dimanche 25 mai 2025

La MONTAGNE NOIRE (7), les cultures riches.

Ah, le Poumaïrol tant restent prégnants l'effet, les répercussions suite à la “ découverte ” fortuite de ce haut pays perdu pourtant dans la modeste entité afférant à la Montagne Noire ! Quel culot de se poser là en “ découvreur ” pas même d'une invention, mais seulement pour être tombé inopinément sur un article de la revue Folklore de 1974. Encore un hasard, une de ces coïncidences qu'on se trouve forcément parce qu'on se les cherche, en ces années 70, “ ma ” “ découverte ” marquante de « La Vallée Perdue » pour tout ce qui m'a plu d'emblée et plaît toujours dans ce film : Michael Caine (1933-), le Capitaine des mercenaires, plus qu'Omar Sharif (1932-2015), le contexte de la Guerre de Trente Ans, perturbante dans ce qu'elle donne à méditer sur les horreurs des guerres pourtant si ordinairement pratiquées encore de nos jours, et quoi encore, le cadre d'une vallée montagnarde alpine épargnée, les thèmes universels écolos avant l'heure, un cours de la vie simple autarcique, lié à la ronde des saisons, sans la funeste attraction industrieuse à venir des villes, sans la pollution... Il est vrai que de vivre dans un HLM du pourtour lyonnais ne pouvait porter qu'à envier un idéal vécu par des paysans encore moyenâgeux dans un îlot de paix miraculeuse. 

Non sans un regard pour les métairies du Lauragais que Sébastien Saffon (1974-2025), parti si brutalement, faisait si bien revivre, avec André David (1893-1915), revenons à la vie paysanne d'alors. 

Paire de bœufs 2006 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Auteur Monster1000

Les paires de bœufs au labour appartiennent bien aux terres grasses d'en bas ; au-dessus de 250 mètres, seuls les replats et fonds de vallées sont capables d'offrir un mitage  de sol  plus profond «... plus argileux et plus épais, riche en potasse et soude... ». Sur les hautes terres schisteuses, cristallines, la Montagne n'est qu'un « ségala » avec surtout du seigle, des pommes de terre. Entre les deux, au Nord, une bande de blé et légumineuses, au Sud des cultures méditerranéennes là où les gorges s'élargissent, partout des prairies permettant l'élevage de bovins de bon rapport, un liseré de châtaigniers. 

Lauragais 2018 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Jean-philippe.miconi

La moindre parcelle exploitable est vouée aux cultures riches. 
Appréciés, rappelant l'opulence de la plaine, le blé, le maïs. Le blé est destiné aux boulangers de la Montagne, le maïs à l'engraissage des volailles de la famille. Au débouché des torrents du sud, sous l'étage des châtaigniers puis les restanques de vignes et olivettes, grâce aux roues à auges ou autres puisages à balanciers (les pousarancos languedociennes), en partant des rigoles d'irrigation des prairies à pommiers, on arrose les maraîchages. 
Les pommes de la Montagne Noire sont renommées jusqu'à Paris. Les amandes, pêches et figues sont consommées localement. 
Les choux dominent dans les potagers. 
Chaque paysan tient à faire son vin. 
Les oliviers ont souffert des hivers rigoureux entre 1789 et 1870 puis des maladies. 
Bien que naturelle, la prairie prétend à conclure cet ensemble. Naturelle, associée aux vergers de pommiers, elle reste en effet tributaire de l'irrigation. Les rigoles suivant les courbes de niveau, soignées, nettoyées, aux vannes révisées, les séparent du bois ou de la lande qu'elles seraient sans la main de l'homme. Elles permettent l'élevage des vaches laitières et à viande (pour, plus particulièrement, les villes de Perpignan, Marseille et Toulon). Avant 1850, leur utilité se limitait au trait, au travail (1). De bon rapport, ces prairies ont conduit à la construction de réservoirs (2) et auraient pu mener à l'édification de barrages à Cenne-Monestiès et Saissac. (à suivre)

(1) Au début du XIXe, élevées pour la viande destinée à l'armée d'Espagne de Napoléon. 

