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samedi 25 mai 2024

D'AUBANEL à DANTE ALIGHIERI...

1878, Aubanel pourtant l'un des sept à l'origine du mouvement prend ses distances avec le Félibrige ; il n'est plus d'accord avec Roumanille trop bigot (1), réactionnaire, monarchiste, contre la République, fustigeant le relâchement des mœurs général. Le sentiment de Robert Lafont (1923-2009 [2]), défenseur fidèle de la langue occitane, décrit bien la motivation profonde de Joseph Roumanille (1818-1891) : 

« (Roumanille) voulait habiller décemment la Muse provençale... Pour Roumanille, les convictions chrétiennes et traditionnelles qui étaient les siennes ne sont pas séparables de l'usage du provençal. Il [...] n'admet pas que sa langue puisse servir à autre chose qu'à maintenir le menu peuple dans le sentier de la vertu, aussi bien politique que morale ». 

Portrait_of_Joseph_Roumanille antérieur à 1905 Domaine public Source The Critic (voir site sur wikimedia commons).

Pour Aubanel, nous ne saurions seulement considérer l'attraction pour la femme, les formes, l'instinct charnel, la pulsion sexuelle à peine sous-jacente, rien que de très normal en apparence, rien de transcendant sauf que pèse en amont cet amour de jeunesse mort-né. Ce non-accomplissement, cet acte manqué pourrait-il expliquer une compensation pour le moins plastique, sinon charnelle bien qu'apparemment seulement fantasmée ? N'est-ce pas parce qu'il s'est laissé aller à des baisers plus loin que l'esthétisme, qu'Aubanel, découragé, incompris, aurait détruit les exemplaires restants de « Li Fiho d'Avignoun » ? Rejeté pour l'intention présumée ? sauf que les écrits restent, le proverbe le dit bien. À partir de là, Lucien Théodore Aubanel n'a plus voulu publier. Pour une bonne part, son oeuvre lui est posthume, nous la devons à son fils Jean-de-la-Croix Aubanel (3) ; ses œuvres complètes ont été éditées de 1960 à 1963, par la Maison Aubanel, toujours à Avignon. 

Plus philosophiquement que ces anicroches d'abord avec Roumanille, ensuite avec l'appareil religieux, l'amour, la mort, universellement hélas, vont de pair : deux syllabes en commun, si proches, à une lettre prononcée près, si propres à inspirer les poètes puisque la poésie sait aller au fond, à l'essentiel des choses de la vie. Sous cet angle, Aubanel s'inscrit dans une veine humaniste qui remonte à Dante, Boccace, Pétrarque et Ronsard. 

Dante_Alighieri's_portrait_by_Sandro_Botticelli 1445-1510 Domaine public Private collection (Cologny, Suisse)

Dante Alighieri (1265 ? -1321), auteur de ce chef-d'œuvre universel qu'est « La Divine Comédie », considérée comme première officialisation du toscan à l'origine de l'italien, avec quelques textes en occitan. Autre rapport avec Aubanel, l'amour sans lendemain de Dante, depuis ses neuf ans pour Béatrice (8 ans) et neuf ans plus tard sauf que son trouble extrême lui fait perdre tous ses moyens et que Béatrice meurt à l'âge de vingt-quatre ans seulement.  
 
(1) « La Coupo Santo », “ hymne ” des Provençaux, bien que créé par Frédéric Mistral afin d'honorer et officialiser l'usage de la langue du Sud, se retrouve considéré par certains en tant qu'hymne de toute l'Occitanie. À tort car « Se Canto », attribué à Gaston Fébus, et peut-être plus vieux encore, honore et défend la langue occitane depuis au moins cinq-cents-ans. Disons aussi que de mettre un chant “ identitaire ” sous le parrainage religieux de coupe sainte fêtée pour la saint-Estelle en rebute plus d'un. Le rituel se voudrait-il un peu sectaire, point de calice cependant puisque les paroles célèbrent la sororité Provence-Catalogne, la fraternité des deux composantes d'un même peuple.  
 
[2] Ne pas le confondre avec Robert LaFFont, l'éditeur), natif de Nîmes, professeur à Bédarieux, Sète, Arles, Nîmes, universitaire à Montpellier à l'âge de quarante ans, occitaniste ouvert, un temps fédéraliste, théoricien du colonialisme intérieur. Un engagement politique donc, qui le voit s'impliquer dans l'Institut d'Études Occitanes (IEO), les cultures régionales, la publication de revues dont « L'Ase Negre », « Viure », la tentative  (refusée) de candidature à la présidentielle 1974...   
    
(3) Wikipédia mentionne Laurent Aubanel, un autre enfant, mais rien sur lui sinon le prénom...  

vendredi 17 mai 2024

Teodor AUBANÈU, pas froid aux yeux et la main chaude (fin)...

