samedi 10 mai 2014

CORBIÈRES,‭ ‬MYSTÈRES...‭ ‬V‭ ‬(suite‭ ‬3‭) ‬/‭ ‬LE SERMON D’UN CURÉ CÉLÈBRE...‭

    Quelle vanité,‭ ‬quel esprit mercantile peut amener,‭ ‬en la circonstance,‭ ‬à s’arroger la paternité d’une œuvre‭ ! ‬Blanchot de Brenas n’avoue-t-il pas, sans qu'on ne le poussât, comment il eut connaissance de l’histoire du sermon‭ ‬:‭ « ‬Ecoutez cette homélie que je répète telle qu’elle me fut contée‭ » ‬?
    Gaston Jourdane,‭ ‬dans‭ « ‬Contribution au folklore de l'Aude‭ »‬.‭ (‬1900‭) ‬parle,‭ ‬page‭ ‬123,‭ ‬de l’origine populaire de ce conte passé de l’oralité à l’écrit et si l’auteur reste inconnu,‭ ‬il en reste quelques vers‭ (‬1‭) ‬:‭

« ..‭ ‬Donc le père Bourras a un rêve.‭ ‬Il se présente à la porte du Paradis:
-‭ ‬Pan,‭ ‬pan,‭ ‬qui tusto debas‭ ?
-‭ ‬Lou paire Bourras.
-‭ ‬Qual demandas‭ ?
-‭ ‬De gens de Ginestas.
-‭ ‬Aici n'i a pas.
-‭ ‬Anats pus bas.‭
Au purgatoire,‭ ‬même réponse.‭ ‬Désolé le père Bourras se présente à la porte de l'Enfer et pose la même question.
On lui répond:
-‭ ‬Dintrats,‭ ‬dintrats,
-‭ ‬N'i en manco pas...‭
»

    Le conte met en scène le père Bourras‭ ; ‬la rime situe l'épisode à Ginestas‭ (‬Aude‭)‬.‭ ‬Comme le fera plus tard Roumanille du feuillet fripé,‭ ‬un Narbonnais,‭ ‬Hercule Birat‭ (‬1796‭ ‬-‭ ‬1872‭) (‬2‭) ‬s’est inspiré des quelques vers perdus pour un‭ ‬Sermon du père Bourras,‭ ‬poème en français dans un recueil paru en‭ ‬1860‭ (‬aïe...‭) ‬mais commencé une quinzaine d’années‭ ‬auparavant‭ (‬aïe,‭ ‬aïe,‭ ‬aïe...‭)‬.‭ ‬En attendant,‭ ‬Hercule a gardé Ginestas et a insisté sur les avantages,‭ ‬pour le curé,‭ ‬d’une paroisse riche et bien dotée‭ (‬1‭) ‬:‭

«...‭ ‬/‭ ‬...‭ ‬-‭ ‬Ne seriez-vous pas bien à Bage‭ ?
-‭ ‬Oh,‭ ‬Saint-Pierre,‭ ‬quel badinage‭ !
J'aimerais autant Armissan,
Treilhes,‭ ‬Roquefort ou Tuchan...‭
»

    Alors,‭ ‬ce curé de Cucugnan,‭ ‬Vignevieille ou Cucuron,‭ ‬voire de Ginestas,‭ ‬comme ses ouailles,‭ ‬pauvre en Corbières ou plus replet dans la plaine à blé puis à vignes,‭ ‬n’appartient-il pas à tous,‭ ‬du Languedoc,‭ ‬de l’Occitanie,‭ ‬des pays d‭’‬oil et aussi de ces provinces où une langue régionale reste à même de maintenir la culture‭ ? ‬Peu importe finalement et tant mieux si les auteurs liés au fameux curé semblent trop nombreux‭ [‬voir‭ (‬1‭)] ‬de même que ceux qui se sont démenés pour la vérité vraie et l’inventeur avéré‭ [‬voir‭ (‬2‭)]‬,‭ ‬car tous contribuent à cultiver,‭ ‬à transmettre une mémoire sans laquelle nous ne serions pas.‭
    Plus modestement,‭ ‬je suis de cette génération respectueuse de l’instituteur et du curé,‭ ‬qui,‭ ‬après les parents,‭ ‬la famille,‭ ‬avant les voisins et pays,‭ ‬formaient le paissèl‭ (‬le tuteur‭) ‬pour que nous,‭ ‬enfants,‭ ‬poussions droit.‭ ‬Aujourd’hui et sans que cela ait à voir avec les convictions profondes,‭ ‬je garde la nostalgie de cette cohésion villageoise d’autant plus imposée que nous ne pouvions nous opposer,‭ ‬faute d’arguments...‭ ‬admissibles.‭ ‬Pour ces raisons,‭ ‬certainement,‭ ‬les sermons,‭ ‬authentiques,‭ ‬enrichis ou réinventés,‭ ‬témoignent avec fidélité de ce que furent nos campagnes et parce que,‭ ‬au hasard d’une quête‭ (‬3‭)‬,‭ ‬j’ai eu la chance de tomber sur deux évocations de ce genre,‭ ‬je crois que je vais ouvrir autant de parenthèses,‭ ‬l’une en Franche-Comté,‭ ‬l’autre dans les Pyrénées ariégeoises,‭ ‬la première en français,‭ ‬la seconde en languedocien,‭ ‬pour,‭ ‬entre nous,‭ ‬plus d’empathie et de communion...‭ ‬sans qu’il soit question ici,‭ ‬d’un quelconque œcuménisme.‭ (‬à suivre‭)        