(2) de 108.000 m3 à Saint-Denis, permettant l'arrosage de 142 hectares. Moyennant une redevance de 4,50 fr/ha, un syndicat régulait la distribution d'eau. 

  

vendredi 23 mai 2025

La MONTAGNE NOIRE (6) Forêts et landes (fin)

Alors, pour améliorer la situation, on demande de poursuivre « les délits commis sur les bois […] On accusait les chèvres, les verreries, les forges, les manufactures de tout ordre, la distillation des vins, etc3… Mais les chèvres, proscrites au XVIIIe siècle, par toute une série d’arrêts n’ont jamais été nombreuses dans la Montagne Noire... ». Par contre les clairières autour accusent les forges, les verreries; « Le déboisement date de la colonisation même de la Montagne Noire […] des villages de défrichement […] les abbayes du versant sud firent reculer la forêt. La destruction du bois de chêne vert a dû cependant être plutôt l’œuvre des mineurs… ». David explique que depuis l’époque gallo-romaine, les galeries se creusaient au feu4, des amas de charbon, des pierres éclatées attestent qu’une « masse énorme de combustible fut ainsi dépensée ».

Toujours à propos de la forêt en recul, dont la hêtraie, à Salles (deux « l », comme sur la carte de Cassini, au lieu d’un seul pourtant sur la carte dite « d’État Major » des années 1850), le village possible du plateau du Poumaïrol, l’auteur note « des jachères furent conquises sur la forêt ; au bout de peu de temps, la dépopulation5 aidant, elles passaient à la lande. ». 

Ulex_europaeus, ajonc, arjalat, 2022 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Michel Langeveld

Castans Aude 2017 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Jcb-caz-11. 2017 : le paysage a changé du tout au tout... 

Avec la pelouse, le genêt, l’ajonc6, le genévrier, la lande est le domaine du mouton en nombre jadis considérable : pacages, drailles, nombre de bêtes, tout était règlementé, ce qui, encore au début du XIXe siècle causa disputes et batailles notamment, entre les bergers de Castans et ceux de Saint-Amans, en dépit de l’influence du maréchal Soult. De 1750 à 1850, une transhumance amena des troupeaux dits « forains » de la plaine audoise. En 1913, David constate « aujourd’hui Pradelles vit de ses bois et de ses troupeaux de vaches, Castans de ses bois et de ses châtaigniers »

Cette lande peut aussi être exploitée comme la forêt : « De Castelnaudary à Revel par la grande route, on rencontre à chaque instant des charrettes chargées d’ajoncs… ». C’est le cas pour les tuileries, les poteries, les fours à chaux, à plâtre, à pain ; « c’est à sa chaleur qu’on cuit les fameux pots qui, dit-on, donnent sa saveur au cassoulet de Castelnaudary : l’emploi des ajoncs de la Montagne Noire est même un des rites de la fabrication […] 1,800,000 fagots d’ajoncs7 par an… » ; on ne brûle rien d’autre dans un rayon de 30 kilomètres… Avec la plaine chauve, la forêt de montagne malportante, le bois étant réservé aux menuisiers et charpentiers, ne restait que la lande souvent en jachères 2 ou 3 ans. La deuxième année, ce sont les genêts qu’on coupe pour les manufactures les préférant aux ajoncs ; sinon on les brûle en tant qu’engrais très apprécié dans la culture du seigle ou des pommes-de-terre.

3 En cause aussi les coupes à blanc fragilisant la repousse, la plantation de châtaigniers, la demande de la plaine de l’Aude, trop glabre.

4 Ne pense-ton pas plutôt au pic alors, qu’apparemment, il n’était que l’outil des nains de Blanche-Neige !

5 Un constat datant de 1913.

6 L’ajonc, qu’es aco ? Ah, dites arjalat (dans les dicos d’occitan « argèla » chez Lagarde, « argelat » chez Lagarde et Glosbe) et c’est le genêt épineux qui n’a rien du genêt sinon ses fleurs jaunes et serrées.

7 « …on coupe les ajoncs après 5 ou 6 ans en général ; après 20 ans on arrache la plante et à 2 ou 3 ans d’intervalle, on sème.