samedi 13 août 2022

"La Terre est bleue comme une orange" Paul Eluard.

 Alors, les pieds tanqués dans ce Golfe du Lion en partage, à tirer en arrière ce tenillier des temps nouveaux, ridicule au point de ressembler à une épuisette de gosse, du genre pousseux, contraint qui plus est par un règlement draconien interdisant de se harnacher, parce qu’à force de ne pas aller contre le pillage des professionnels, les autorités l’ont plus facile (comme pour les impôts) de frustrer le vulgum pecus. Oublions. Si labourer le sable est presque un crime aujourd’hui, la lente progression n’évoque pas que la dure condition des travailleurs de la mer si bien nommés par Victor Hugo, dont Yves le pêcheur. 


En effet, pour le plaisir d’une poêle de haricots de mer, libre à nous de voir, jusqu’à l’horizon, celui à poursuivre dans une quête pas si vaine que cela puisque le regard porte au large vers les profondeurs de nos pensées. La beauté de la planète de vie, la présence éphémère des Hommes, l’éternité de la mer. Le ciel offrant son bleu lumineux à la Méditerranée, ces ronds de chaleur qui tournent dans nos yeux tels ces cieux de Van Gogh et, dans le Golfe, ces éclats, ces reflets, bordés de boucles claires d’écume, où dansent des voiles, de plaisir certes, mais toujours aussi blanches.

La Terre ? la terre ?  majuscule ou non ? Bien sûr que si... c'est un élève qui me l'a appris, il y a près de trente ans... leçon inoubliable... un prof se doit de rester modeste... Quant à Eluard, trêve de surréalisme, à propos de notre planète il faut la majuscule ! 

Et tout au bout là-bas, toujours dans un bleu mais qu’un temps de mer idéal estompe et teinte de gris, la pointe des Pyrénées au cap Béar sinon Cerbère et peut-être, déjà en Catalogne, le cap de Creus. L’Espagne voisine, cousine, qui nous est chère pour le dépaysement qu’elle procure, l’authenticité due à un régime politique sévère, asservie qu’elle est par la dictature franquiste (jusqu’en 1975), comme elle le fut, de longs siècles durant, par la noblesse alliée à l’Eglise. Avant de profiter, plus loin, de la Costa Brava, de Barcelone et d’incursions plus lointaines, le rapprochement initié par la forte présence espagnole dans nos départements du sud vaut une prise de contact pour tâcher de savoir qui est l’autre plutôt que de le côtoyer sans se soucier de son altérité. Les premiers pas se font du côté de Port-Bou, Rosas, Figueras, et bien sûr La Jonquera, le Perthus.  

Par dessus la ligne de crête, le peintre Dali, le sculpteur Maillol et les fauves à Banyuls (Matisse, Derain, Braque...), le passeur, berger des abeilles d’Armand Lanoux, Antonio Machado venu finir de tristes jours d’hiver à Collioure, pourtant un si beau site, inspirant, entre autres, les cubistes... Toujours, sous le « clocher d’or » mais aux beaux jours, Charles Trénet, pour la sardane. Toute cette Côte est Vermeille avec Port-Vendres, Banyuls, Cerbère.

Au pied des Albères, Le Boulou, Amélie pour les bains, Céret pour les cerises, le sillon du Tech, les artistes Manolo et Picasso, à Thuir, la plus grosse cuve du monde, Pablo Casals à Prades, la vallée de la Têt, les pêches de l’été qui se vendaient jusque chez nous, sur la plage du camping sauvage, par cageots (on ne disait pas « plateau »).

Pyrène, Cerbère, une mythologie sur laquelle règne le mont Canigou qui s’éclaire chaque année des feux de la Saint-Jean. Il ne domine pas que le Roussillon, l’Empurdan : on le voit depuis la Costa Brava, depuis nos rivages méditerranéens, du haut du Mont Aigoual et, par temps clair, depuis Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille ! Bonne Mère !   

Le Conflent : à deux pas de Villefranche, la vieille ferme des parents d’une amitié aux heures comptées... Que reste-t-il des pages qui se tournent ? Les mots sur le papier sont moins volatiles que les électrons octets, bits et pixels... pardon de tout mélanger mais de simples hectares me donnent déjà à réfléchir... 

"... Tu as toutes les joies solaires
Tout le soleil sur la terre
Sur les chemins de ta beauté." Paul Eluard. 

