentrer avec mon secret... mais ce dimanche matin-là irradiait une magnificence à damner un saint.
Papa, essaie de savoir quelque chose sur elles. Comme elles sonnent toujours dans ma tête, ça m’a donné le bourdon. Bienheureux celui qui a pensé à les enregistrer, elles vont vous manquer. Je le sentais qu'avec cette modernité de carillon, de cloches enfermées, vous m’annonciez quelque chose de grave et ce moment merveilleux m’est spontanément revenu, comme un premier matin du monde…

« Quand revèn lo printems e que la sourehlada
Fai reverdi la terra e flouri lou bartas… » 

(Quand revient le printemps et que la "soleillade" fait reverdir la terre et fleurir le buisson... )
  "Lou pastre", poème d'Antoni Roux (1842-1915)
 
Mésange charbonnière Author Sylvain Haye wikimedia commons.


Chardonneret, catarinette Auteur Ghislain38 wikimedia commons

Ces lignes publiées en 2008, à peine corrigées aujourd'hui et datant de 2006 semblent, en 2018, relever d'un conte merveilleux pour enfants. Si j'ai oublié les oiseaux à cause des papillons plus à portée, eux aussi animaient le paysage de leurs trilles et gazouillis. Où sont passés ces petits compagnons du jour qui vent tant que la vie est là ? Où sont les mésanges, les fauvettes, les merles, les verdiers et leurs cousins chardonnerets, nos catarinettes ? Cherchez donc les nids d'agasses, les vols de graùles ! les pies ne jacassent plus ! Les corneilles, depuis les pèïrals qui résonnaient de leurs croassements intempestifs, ne partent plus en escouades vers la plaine ! 
Il y a dix ans déjà, on parlait des moineaux, des hirondelles en déclin. Plus de moustiques pour ces dernières, tourisme oblige, même au-dessus de la Matte, ces marais entre l'Aude et l'étang de Pissevaches où un avion vient épandre régulièrement une fumée vert-jaune... 
En ce début d'année nous apprenons que depuis 2003 en gros, un tiers des oiseaux a disparu. En cause le productivisme, l'agriculture qui fait la part trop belle à la chimie, à tous ces herbi-fongi-insecticides. 
Le modèle économique nous a transformés en tubes digestifs consuméristes, assimilant avant tout nos petits égoïsmes consommés. 
Et moi qui ai fait des enfants en vertu de la loi naturelle intangible, j'ai honte de leur laisser un monde pourri par un fanatisme économique aveugle au point d'engendrer, et ce n'est pas rien, un alien religieux qui nous plonge dans des barbaries qu'on croyait oubliées et annonçant un bain de sang puisque l’État en reste à ses discours soporifiques... 

Triste lundi de Pâques ! Triste saint-Loup ! Où sont-ils donc les groupes joyeux qui s'égayaient dans les pins, dans les prés, à la mer aussi… aux Cabanes, à Saint-Pierre.
   
Tristement vôtre !
 
Pie Author Stauss wikimedia commons


Hirondelle Author Haltostress wikimedia commons

Notes pour essayer de penser à autre chose (source Tresor dou Felibrige de Frédéric Mistral : 

* l'apollon chez les papillons, pour la rime puisque cette espèce est montagnarde... 

* l'agasso c'est la pie qui a peut-être aussi donné le verbe agassa signifiant, pour un oiseau, crier en voyant quelqu'un approcher du nid : "La maire agasso, lou nis es pas luen" (A. Boissier). 

* la graulo, la corneille en Limousin, Guyenne et Languedoc. les falaises des pèîrals, les carrières de pierres 
 


dimanche 1 avril 2018

SANS ELLES, LE CIEL EST MOINS BLEU, çA CLOCHE... / Fleury d'Aude en Languedoc

"... Cela commence par une lettre de papa en date du 14 janvier 2003, il suffit d'une lettre pour aborder une question primordiale, un sujet sérieux, sinon grave, concernant notre village : 


« Ce matin, j’ai envoyé le chèque pour l’eau à la CGE et, en allant à la Poste et ensuite à la banque pour un extrait de compte (il y a la machine et c’est rapide : pas besoin d’attendre) j’ai vu, en traversant la place, une énorme grue pointée vers le clocher et qui enlevait, une à une, nos trois cloches, ainsi que les cadrans de l’horloge. Il faut dire que c’est dans le cadre des travaux concernant le clocher et l’église. D’après ce qui est dit officieusement, sinon officiellement, nous ne verrons plus lesdites cloches, qui doivent être placées désormais à l’intérieur du clocher. Je me doute que des ouvertures y seront donc pratiquées, comme ce fut vraisemblablement le cas autrefois – on distingue en effet ces fenêtres longiformes murées depuis, sur les parois –. De toute façon, l’aspect sera changé et la silhouette de notre église défigurée. Espérons que ce ne sera pas de la mauvaise ouvrage…» 


Diapositive François Dedieu 1979

Enfin, il faut le dire vite car je suis vraiment sonné de ce que vous m’apprenez... A force de nous annoncer leur départ chaque année, cette fois, je crains fort qu’elles ne soient pas là pour Pâques, nos cloches.


Elles s’en donnaient à tue-tête, ce dimanche là, les trois cloches, et dans mes yeux fermés, je voyais un Saint-Martin lumineux, partageant du haut de sa selle son manteau grenat. Et le pauvre dans les sabots du cheval, même en me forçant, je n’étais jamais arrivé à le plaindre, impressionné que j'étais par le geste altier du centurion. Une fois pourtant, pour une messe de minuit, quelques flocons virevoltaient autour des lampadaires : il avait fallu ce concours de circonstances et cette envie de neige que seuls connaissent les gosses du Sud, pour réaliser enfin, au-delà de la noble attitude du Romain, les pieds nus de l’indigent sur les pierres froides d'un porche... Le catéchisme, c’était plutôt des oliviers en Galilée et le soleil de Palestine. Ce soleil de Méditerranée, ces éclats trop généreux... le centurion en avait volé l'éclat et la chaleur au figurant en haillons..." 


Premier matin du monde / Le Carignan / pages de vie à Fleury d'Aude I / 2008