jeudi 15 mai 2025

La MONTAGNE NOIRE, André DAVID (3 et fin)

André David, tout comme son père Léo David, sont de Saint-Germain-de-Marencennes5, en Charente-Maritime. De venir trois étés de suite sur les traces d'André relève donc du pèlerinage, du voyage consacré à la mémoire de l'enfant, du fils perdu... 

« Vois-tu, je sais que tu m'attends [...] Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. » 

« Demain dès l'aube », « Les Contemplations » 1856, Victor Hugo. 

Emmanuel_de_Martonne Photo antérieure à 1929. Domaine public. Čeština  byl francouzský geograf :  l'Europe Centrale est concernée par les frontières qu'il a contribué à tracer.  Auteur anonyme

Nous livrant à bien des prolongements, le livre sur la Montagne Noire est préfacé par Emmanuel de Martonne (1873-1955), professeur à la Sorbonne, éminent géographe et traceur de frontières. Loin de mettre en avant la technicité géographique brute du sujet entrepris, cette préface s’attache avant tout à la conjoncture humaine qui a tant su nous toucher. De Martonne nous apprend d’emblée qu’une balle allemande a abattu « un des espoirs les plus sûrs de l’école géographique française ». Il connaît personnellement André David, pour reprendre ses mots, plutôt frêle mais d’une bonne résistance physique, timide mais concentré, d’une puissance de travail remarquable, hardi dans ses idées et la verve de ses propos.  

Admis à l’École Normale Supérieure en 1912, à peine un an plus tard, son travail sur la Montagne Noire stupéfie ses éminents superviseurs au point de presque lui conseiller de garder cette production de débutant sous le coude, comme thèse de doctorat. Visiblement ému par ce destin hors normes, l’universitaire accompagne la publication du livre de sa chaleureuse humanité ; il nous confie que deux camarades qui l’aimaient avaient promis de finaliser les chapitres à peine ébauchés… Le premier s’écrasa avec son avion en Macédoine, le second, blessé à maintes reprises, finit aussi par mourir sur le front. Alors ce fut Mademoiselle Marre, amie d’enfance d’André et professeur au Puy qui s’est chargée des passages et même des chapitres incomplets. 

Page de titre.

La Société d’Études Scientifiques de l’Aude a bien voulu concrétiser tous ces efforts conjugués ; son imprimeur attitré, Bonnafous6, 50 rue de la Mairie à Carcassonne, a assumé le tirage du livre.

Ô armoire « ...du vieux temps, tu sais bien des histoires, […] Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires » (Le Buffet, Arthur Rimbaud) sur les livres couverts de bleu aux belles étiquettes… la 102 pour André David et la Montagne Noire, la 113, sobrement intitulée « Poésies », toutes de Rimbaud… 

Au milieu, ces exemplaires blancs dépareillent, d'où la fausse bonne idée de les ranger par côté et ce, à cause du crochet de fermeture du battant gauche de l'armoire. 

Et si mon père habite toujours la maison de vie d’où j’écris, en ouvrant l’armoire aux livres, comme Nougaro, j’entends plus fort encore « la voix de papa ».

Suite à ce long avant-propos, suite au recueillement, ne perdons pas de vue l'intérêt initial pour notre Montagne Noire jusque là abordée aussi fortuitement que légèrement, suite à une “ leste motivation ”, disons, fomentée par la trouvaille fortuite d’un article de la revue Folklore « Les filles du Poumaïrol ». 

Depuis_le_pic_de_Nore, vue sur la plaine audoise 2018 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license Auteur Lucas Destrem. Là où nous croyons tout voir, la vue globale fait heureusement l'impasse sur les vallées encaissées et un plateau de vie cachée comme Le Poumaïrol... 