(1‭) ‬relevé sur http://sites.univ-provence.fr/tresoc/libre/integral/libr0410.pdf
‭(‬2‭) ‬la biographie de ce précurseur des félibres sur http://occitanica.eu/omeka/items/show/592‭
(3‭) ‬Formidable Internet à grand débit qui nous affranchit de la distance‭ (‬j’écris depuis Mayotte‭) ‬et ajoute un plus aux apports certes indispensables,‭ ‬mais au compte-goutte,‭ ‬des historiens et chercheurs...‭


photo autorisée‭ (‬wikipedia‭ ‬/‭ ‬images google‭) ‬de Fernandel en Don Camillo,‭ ‬Fernand Sardou,‭ ‬en curé de Cucugnan,‭ ‬étant indisponible.‭

vendredi 9 mai 2014

CORBIÈRES, MYSTÈRES V (suite 2) / tiraillements pour un sermon...

    En 1864, Blanchot de Brenas, père supputé de l’abbé Martin, entreprit de rassembler ses articles et d’en faire un livre. Sauf que rien ne s’ensuivit et, en 1867, c’est le félibre Joseph Roumanille qui, sous son "nom de guerre" "Lou Cascarellet", publiait en occitan Lou curat de Cucugnan. Après sa reprise en français par Alphonse Daudet et le succès qui s’ensuivit, Blanchot de Brenas voulut rétablir ses droits sur la pièce. En 1868, il demanda à Roumanille de se justifier. Celui-ci répondit et l’intégralité de sa lettre figure dans Le Curé de Cucugnan et son véritable auteur de G. Vanel, un opuscule de 4781 mots paru en 1910 (accessible sur le lien ci-dessous).
    Roumanille reconnaît tout :

« ...Il s'agit donc de plagiat, crime prévu par la loi et dont on veut me punir pardevant le Tribunal compétent.
    Je l'avoue. Monsieur, j'ai tondu de ce joli pré la largeur de ma langue et même un peu plus. Et voici comment cela s'est fait... /...
    ... En 1866, mon beau-frère m'apporta, triomphant, un feuillet détaché de nous ne pûmes savoir quelle revue ou quel recueil littéraire. J'ai ce feuillet sous les yeux, tout sali, tout froissé, tombant presque en lambeaux, tel, en un mot, qu'il me fut remis... /...
    ... Ah! Monsieur ! l'herbe tendre, et, je pense, quelque diable aussi me poussant, je traduisis, con amore, tout ce que je pus traduire. Pouvais-je trouver mieux ? Ajoutant ou retranchant sobrement ce que me semblait réclamer le génie de notre langue et les exigences de nos mœurs provençales.
    N'ayant pas le début de l'historiette (la page 692 manquait et tous mes efforts pour la retrouver avaient été inutiles), j'écrivis, à ma façon, une entrée en matière. Je ne sais pas, à cette heure, en quoi elle diffère de la vôtre. — Ici, mes scrupules, car enfin, je vous rassure, Monsieur, j'ai une conscience, tout vil plagiaire que je puisse paraître. D'ailleurs, ayant été souvent volé, je sais combien il est désagréable de l'être.
    Quel est le père de cet adorable curé ? Quelle est la source, l'origine de cette fable ? Comment l'indiquer ? Ce précieux chiffon de papier, d'où a-t-il été détaché ?
    ... /... Voilà maintenant que M. Alphonse Daudet se hâte de traduire le Curé de Cucugnan, et, grâce à l'Événement auquel il donne sa traduction, il l'éparpille à tous les vents du ciel ! Miséricorde !
    Il était impossible, après une publicité pareille, que le nom de l'auteur, effacé par le pli malencontreux, ne surgît pas soudain. Aussi m'attendais-je tous les jours à une demande d'explications. J'étais prêt à les donner, — non pas certes devant le Tribunal, — (je n'aurais jamais pu supposer que la chose en valût la peine), mais à un confrère chercheur, trouveur et ciseleur, comme le Cascarellet, de vieux contes et d artistiques légendes... /... » 

    Roumanille avance même qu’il aurait pu facilement changer de titre, en situant le sermon à Cucuron, village du Vaucluse certainement aussi charmant que Cucugnan. Il ajoute que, finalement, il a bien rendu service au curé Marti, que la circonstance peut faire une jolie réclame au livre prévu et que sa pécadille avouée mériterait d’être pardonnée. Mais Blanchot reçut ses finesses comme autant de moqueries offensantes. Un procès fut engagé ; le félibre sollicita l’entremise d’un ami commun ; on se mit d’accord pour une médiation mais les arbitres se désistèrent ; avec la guerre de 1870, la procédure fut abandonnée de fait ; Blanchot de Brenas perdit même les textes pour le livre escompté et mourut en 1877, Roumanille en 1891.


    N’était-ce pas la meilleure fin (pour l’œuvre) ? Peut-être bien que oui car dans ces affaires de plagiat, c'est souvent une histoire de voleur volé... (à suivre)

A voir : Le Curé de Cucugnan et son véritable auteur G. Vanel
http://archive org/stream/lecurdecucugna00vane/lecurdecucugna00vane_djvu.txt
(ne dîtes pas que c’est moi qui vous l’ai dit...)

photo autorisée : toits de Cucuron / wikipedia / images google.