jeudi 16 mai 2024

Teodor AUBANÈU, pas froid aux yeux et la main chaude (I)...

Mais qu'est-ce qui, en 1860, a bien pu valoir à Aubanel une mise à l'index par les catholiques traditionalistes ? « LA MIOUGRANO ENTRE DUBERTO » ne relève pourtant pas d'une quelconque perversion ! Que l'irrationnel du fanatisme religieux est dangereux et salement mortel ! Ses amis intégristes ont rejeté ses écrits, avec pour conséquence la mise en péril de l'imprimerie familiale Aubanel, liée aux commandes de l'archevêché d'Avignon. 

Pomegranate_Juice_(2019) under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license Author Augustus Binu (flickr)

Certes tout est “ épicurien”, de ce joli mot que nous avons tendance à vite traduire par " qui aime la vie ", à prolonger par “ qui jouit de la vie ” dans le sens où être épicurien c'est autant savourer la bonne chère que cultiver l'amitié et se délecter de bonne chair, au sens épidermique du terme, jusqu'au charnel, quitte à en être assimilé à un débauché. 

En 1885 sort un autre recueil « LI FIHO D'AVIGNOUN » (Les Filles d'Avignon), tout de sensualité, mais au tirage confidentiel, seulement pour les amis. Le secret s'en trouvant vite éventé, la bonne société traditionnaliste lui tombe sur le râble et le met à l'index. 

À 56 ans, il commence par rendre hommage à son ancêtre, le Capitaine grec, grand batailleur contre les Turcs, razzieur de femmes sarrasines : « ...tire d'en moun amour di femo e dau souleu... » (je tiens de lui mon amour des femmes et du soleil). 

Ensuite, les portraits de beautés locales défilent. 
Amour des femmes avec sa « Vénus d'Avignon » à la petite bouche aux lèvres un peu boudeuses, aux dents plus blanches que le lait, aux cheveux noirs torsadés ou en boucles, à la hanche hardie, aux jambes divines; « ...vese de luen bada toun jougne (1)... » (je vois de loin s'entrouvrir ton corsage). Théodore dit bien qu'il ne veut plus qu'elle passe vu qu'elle le fait mourir, ou alors qu'elle se laisse dévorer de poutouns... sauf que la petite a quinze ans... elle n'a que quinze ans, de nos jours nous accuserions (2)... c'est que le décalage dans le temps, l'anachronisme peut vite faire passer pour un pédophile... 

Dans « Le Voyage », il nous donne une vision dantesque d'un trop long trajet en train mais, avec, au bout, la consolation, dans la maison qu'il rejoint, un baiser d'elle et le cheval de fer infernal s'en retrouve oublié. 

À l'intention de Madame Paul Bayle, peut-être mariée encore, vu que la perle est aussi jolie que l'oreille qui la porte, il ose la métaphore du coquillage : 
« ...Laisse-moi me pencher sur ton visage ! 
Dans les coquillages d'abord
Vu qu'on entend ce que dit l'onde, 
Je veux, moi, ô blonde divine, 
Écouter ce que dit ton cœur... » 

Les_Hommes_N_60 1879 Théodore_Aubanel Caricature d'André Gill (1840-1885) Domaine public


Suit un « Soleil Couchant » synonyme de roi égorgé, annonçant les ténèbres à venir, l'œuvre du Mal, le couteau à tuer du voleur à l'affût, les loups bâillant aux agneaux, les matrones livrant aux rufians les pucelles, vierges, fraîches et nues : 
« ...D'eli, quand lou mascle s'amuso
Plouron lis ange au paradis... » (D'elles quand le mâle s'amuse Pleurent les anges au paradis). 
« Pucelle, tu auras un écu pour étrenne, ta mère a faim... » 
D'après lui un œil regarde mais Dieu qui voit tout fait comme si : 
« ...Le soleil monte dans sa gloire.../... l'oiseau chante sur l'arbre en fleurs ; tout est lumière, paix, joie, amour... » (à suivre) 

(1) “ jougne ” pour Mistral dans le Trésor du Félibrige, avec l'idée de joug, d'attelage par paire.  
(2) Quinze ans ? n'est-ce pas l'âge légal de la majorité sexuelle ?       


lundi 13 mai 2024

Teodor AUBANÈU et sa grenade mûre entr'ouverte...

Pomegranate_flower_and_fruit 2006 public domain AuthorNo machine-readable author provided. Xenon 77 assumed (based on copyright claims).