Alors, sans la Terre majuscule, où serait la terre minuscule, marron, de la planète Bleue ? Orange il a dit le poète ? sûrement pour le fruit venu d'ailleurs, rare, précieux, unique cadeau que le Père Noël portait...   

vendredi 12 août 2022

LE PÊCHEUR DE TENILLES

 L’eau est froide. On dirait qu’elle crispe chacun des pores, qu’elle horripile chacun des poils. Il est tôt ce matin, plus encore si on considère la montre avec un tour d’avance sur le soleil (années 50-60). Ici on parle d’heure vieille. Vieille ou nouvelle, il faut y être, tôt, à l’instar des opiniâtres convaincus que la vie ne peut se gagner qu’à la sueur du front et qu’il est mauvais de flemmarder au lit. Même la religion affirme que ce qui tombe du ciel ne peut être que de l’ordre des nourritures célestes. 

Yves le pêcheur s’accommode de cette vérité première : mieux vaut en adopter les principes que réaliser qu’on y est soumis. Au petit matin, il a souqué ferme et traversé le fleuve avant de récupérer son vélo à peine caché au pied de la bâtisse du Chichoulet, un petit mas sur l’autre rive. Et le voilà parti sur son bicycle grinçant, sans frein, rouillé plus encore par les bruines salées de la mer que par les pluies ; fixé au cadre et sur le porte-bagages, l’engin de pêche et les sacs de jute pour rapporter le produit de ses efforts. 

D'après photo. 

Mais qui a été le premier à trouver la ressource ? A qui a-t-il confié sa découverte ? Qui a vendu la mèche ? Encore faut-il être courageux pour la récolter cette manne ; se lever tôt pour écouler la production au meilleur prix, l’offre et la demande sans l’avoir formalisée dans des études en classe. L’école ? Yves ne voulait plus y aller ! Marin-pêcheur depuis l’apprentissage, autant se mettre à son compte. Pour faire bouillir la marmite il cale son vélo sous un tamaris. Ensuite l’eau froide qui pique les jambes puis glace le ventre ; faut être rude ! C’est qu’il faut le rejoindre, loin au large, le banc de sable, sans avoir pied, chargé de l’engin. Sans combinaison comme aujourd’hui. C’est qu’avec un gisement exceptionnel, on en fait trois fois plus en trois fois moins de temps : vingt-cinq kilos environ en une heure et demie ! Griserie des sous qu’on va ramasser... Porté par son souvenir, il a dit « C’est le Mexique ! » Encore faut-il le gagner, cet eldorado, chargé du butin mais fatigué, frigorifié, à la limite de ses forces pour regagner le rivage. "Fallait être jeune !" ajoute-t-il quand même. 

Yves... quelques années plus tard... 

J’y suis, mais en touriste, seulement à supporter l’eau froide qui pique jusqu’aux genoux. Les tenilles ne baraillent (1) qu’avec le « Nord », le vent de terre, forçant jusqu’à s’appeler Cers, cousin germain du Mistral. Même cette situation a changé : de plus en plus de vents marins, de moins en moins de ce « Cercius » des Romains, chassant les miasmes, purifiant l’air et pour cela honoré dans un temple non loin de Sallèles-d’Aude. La mer va mal, passée par pertes sans profits... Finis ces arrivages de poissons bleus, sardines, maquereaux, anchois, qui faisaient le bonheur de toute une population adaptée aux ressources locales, synchrone avec la ronde des saisons, le cycle naturel, profitant avec modération des ressources de la planète... oh la tranche de thon, et sa sauce tomate, de temps en temps avant qu'on aille  trop loin dans une prédation déraisonnable. Finis ces bancs de tellines, ces cranquettes (2), crabes verts sinon enragés, qui, à l’occasion, avec les étrilles nageuses donnaient une soupe si goûteuse. Désormais, la mer semble morte, le peu de coquilles desséchées sur l’estran en atteste. Et pourtant, parce qu’il est au bout du connu, nous l’aimons ce présent sans lequel le futur ne se projetterait pas. Il porte le passé, il porte les bonheurs qu’on n’a pas su apprécier, pourtant plus forts que les malheurs que le temps, heureusement, émousse ; il est en train de mettre à nu le délire mortifère du système économique de la mise à mal, par une minorité, de la survie de tous... ne parlons pas de cet anachronisme barbare qui nous fait retomber dans une guerre si proche.  

(1) varaia, en occitan = se promener, s'agiter, rôder.  

(2) de cranquièiro en occitan = lieu où on trouve des crabes.