vendredi 23 juillet 2021

QUAND NOUS PARTIONS PÊCHER A AUDE, A BICYCLETTE (2)

Descendre dans le lit de la rivière, parce qu’on dit «la rivière», mot plus famille, proche, alors que dire «le fleuve» marquerait une certaine distance, une expropriation presque, sinon un brin de prétention, révèle comme un retour à l’animisme originel (1).

Descendre le pied léger, en parlant bas, ce n’est pas seulement parce qu’il faut être le plus discret possible, c’est aussi parce qu’en regard de cette eau qui n'arrête pas de passer, un respect instinctif atteindrait presque au culte. La rivière forme un monde clos, véritable oasis par l’été rogue du Sud, trop chaud, trop sec, trop cuisant. L’impression est diffuse mais réelle sauf que nous ne sommes pas là pour les mots qui disent la sensation brouillée qui nous frôle telle un amour révélé de jeunesse... «Sensation», la sublime ode à l’homme dans la nature signée Rimbaud, l’exprime trop bien. Sauf qu’on est là pour les poissons. Alors, même si Rimbaud nous engage pour une ébauche, la palette de mots pour peindre la magie de notre rivière reste limitée. 




Concernant le tunnel de verdure avant d’aborder le milieu saumâtre, nous parlons de canotes pour les sénils des roselières, de tamarin pour le tamaris les pieds dans l’eau, de carabène pour le grand roseau dit aussi «à quenouilles» ou «canne de Provence», celui qui donne les anches des clarinettes, ou refendu, forme les canisses. 


Et on ne sait pas le nom de ces arbres altiers qui leur disputent les berges. Dit-on peuplier ? «Arbre blanc» ? Même pour le vent, comme par répugnance à dire «Cers», on se satisfait du «vent du nord» au temps où les bavards de la météo venue d’en haut ne se rengorgent pas tous azimuts de tramontanes multiples quand ils focalisent sur le soleil du Midi et la mer des vacances... Passons, restons au milieu des années soixante... si le Marin et le vent d’Espagne savent être symphoniques, le Cers, lui, touche au philarmonique ! Il faut l’entendre caresser les houppiers, obliger les canotes à baisser la tête pour balancer en vagues tandis que les chasseurs d’Afrique et les hirondelles glissent leurs trilles et babils. Plus fort, il brusque les feuilles des arbres blancs et fripon, dévoile la ouate de leurs dessous. Violent, en rafales, le Cers entrechoque les tiges creuses des colonies échevelées de carabènes poussées, pour celles des «... humides bords des royaumes du vent...» jusqu’à noyer leurs pointes. Un gros poisson saute parfois et ajoute un flap de grosse caisse... Justement, on est là pour les poissons et ces sensations, adagio, moderato, allegro ou presto ne peuvent qu’infuser avec le temps.

Sans plus tarder, le lancer se déplie, le buldo se remplit moins ou plus... On vérifie que la cuillère à muges tourne bien sur sa hampe, apte à lancer ses éclats sournois... L’escabène pantelante cache le crochet meurtrier... Suivant la partition jouée par le vent, on entend plus ou moins le clic de l’arceau ouvert, la parabole du crin qui se dévide, le plouf du buldo, le clac du moulinet qui se referme pour rembobiner. Avec l’habitude, le bas de ligne doit tomber au ras des canotes ou près d’un tronc immergé qui dépasse : les muges aiment ces proximités. Certains spécialistes, les mêmes capables de lister les noms scientifiques alors que nous ne distinguons que la lisse argentée du camard doré à l’odeur peu goûtée de vase, expliquent que ces poissons aiment brouter la mousse bien verte des petites algues. Bref, il faut le surprendre, le provoquer pour qu’il attaque... (à suivre peut-être)   


(1) D’instinct l’humain s’efface devant l’élément. En dépit de son acharnement, il ne peut le dominer : les barrages cèdent parfois, les inondations catastrophiques le surprennent régulièrement, l’eau emporte et les gabions de caillasses et les limons un temps offerts. Pourtant son obstination l’incite à s’accaparer, ainsi il va aménager certains postes de pêche, tailler des marches, ouvrir les sénils, se l’approprier en quelque sorte, serait-ce provisoire... Aussi, quel n’est pas son dépit si la place est déjà prise...  A propos, au bord de la rivière, n’empiète-t-on pas sur la propriété d’autrui ? Non, elle est domaniale donc publique sauf qu’on passe par un pré ou le bord d’une vigne pour y accéder. Ici pas de clôture pour dissuader, pas non plus de bétail à garder il faut dire... 


