samedi 2 avril 2022

CHEMIN D’ÉCOLE (8) je fais du sur place.

Je n'ai plus rien ! Complètement dépouillé, par ma faute, qui plus est. Voilà plus d'un mois en arrière, alors que je me devais d'aller à la rencontre des miens (quelle petitesse de n'être pas motivé par l'importance de ceux qui, bien que disparus, restent une part de nous-mêmes... un critère marqueur de notre espèce je crois, même s'il n'a pas à nous rendre supérieurement prétentieux à l'égard des animaux), les miens donc, ces Peyre, ces Dedieu atterris je ne sais pas plus quand (vers 1890 ?)  que comment, en pleine Clape (ça je le sais) après avoir quitté la misère des montagnes d'Ariège trop lourdes d'enfants (ça j'en suis presque certain), j'ai perdu la fin, un paragraphe sur mon grand-père, un paragraphe que je pensais inspiré... Or il suffit parfois d'un "couper" non suivi, pour des raisons diverses, inadvertance, distraction, d'un "coller" pour perdre un paragraphe précieux. Enfin, cela conforte dans l'idée de ne pas seulement noircir la page blanche puisqu'il en coûte de coucher sur le papier... Pire, concernant mes pertes (c'est l'âge me diront les cruels...), alors qu'enfin, endossant la responsabilité, je ne refuse pas l'obstacle, force est de réaliser que j'ai perdu aussi mes notes, en particulier sur le domaine des Karantes, la propriété où mes Ariégeois arrivèrent. Pour voir si l'Internet peut y remédier, au moins en partie... Et puis il faut que je retrouve aussi le fil de mon propos... A tout à l'heure, donc, pour un point d'étape... 

C'est un petit vallon qui descend de la garrigue (voir Partager le Voyage: CHEMIN D’ÉCOLE (7) Depuis la côte cette fois... (dedieujeanfrancois.blogspot.com)), un thalweg qu'on oublie alors qu'il se confond avec  les étangs des Exals, en réalité des yeux-de-mer, cachant sous la surface des exsurgences karstiques. Il n'est pas inutile de le savoir à la vue de cette belle eau plus douce que salée, du moins en surface, même si la mer s'aventure jusque là pour le plus grand plaisir des pêcheurs de lisses ou dorades. (voir Partager le Voyage: CHEMIN D'ÉCOLE (6) Depuis la côte... (dedieujeanfrancois.blogspot.com)). 

Mais quel lien avaient mes aïeux, dont mon grand-père, avec la mer ? Je ne saurai jamais. Nous ne saurons jamais. Je ne peux qu'imaginer que, soumis à une vie rustique, les ressources du littoral à proximité (aide pour la pêche à la traîne, maraude en suivant le bord et visite des mares ou flaches passagères suite à un coup de mer) devaient être aussi appréciées qu'aléatoires. Et les garçons ne s'autorisaient-ils pas à être aventureux ? Dommage de ne pas romancer... 




 

Il faut laisser le grau, le chenal, les yeux-de-mer des Exals derrière, pour monter vers cette métairie, enfin, cette ou ces bâtisses où logeaient des ouvriers agricoles, du temps où la population rurale se comptait nombreuse. La vigne occupe le fond du vallon tandis qu'une profusion de pins s'est installée près des étangs. Tout autour et plus encore en pénétrant dans la Clape, par contre, seule une végétation rude et piquante de kermès et de romarin s'accommode des croupes calcaires déshéritées. Et s'il est possible de parler du cadre, du site, du paysage, c'est que, contrairement, côté Fleury, à l'impression cheval de frise, hérisson tchèque (la guerre en Ukraine infuse), du Courtal Naou-Bugadelles se défendant des "envahisseurs" avec du grillage et des panneaux tendancieux Partager le Voyage: CHEMIN D'ÉCOLE (2) Nantis, manants, chasse et culture... (dedieujeanfrancois.blogspot.com), le Château des Karantes n'étale aucune prétention de possédant ; à peine un panneau peu voyant sur un versant de colline. Ce n'est pas pour autant qu'on doit se comporter comme sur le domaine public, le Conservatoire du Littoral par exemple, à l'Oustalet, à l'autre bout de Saint-Pierre-la-Mer, raison pour laquelle j'ai à peine salué le groupe de promeneurs manquant de discrétion, parlant fort de divaguer où bon leur semble, comme en terrain conquis. Quitte à me méprendre (eux avaient peut-être acheté du vin...), marquant néanmoins la distance, je les ai laissés là où se vautrait le gros serpent d'irrigation au goutte-à-goutte. 