5 Dans Wikipédia notamment, je ne comprends pas l’absence d’entrées  pour André et Téo David, et qui plus est sur la page de Saint-Germain-de-Marencennes, leur village natal pourtant. Personne, à ce jour, ne s’est chargé d’honorer leurs mémoires… 

Saint-Germain-de-Marencennes se situe à près de 500 kilomètres de la Montagne Noire. 

6 Imprimerie fondée en 1776, mise en liquidation en 2011 suite au décès brutal de Georges Bonnafous 59 ans ; six employés au chômage.  

La MONTAGNE NOIRE, André DAVID (2)

Et André qui nous complique si joliment la tâche à partir du moment où il faut s’engager en vue d’entrevoir l’originalité de la Montagne Noire, bastion avancé de la résistance à la surrection pyrénéenne. André David, si jeune dans le camp des 36 % entre 19 et 22 ans perdus pour le pays… Certes, mes deux grands-parents sans gueules cassées bien qu’au moral brisé au point de n'en pouvoir parler, ont eu la chance, chacun dans un camp adverse, de figurer dans les 64 autres pour cent qui en revinrent. Aridité, froideur des chiffres à côté de la flambée sanglante mais pathétique des coquelicots3… « ...il a deux trous rouges au côté droit »… Pardon, j’oblige André à rejoindre Arthur dans « Le Dormeur du Val »… et deux larmes aux coins mais à ceux des grands yeux mouillés, magnifiques, de Pénélope Cruz dans Volver, le film d’Almodovar que passe Arte ce soir et que je ne veux pas manquer… Je n’en suis pas à une digression près… Ne pas pleurer sur soi, sur ce qu’on a fait à la rigueur mais pleurer avant tout sur les autres.  


Planches de dessins de Léo DAVID (48 cm de long).


André David… Pour s’intéresser à la Montagne Noire, j’imagine4 qu’il est d’autant plus du coin que son père Léo David (1864-1952), professeur de dessin (peut-être trois années avant sa mutation à Libourne, en 1896, a enseigné en 1893 au collège de Pézenas que je devais humblement fréquenter près de 70 ans plus tard… pardon d’encore profiter des coïncidences comme faire-valoir !), son père donc, va courir, trois étés durant, tous les sentiers du fils, pour en tirer plus d’une centaine de vues dessinées. Si je n’ose pas m’embarquer vers le déchirement à vie d’un père qui perd son enfant (c’est déjà terrible seulement de penser que ça peut arriver)… une douleur qu’on pourrait ressentir à travers les innombrables traits minutieux de ses vues de la Montagne Noire… il faut arrêter d’imaginer même si on garde ses suppositions pour soi. 


Village de Pradelles et Pic de Nore 2006 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Jcb-caz-11

Mulets de l'armée suisse 1979 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Sonderegger Christof

3 Sans parler du symbole à rapprocher du bleuet d’une France allergique au rouge rappelant trop la Commune de Paris, la Semaine Sanglante (fin mai 1871), je veux encore relever dans les forums honorant les mémoires de 14-18, des relations plus sensibles relevant, après nos morts et blessés, des mêmes épreuves pour les équidés, ici, dans les Vosges, les mulets. Un journal de campagne, en effet, plus réceptif aux détresses et à la douleur des animaux, au delà des blessures et des morts, mentionne, en outre, que le caporal muletier J.F.M. a été cassé de son grade pour avoir toléré que les hommes prissent pour leur usage personnel, les couvertures affectées aux mulets… Tous n'étaient pas insensibles aux souffrances des animaux auxiliaires. 

4 J’imagine d’autant plus naturellement que mon grand copain José (1949-2024) se nomme David, qu’André David (1917-1987) était peut-être son père, qu’un autre André David (1929-2010) m’a laissé le bon souvenir d’un homme aussi souriant qu’avenant (il habitait, sauf erreur, impasse de la Couveuse) et qu’enfin, je n’oublie pas François David (1908-1993), de Vinassan, le dynamique « papé rambal » d’une disruption toujours gaie, grand-père de mon ex et avec qui j’ai partagé une même affection.