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vendredi 17 mai 2024

Teodor AUBANÈU, pas froid aux yeux et la main chaude (fin)...

C'est de la poésie ouverte sur une gauloiserie propre aux échanges entre hommes ; il dédie souvent le poème à un ami, à un félibre ; le sens en est à peine caché, l'allusions évidente, déjà une invitation à l'érotisme, une incitation à l'acte ; il implique Delphine, Anaïs, Ludovine ; certaines n'ont eu que le tort de passer, pas toutes : 

« ...Aubanèu semblo mut
Mai lou fio cuvo
S'enfounso i bos ramu
Emé sa juvo... » (Aubanel semble muet Mais le feu couve. Il s'enfonce dans les bois touffus Avec sa jouvencelle). 
La beauté du Monde, un ciel étoilé, le retour d'avril, les nids des oiseaux, tout est prétexte aux rapprochements avec les yeux, l'haleine, des bruits de baisers, un babil d'amoureuse. 
À peine imaginaire puisqu'il s'épanche auprès de ses amis, comme à un banquet de mascles, des sous-entendus, des rires grivois ; une mise en bouche substantielle : 

« ...Son corsage riche monte juste où commence le régal des cœurs affamés du beau, des yeux qu'affriande le nu... »  
Alors se dévoile le fond des pensées :  
« ... Lou sen, fin et redoul, boulego
Entre li ple del fichu clar... » (Le sein, fin et dodu, ballotte entre les plis du fichu clair ; à un moment il a un mot expressif encore : le boumbet). 
Alors que les filles aiment innocemment la farandole, la mise en cause, la belle que la pleine lune appelle, à en croire Théodore, préfère aller au taureau... Aubanel exalte une inspiration dionysiaque : les arènes, la Camargue, les chevaux au galop sur fond de tartane en mer, voiles gonflées (le poème s'intitule  « EN ARLES », le delta n'est pas loin) ; les seins deviennent (ou deviendront ?) les mamelles de bon lait auxquelles s'accrochent les fils... le régal devient boulimique...  
Elle, la belle, c'est la fille d'un pêcheur, la fille de la Roquette, toujours impatiente si le galant qui l'émoustille n'est pas un gars du coin...   

Page suivante, le chrysanthème... De quoi s'attendre à une introspection avec l'automne de la vie, la dernière fleur devant se faner, déjà l'odeur de la mort. Regrets et contrition peut-être ? Exalent-ils ce parfum-là, les chrysanthèmes ? Non ! fausse intuition ! Le poète dédie ses vers à Madame Élise Hamelin mais pour lui dire que ce bouquet sur le rebord de la fenêtre, une main de femme a dû le composer, que sa présence doit venir s'accouder là... N'a-t-il pas cru voir, derrière, dans l'ombre claire, « une belle jeune fille passer ». 

De ma part, une approche seulement, partiale, partielle sûrement : nous ne sommes qu'à la page 79 du recueil qui en compte cinq fois plus. Les vers d'Aubanel, à un moment nous évoquent : Pétrarque, Ronsard, Matzneff... Rushdie aussi puisque les dévots et l'archevêque l'attaquent violemment.
Que s'est-il passé ? Comment Aubanel a-t-il pu croire rester confidentiel en éditant juste pour les amis ? C'était trop risqué. Avec trop d'amis, l'amitié ne peut que s'évaporer, ne plus rien valoir. C'est une amitié facebookienne dirions-nous aujourd'hui... Une folie alors de confier un secret impossible à garder secret, il suffit d'une imprudence, d'une langue trop bien pendue, sinon d'une malveillance de faux ami... 

Teodor_Aubanel Domaine public Photo de Walden69 (2006) ? 

Son exaltation pour la grenade aux « mille jolies sœurs couchées toutes ensemble... », ne lui a pas servi de leçon... À se muer en ogre des contes contemplant les lits alignés où reposent ses proies endormies, Aubanel doit chercher refuge de l'autre côté du Rhône, dans la garrigue de Villeneuve-les-Avignon où, au-delà de la Montagne des Chèvres (aujourd'hui rattrapée par le béton, avec un lycée), il achète la Carlisle, le Mas de Carles actuel.  Il y meurt en 1886, un an plus tard, avant son cinquante-huitième anniversaire. 