Je pressai d'autant plus le pas qu'au-dessus d'une légère montée, sur le bistre de la sécade, le jaune des fenouils et le vert des pampres, se dessinaient les contours un peu à contre-jour du gîte où la pelote familiale s'était jadis emmêlée en une perruque inextricable pour mieux résister au stress de l'exil. Après tant d'années d'une apparente indifférence, de l'écheveau j'allais enfin reprendre le fil que tirait mon père pour ne pas rompre une attache  à passer, un jour, à mes fils ou plus loin si la Terre ne nous a pas effacés de sa surface... 

mardi 29 mars 2022

"Tiens, voilà du boudin..." Un "RUSSE" à Pérignan (7)

"... Joie du retour, certes, mais quelle vie ! La guerre est passée par là. C’est maintenant la guerre civile qui commence : une misère noire s’installe dans le pays. Quel malheur ! Plus question de manger à sa faim, de demander du travail quelque part. Il faut s’ingénier à subsister dans un climat de haines, de vengeances personnelles perpétuelles, d’instabilité complète. Tristes jours ! Sombre époque ! Et on se plaignait avant !! Cependant, la guerre, cette tuerie interminable, continue toujours. Septembre 1918 : offensive de Franchet d’Esperey en Macédoine, et armistice, le 29, avec la Bulgarie. Les troupes françaises sont à Odessa, cette belle ville modernisée par un Français, le duc de Richelieu (non, pas le Cardinal, « l’autre »…) 

Odessa_downtown Palais de Justice and Pantelimon Church, Odessa, Russia, (i.e., Ukraine) unknown author

Et Porphyre lui aussi est à Odessa, à la recherche d’un travail qui se dérobe, acceptant quelques petites tâches à droite et à gauche pour ne pas mourir de faim. Car on en est arrivé là. Quant aux habits, mieux vaut n’en point parler. 

France_-_Foreign_Legions 1917 - 1918  Author unknown or not provided

Pourtant, certains sont bien habillés, sanglés dans leurs uniformes rutilants, coiffés d’un képi blanc : des Français, dit-on. C’est la Légion ! Eux au moins sont bien nourris. Si la guerre a provoqué beaucoup de morts, eux profitent à présent de la vie. Porphyre va rôder près de leur caserne. Tiens, une affiche écrite en russe : on demande des engagements de jeunes Russes. Ce serait la vie assurée, le gîte et le couvert, l’argent peut-être, l’habit sûrement. Prestige de l’uniforme… Il en parle à des copains. Et si on se renseignait plus amplement ? Les renseignements arrivent : il faut « en prendre » pour cinq ans. Après sept années d’armée !... Mais cette misère, à côté de ce bien-être… La tentation est trop forte. Il n’est pas le seul, oh ! non, ce jour-là ils seront trois cents. Et Porphyre va signer. Deux ou trois jours plus tard, c’eût été impossible : les mères russes ont organisé une pétition pour arrêter cette hémorragie, et la demande vient d’aboutir ; les enrôlements sont suspendus sine die.

Mais Porphyre, lui, a franchi le pas. Le lundi, il se présente à la caserne. Nous sommes le 30 mars 1919 à Odessa. Il a signé. Le sort en est jeté.

Partir encore. 

Son numéro d’incorporation : 44 795. Le voici donc au premier régiment étranger, dans la Légion Etrangère A ceux qui, comme lui, offrent ainsi leurs services à la France, celle-ci ne demande (il l’apprend tout de suite) aucun état civil officiel. Ils peuvent prendre un autre nom. Vous voyez « Pantazi » devenir « Müller » ou « Dupont » ? Et « Porphyre » se changer en « André » ou « Paul » ? Non, l’idée ne l’a même pas effleuré, lorsque le sous-officier qui recueillait les engagements lui a lu, dans un mauvais russe, cette clause inattendue. Il n’a rien à cacher : il garde son nom, son vrai nom. Pour en changer, il doit falloir une raison bien forte.

Le lendemain dans son nouvel uniforme de légionnaire, rassemblement dans la cour. Hier soir, le repas a été bon. Pensez, un morceau de viande ! Voilà bien longtemps qu’il n’avait eu l’occasion de s’en mettre sous la dent. Ce matin, le « jus ». C’était plutôt du café noir, avec un morceau de pain et même une espèce de confiture. Presque le Pérou par les temps qui courent.

Mais il écoute, au garde-à-vous, ce que leur lit, leur crie presque un sergent. Tiens, lui n’a pas du tout d’accent, il est à l’aise dans son russe. « La France vient de vous donner la possibilité d’une vie nouvelle, à condition de respecter le contrat qui désormais vous lie à votre nouveau drapeau, dont la devise est « Honneur et Fidélité ». Les couleurs de la Légion sont le vert et le rouge, et son insigne est la grenade à sept branches. Vous apprendrez à aimer votre nouvelle vie et votre nouveau régiment, qui deviendra pour vous une seconde famille. Tenez-vous prêts pour ce soir seize heures. A dix-sept heures, nous embarquons pour un petit voyage. Rompez les rangs ! »... "

François Dedieu. Caboujolette / Pages de vie à Fleury II / 

Prolongements : 

Du boudin ? comme à la maison, les charcuteries hors de portée, pendues au plafond ? "Tire lui la queue il pondra des oeufs... combien en veux-tu ?" Entre nous, on la chantait cette comptine que je croyais "contine" parce que non sans rapport avec les contes sauf que là c'était pour compter, se familiariser avec les chiffres. 

"Tiens, voilà du boudin..." c'est la chanson des légionnaires et, adieu le petit cochon, le boudin est la couverture enroulée qui fait partie du barda, portée en bandoulière. 

Quant au non moins fameux képi blanc, il n'a fait son apparition officielle lors de la commémoration de Cameron, que le 30 avril 1931. A Odessa c'est le képi rouge (ou bleu ?) que Porphyre a vu sur la tête des permissionnaires en goguette.   

1988 in Odessa Author Bärbel Miemetz