Théodore Aubanel (1829-1886) né et décédé à Avignon, fut imprimeur et poète d'expression provençale occitane. Majoral, avec Mistral et Roumanille, il est des trois piliers du Félibrige. D'éducation et de tradition catholiques, il reste pourtant un poète de l'amour. En 1860, « La MIOUGRANO ENTRE DUBERTO », la grenade entrouverte, reçoit un accueil chaleureux. S'il y chante son amour pour Zani, sa devise « Quau canto soun mal l'encanto » (Qui chante son mal l'enchante) peut déjà présager d'une suite pathétique. 

Punica_granatum 2008 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Autor Luis Fernandez Garcia

La grenade dans sa perception propre du grenadier. L'arbre, il le voit sauvage, de rocaille, loin des hommes, près de Dieu ; il en décrit la fleur de sang toute d'amour et de soleil, le beau fruit chatoyant aux « mille graines de corail » dans son calice rouge ; une vision certes épicurienne mais faisant long-feu, le motif officiel de sa publication étant la perte de l'amoureuse partie au couvent. Ils n'ont pas su, pas voulu se trouver...  

En partie I « LE LIVRE DE L'AMOUR ». Sauf que le premier poème relatant un amour de troubadour pour la comtesse de Die, prend prétexte de sa piété, de sa prière pour se prolonger par 

« Ah ! si mon cœur avait des ailes, sur tes lèvres pâles.../...te ferait cent baisers et cent caresses...». 

Et elle de lui répondre qu'elle veut se faire nonne. Aubanel n'en finit pas de citer bon nombre de ceux qui virent leur amour déçu, tels Dante ou Mistral. Enfin, bien des poncifs poétiques aussi : violettes, oiseaux, rossignol, hirondelles, feuilles nouvelles, tendre verdure, farandole de jouvencelles et jouvenceaux, ombre fraîche et toujours un renvoi qui se répète 

« O moun cor, perqué sies pas mort ? » O mon cœur pourquoi n'es-tu pas mort ? 

Clara, une autre aussi, en -a, (pardon de n'avoir pas noté) persistent à trop lui rappeler Zani, Jenny de son prénom.  

Teodòr_Aubanèu occitan writer o va dises planatal  the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International, 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic license. Scanné et posté en 2011 par Jfblanc

Aubanel a titré son livre II (1) « ENTRELUSIDO », l'entre-lueur, une éclaircie peut-être. Il y a bien les cocons de soie qu'il faut ébouillanter afin d'en tirer le fil, il y a bien ces tableaux rustiques à la Millet, la fauche du blé, ces scènes de famille, de bébés qui naissent et au sein mais toujours, dans les scènes, de jeunes couples, d'une gémellité rappelant les “ bessouns ”, les naissances jumelles peu rares chez les brebis et plutôt bien reçues dans les familles, y aurait-il une bouche de plus à nourrir. L'approche, néanmoins, en est plus distante, moins tactile. Comme par contrition, Aubanel livre des poèmes sur Jésus, sur la Vierge autrement vierge que les jouvencelles aux joues rosées de son plaisir des yeux et des mots. 

Livre III : « LOU LIBRE DE LA MORT ». L'automne. au milieu des tableaux campagnards, le berger qui rentre ses moutons, les coups de fusil des chasseurs, les paysannes qui tressent l'ail, les pauvres, les petits qui ont faim, la mère qui les pousse à dormir, l'orpheline qui demande l'aumône ; le bébé qui semble sommeiller mais c'est la mort qui lui a fermé les yeux et la mère ne veut pas qu'on lui emporte son enfant... Toussaint. un autre enfant, écolier déjà, content de sa nouvelle blouse noire : il croit que sa mère dort, on lui a dit... Le bourreau sans état d'âme qui doit couper des têtes ; un vieux " serre piastres " refusera-t-il la fille de seize ans que la mère vend pour avoir des sous ? Un chien n'arrête pas de hurler à la mort, « aboiement qui gèle les moelles » ; un poème corrélé au suivant sur le massacre des nouveaux-nés par le roi Hérode... 
 
Pomegranate_(opened) 2020 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Ivar Leidus
    
C'est vrai qu'en occitan, il faut lire et reprendre pour, à chaque passage, glaner quelques grains comme on le fait après avoir, d'une bouchée, happé les rangs rubis d'un quartier de grenade, comme on le fait, à chaque automne qui vient, tant que nous sommes encore là...  

(1) dans la chanson de Noce, répété quinze fois, le refrain est plus long que les deux vers parfois écourtés des couplets.