Finalement, la sincérité d'Aubanel sur la nature profonde des mascles trop masculins depuis des millénaires, un trait si rémanent d'une désinvolture coupable jusqu'au mépris porté à une féminité décrétée inférieure, amène à réfléchir sur les rapports entre sexes suivant qu'on les dit opposés, ennemis ou complémentaires, suivant qu'on considère inégaux, disproportionnés, dominateurs ou consensuels les besoins sexuels du genre humain. 


jeudi 16 mai 2024

Teodor AUBANÈU, pas froid aux yeux et la main chaude (I)...

Mais qu'est-ce qui, en 1860, a bien pu valoir à Aubanel une mise à l'index par les catholiques traditionalistes ? « LA MIOUGRANO ENTRE DUBERTO » ne relève pourtant pas d'une quelconque perversion ! Que l'irrationnel du fanatisme religieux est dangereux et salement mortel ! Ses amis intégristes ont rejeté ses écrits, avec pour conséquence la mise en péril de l'imprimerie familiale Aubanel, liée aux commandes de l'archevêché d'Avignon. 

Pomegranate_Juice_(2019) under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license Author Augustus Binu (flickr)

Certes tout est “ épicurien”, de ce joli mot que nous avons tendance à vite traduire par " qui aime la vie ", à prolonger par “ qui jouit de la vie ” dans le sens où être épicurien c'est autant savourer la bonne chère que cultiver l'amitié et se délecter de bonne chair, au sens épidermique du terme, jusqu'au charnel, quitte à en être assimilé à un débauché. 

En 1885 sort un autre recueil « LI FIHO D'AVIGNOUN » (Les Filles d'Avignon), tout de sensualité, mais au tirage confidentiel, seulement pour les amis. Le secret s'en trouvant vite éventé, la bonne société traditionnaliste lui tombe sur le râble et le met à l'index. 

À 56 ans, il commence par rendre hommage à son ancêtre, le Capitaine grec, grand batailleur contre les Turcs, razzieur de femmes sarrasines : « ...tire d'en moun amour di femo e dau souleu... » (je tiens de lui mon amour des femmes et du soleil). 

Ensuite, les portraits de beautés locales défilent. 
Amour des femmes avec sa « Vénus d'Avignon » à la petite bouche aux lèvres un peu boudeuses, aux dents plus blanches que le lait, aux cheveux noirs torsadés ou en boucles, à la hanche hardie, aux jambes divines; « ...vese de luen bada toun jougne (1)... » (je vois de loin s'entrouvrir ton corsage). Théodore dit bien qu'il ne veut plus qu'elle passe vu qu'elle le fait mourir, ou alors qu'elle se laisse dévorer de poutouns... sauf que la petite a quinze ans... elle n'a que quinze ans, de nos jours nous accuserions (2)... c'est que le décalage dans le temps, l'anachronisme peut vite faire passer pour un pédophile... 

Dans « Le Voyage », il nous donne une vision dantesque d'un trop long trajet en train mais, avec, au bout, la consolation, dans la maison qu'il rejoint, un baiser d'elle et le cheval de fer infernal s'en retrouve oublié. 

À l'intention de Madame Paul Bayle, peut-être mariée encore, vu que la perle est aussi jolie que l'oreille qui la porte, il ose la métaphore du coquillage : 
« ...Laisse-moi me pencher sur ton visage ! 
Dans les coquillages d'abord
Vu qu'on entend ce que dit l'onde, 
Je veux, moi, ô blonde divine, 
Écouter ce que dit ton cœur... » 

Les_Hommes_N_60 1879 Théodore_Aubanel Caricature d'André Gill (1840-1885) Domaine public


Suit un « Soleil Couchant » synonyme de roi égorgé, annonçant les ténèbres à venir, l'œuvre du Mal, le couteau à tuer du voleur à l'affût, les loups bâillant aux agneaux, les matrones livrant aux rufians les pucelles, vierges, fraîches et nues : 
« ...D'eli, quand lou mascle s'amuso
Plouron lis ange au paradis... » (D'elles quand le mâle s'amuse Pleurent les anges au paradis). 
« Pucelle, tu auras un écu pour étrenne, ta mère a faim... » 
D'après lui un œil regarde mais Dieu qui voit tout fait comme si : 
« ...Le soleil monte dans sa gloire.../... l'oiseau chante sur l'arbre en fleurs ; tout est lumière, paix, joie, amour... » (à suivre) 

(1) “ jougne ” pour Mistral dans le Trésor du Félibrige, avec l'idée de joug, d'attelage par paire.  
(2) Quinze ans ? n'est-ce pas l'âge légal de la majorité sexuelle ?