C'est de la poésie ouverte sur une gauloiserie propre aux échanges entre hommes ; il dédie souvent le poème à un ami, à un félibre ; le sens en est à peine caché, l'allusions évidente, déjà une invitation à l'érotisme, une incitation à l'acte ; il implique Delphine, Anaïs, Ludovine ; certaines n'ont eu que le tort de passer, pas toutes : 

« ...Aubanèu semblo mut
Mai lou fio cuvo
S'enfounso i bos ramu
Emé sa juvo... » (Aubanel semble muet Mais le feu couve. Il s'enfonce dans les bois touffus Avec sa jouvencelle). 
La beauté du Monde, un ciel étoilé, le retour d'avril, les nids des oiseaux, tout est prétexte aux rapprochements avec les yeux, l'haleine, des bruits de baisers, un babil d'amoureuse. 
À peine imaginaire puisqu'il s'épanche auprès de ses amis, comme à un banquet de mascles, des sous-entendus, des rires grivois ; une mise en bouche substantielle : 

« ...Son corsage riche monte juste où commence le régal des cœurs affamés du beau, des yeux qu'affriande le nu... »  
Alors se dévoile le fond des pensées :  
« ... Lou sen, fin et redoul, boulego
Entre li ple del fichu clar... » (Le sein, fin et dodu, ballotte entre les plis du fichu clair ; à un moment il a un mot expressif encore : le boumbet). 
Alors que les filles aiment innocemment la farandole, la mise en cause, la belle que la pleine lune appelle, à en croire Théodore, préfère aller au taureau... Aubanel exalte une inspiration dionysiaque : les arènes, la Camargue, les chevaux au galop sur fond de tartane en mer, voiles gonflées (le poème s'intitule  « EN ARLES », le delta n'est pas loin) ; les seins deviennent (ou deviendront ?) les mamelles de bon lait auxquelles s'accrochent les fils... le régal devient boulimique...  
Elle, la belle, c'est la fille d'un pêcheur, la fille de la Roquette, toujours impatiente si le galant qui l'émoustille n'est pas un gars du coin...   

Page suivante, le chrysanthème... De quoi s'attendre à une introspection avec l'automne de la vie, la dernière fleur devant se faner, déjà l'odeur de la mort. Regrets et contrition peut-être ? Exalent-ils ce parfum-là, les chrysanthèmes ? Non ! fausse intuition ! Le poète dédie ses vers à Madame Élise Hamelin mais pour lui dire que ce bouquet sur le rebord de la fenêtre, une main de femme a dû le composer, que sa présence doit venir s'accouder là... N'a-t-il pas cru voir, derrière, dans l'ombre claire, « une belle jeune fille passer ». 

De ma part, une approche seulement, partiale, partielle sûrement : nous ne sommes qu'à la page 79 du recueil qui en compte cinq fois plus. Les vers d'Aubanel, à un moment nous évoquent : Pétrarque, Ronsard, Matzneff... Rushdie aussi puisque les dévots et l'archevêque l'attaquent violemment.
Que s'est-il passé ? Comment Aubanel a-t-il pu croire rester confidentiel en éditant juste pour les amis ? C'était trop risqué. Avec trop d'amis, l'amitié ne peut que s'évaporer, ne plus rien valoir. C'est une amitié facebookienne dirions-nous aujourd'hui... Une folie alors de confier un secret impossible à garder secret, il suffit d'une imprudence, d'une langue trop bien pendue, sinon d'une malveillance de faux ami... 

Teodor_Aubanel Domaine public Photo de Walden69 (2006) ? 

Son exaltation pour la grenade aux « mille jolies sœurs couchées toutes ensemble... », ne lui a pas servi de leçon... À se muer en ogre des contes contemplant les lits alignés où reposent ses proies endormies, Aubanel doit chercher refuge de l'autre côté du Rhône, dans la garrigue de Villeneuve-les-Avignon où, au-delà de la Montagne des Chèvres (aujourd'hui rattrapée par le béton, avec un lycée), il achète la Carlisle, le Mas de Carles actuel.  Il y meurt en 1886, un an plus tard, avant son cinquante-huitième anniversaire. 

Finalement, la sincérité d'Aubanel sur la nature profonde des mascles trop masculins depuis des millénaires, un trait si rémanent d'une désinvolture coupable jusqu'au mépris porté à une féminité décrétée inférieure, amène à réfléchir sur les rapports entre sexes suivant qu'on les dit opposés, ennemis ou complémentaires, suivant qu'on considère inégaux, disproportionnés, dominateurs ou consensuels les besoins sexuels du genre humain.