 

mardi 20 juillet 2021

QUAND NOUS PARTIONS à AUDE, à BICYCLETTE... / Fleury-d'Aude en Languedoc

Ils sont deux, ils sont trois, ils sont quatre, au plus ils sont sept vélos à partir, à la fraîche, à descendre vers la plaine, vers la rivière. La manne, ce sont les bancs de muges de l’été, plus ou moins en amont dans l’Aude. Lancers et salabres accrochés aux cadres, et même un rabassier (1) que l'un d'eux fait suivre, ils descendent vers les coins les plus courus, ceux où l’on croit prendre plus de poisson, qu’il faut occuper et garder au plus tôt. Les places sont chères : il faut y être avant les autres quitte à ne rien prendre avant le pic de onze heures, sinon, mais par exception, un loup matineux en chasse au ras des sénils (2). 
 
Fleury,_Chapelle_Notre-Dame_de_Liesse wikimedia commons Author Rauenstein
 
Les corps n’ont pas le loisir de se réchauffer que dans la descente de Liesse, le froid de la vitesse pénètre à cause de la laine avachie du pull des jeudis. On laisse la chapelle dans la sérénité solennelle de la vaste plaine par un matin promettant une journée d’été. 
 

Avant le pont qui à cet endroit marque la frontière avec le village voisin (3), un chemin vicinal s’engage vers l’aval et suit la rive droite du fleuve. De suite, une impressionnante protection de gabions, étonnante construction en gradins démontrant l’obstination de l’homme contre la puissante permanence de la nature tient à empêcher la terre de partir avec l’eau. Et c’est beau en prime, cette combinaison entre ce treillis de fer grillagé, à la fois léger mais ferme et, emprisonnées, ces tonnes de caillasses cassées dans le fréjal, ce calcaire gris-bleu des plus durs (4). 
 
L'Horte de Lamy.
 

Méfiance, des fois qu’il y aurait un chien, en passant juste devant l’Horte de Lamy. Avec celle dite d’Andréa, au-dessus du pont, rien d’étonnant si les limons apportés par le fleuve favorisent une production maraîchère et les arbres fruitiers. 

L'Aude à la Barque Vieille. 

 
La "bergerie de brique"

Le cabanon "de la treille"... morte cette année...

La Barque Vieille, Joie, la bergerie de briques, la campagne de Georges cherchant l’ombre des grands figuiers immédiats, le charmant cabanon de la treille : souvent l’équipe rejoint La Pointe pour remplir le pot commun d’escabènes (5). 

Juste avant la Pointe, le chemin.
  

Sous les tamarins (tamaris) de la rive, la lame du rabassier prélève un gros pavé vaseux à fragmenter pour prélever, sans les casser, les vers dans leurs galeries. Pieds nus, dans l’eau parfois jusqu’aux genoux, l’officiant présente les mottes aux servants qui brisent et fouillent. Les plus volontaires se démarquent de celui qui ne veut pas se salir les doigts, celui qui lors de la partie de pêche va dire, en masquant l’hameçon avec la plus grasse des esches «cal sarci lou crouquet», il faut bien garnir le crochet. Mais la complaisance des copains d’abord fait qu’on ne critique qu’à mots couverts et pas devant lui.   

Ensuite c’est l’installation sur le coin de pêche, la descente du talus, le pied léger, à voix basse, plus par respect pour la rivière, on dirait, que pour ne pas faire fuir les poissons. (à suivre... peut-être...) 

(1) Sorte de houe pour biner, sarcler.

(2) Roselières

(3) Sinon c’est l’ancien lit du fleuve, divaguant plus au nord qui délimite les départements de l’Aude et de l’Hérault, ce que les ignorants en géographie historique veulent faire passer à tort pour une occupation illicite des Audois ! 


(4) Le grillage, les caillasses, le chemin empierré au dessus, tout est parti depuis dans la rivière avec le limon seulement prêté pour un temps... Pas de photo de ce mur cyclopéen, dommage... Seul point positif maintenant qu’on ne peut passer qu’à pied ou à vélo, la tranquillité pour les estivants qui viennent ouvrir l’Horte de Lamy, l’ancienne ferme ouvrant à même le chemin (liée peut-être à l’origine à un certain «Barthélémy»).

(5) Certains l’assimilaient par erreur, en français, à l’arénicole des pêcheurs, c’est une néréis... Avec des conditions autres de pollution et de pesticides vivent-elles toujours dans le même biotope ?