Mais qu'est-ce qui, en 1860, a bien pu valoir à Aubanel une mise à l'index par les catholiques traditionalistes ? « LA MIOUGRANO ENTRE DUBERTO » ne relève pourtant pas d'une quelconque perversion ! Que l'irrationnel du fanatisme religieux est dangereux et salement mortel ! Ses amis intégristes ont rejeté ses écrits, avec pour conséquence la mise en péril de l'imprimerie familiale Aubanel, liée aux commandes de l'archevêché d'Avignon.
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Certes tout est “ épicurien”, de ce joli mot que nous avons tendance à vite traduire par " qui aime la vie ", à prolonger par “ qui jouit de la vie ” dans le sens où être épicurien c'est autant savourer la bonne chère que cultiver l'amitié et se délecter de bonne chair, au sens épidermique du terme, jusqu'au charnel, quitte à en être assimilé à un débauché.
En 1885 sort un autre recueil « LI FIHO D'AVIGNOUN » (Les Filles d'Avignon), tout de sensualité, mais au tirage confidentiel, seulement pour les amis. Le secret s'en trouvant vite éventé, la bonne société traditionnaliste lui tombe sur le râble et le met à l'index.
À 56 ans, il commence par rendre hommage à son ancêtre, le Capitaine grec, grand batailleur contre les Turcs, razzieur de femmes sarrasines : « ...tire d'en moun amour di femo e dau souleu... » (je tiens de lui mon amour des femmes et du soleil).
Ensuite, les portraits de beautés locales défilent.
Amour des femmes avec sa « Vénus d'Avignon » à la petite bouche aux lèvres un peu boudeuses, aux dents plus blanches que le lait, aux cheveux noirs torsadés ou en boucles, à la hanche hardie, aux jambes divines; « ...vese de luen bada toun jougne (1)... » (je vois de loin s'entrouvrir ton corsage). Théodore dit bien qu'il ne veut plus qu'elle passe vu qu'elle le fait mourir, ou alors qu'elle se laisse dévorer de poutouns... sauf que la petite a quinze ans... elle n'a que quinze ans, de nos jours nous accuserions (2)... c'est que le décalage dans le temps, l'anachronisme peut vite faire passer pour un pédophile...
Dans « Le Voyage », il nous donne une vision dantesque d'un trop long trajet en train mais, avec, au bout, la consolation, dans la maison qu'il rejoint, un baiser d'elle et le cheval de fer infernal s'en retrouve oublié.
À l'intention de Madame Paul Bayle, peut-être mariée encore, vu que la perle est aussi jolie que l'oreille qui la porte, il ose la métaphore du coquillage :
« ...Laisse-moi me pencher sur ton visage !
Dans les coquillages d'abord
Vu qu'on entend ce que dit l'onde,
Je veux, moi, ô blonde divine,
Écouter ce que dit ton cœur... »
Suit un « Soleil Couchant » synonyme de roi égorgé, annonçant les ténèbres à venir, l'œuvre du Mal, le couteau à tuer du voleur à l'affût, les loups bâillant aux agneaux, les matrones livrant aux rufians les pucelles, vierges, fraîches et nues :
« ...D'eli, quand lou mascle s'amuso
Plouron lis ange au paradis... » (D'elles quand le mâle s'amuse Pleurent les anges au paradis).
« Pucelle, tu auras un écu pour étrenne, ta mère a faim... »
D'après lui un œil regarde mais Dieu qui voit tout fait comme si :
« ...Le soleil monte dans sa gloire.../... l'oiseau chante sur l'arbre en fleurs ; tout est lumière, paix, joie, amour... » (à suivre)
(1) “ jougne ” pour Mistral dans le Trésor du Félibrige, avec l'idée de joug, d'attelage par paire.
(2) Quinze ans ? n'est-ce pas l'âge légal de la majorité sexuelle ?