lundi 1 juin 2020

L'ESPAGNOL / Bernard Clavel, Jean Prat.

L'Espagnol ! 

Qu'il sonne ce nom quand on est du Sud puisque leur immigration est aussi sobre qu'ancienne... Et comme il fait sonner faux l'ouverture contemporaine tous azimuts au nom de principes aussi aveugles qu'éculés. 

Qu'il carillonne ce nom au souvenir de ces colles de vendangeurs dignes et qui apportaient dans nos villages centrés sur leurs vignes un exotisme, un intérêt et une acceptation de la différence. 

Qu'il est poignant ce tocsin lorsque 450.000 Républicains passent en France lors de la Retirada pour être hébergés si indignement. 

Pourtant, en dépit de notre veulerie gouvernementale (malheureusement c'est un travers récurrent de nos politiques), les rapports entre humains eux, rapprochent et savent être généreux. 

Pablo et Enrique sont réfugiés. Ils arrivent dans le Revermont, sur les premiers contreforts du Jura, pour les vendanges. Si Enrique, obnubilé par la lutte contre les fascismes ne s'attache ni aux gens ni au pays, ce ne sera pas le cas de Pablo. 

Quand on aime la terre et qui plus est quand ce sentiment devient passion parce que la vigne sous n'importe quelle latitude sait nourrir un amour paysan exclusif et parce que Bernard Clavel a su si bien dépeindre la réalité des relations humaines, la mentalité petit propriétaire, les rapports de couple ou homme-femme, ceux intergénérationnels avec des vieux aussi dignes que respectés (un abime avec leur situation en EHpad et le covid... terrible la régression !), la vie familiale avec une fille trisomique. 

Une histoire, un livre formidables avec en prime, ce qui est rare, une adaptation magnifique de Jean Prat à la télé (disponible sur le site de l'INA).
Jean-Claude Rolland qui joue le rôle de Pablo s'est suicidé en prison alors qu'il ne s'agissait que d'une banale pension alimentaire non versée... 

Et quand on est pour les sensations fortes et non pour une ligne de vie plate, L'Espagnol, le livre, son auteur et le film vous font vite passer d'un pic d'exaltation à un repli de détresse... mais sans ces forces qui déstabilisent, remettent en question et obligent à plonger au fond de soi, que vaudrait la vie ?  


dimanche 31 mai 2020

DIX ! Tu es limité à dix ! / Livres qu'on aime

Le rapport n'en est que lointain mais je pense au jeu du facteur qui dépose un foulard dans le dos d'un des enfants assis en cercle. Celui-ci devient facteur à son tour, s'il n'a pas été rattrapé et éliminé. Ici, une amie choisie pour chaque jour publier la couverture d'un livre apprécié, m'a désigné pour en faire autant. Si ça vous dit, postez en commentaire et je partagerai...   

Le confinement fermant nos sentiers battus, ce fut une vraie aventure intellectuelle de faire connaissance avec Cendrars Blaise. Une modernité d'écriture avec des phrases à rallonge garnies qui plus est de digressions multiples. Un style qui vous prend d'autant plus au collet quand on ronronne plutôt avec des auteurs moins originaux. Vraiment une "patte" pour celui qui perdit le bras droit à la guerre, un écrivain marquant du siècle passé pour une invitation au voyage unique.


 Pagnol, incontournable, avec ses collines qui sont le pendant de la Clape, la mer aussi, le port, le bateau. Hier, avec Cendrars je bourlinguais d'escales en escales. Aujourd'hui, avec Fanny, c'est un vapeur qui part, emportant Marius. L'idée du bateau qui part est aussi infinie que la ligne d'horizon toujours plus loin. Elle résonne telle une corne de brume qui insiste puisque dans ma famille on part loin, de l'autre côté des mers. 1953, fin mai, expatriés, nous partions pour le Brésil...




Je suis amoureux et je la cherche même si elle est à côté, dans mes rêveries, ou mes balades en solitaire. Nous sommes les protagonistes principaux du Mas Théotime. Un domaine, une campagne que l'on voudrait douce, car dans le Midi. Mais virant à l'amer, trop cuite sous le soleil. Le sentiment au bout des doigts se fend, comme le sol se crevasse. A l'image du nuage noir pour seulement quelques grosses gouttes, des lèvres ne feront que s'effleurer, légères, irréelles. L'amour ne lèvera pas jusqu'à ne plus lever. Point de non-retour. Mais "On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans..." 

La fille du métayer est douce et d'une beauté qu'on ne savait voir, elle sait attendre, elle, et la moisson et les vendanges. Renaissance pour la terre et la femme fécondes. 

Puis parce qu'un virus me confine où s'est endormie ma prime jeunesse, j'ouvre le livre en moquant celui que j'étais "Bien sûr que je croyais seulement être amoureux, bêta que j'étais !". Sauf qu'au fil des pages, elles se font plus difficiles à tourner, plus lourdes de tout ce qui revient en mémoire, clair comme l'eau du puits, au mas Théotime. Au seuil d'une histoire qui n'a pas fleuri, je la cherche même si elle est loin... Est-elle vivante au moins ? Son allure, son visage, son sourire sont là, nets dans mes limbes... On n'est pas plus sérieux à soixante-huit ans... 

Je m'en défends, je me veux raisonnable, je me dis que ce n'est qu'une quête "esthétique". Je m'en vois attendri, pastel comme la couverture du Mas Théotime dans le Livre de Poche et d'ailleurs comme les deux qui précédaient dans cet exercice que j'ai accepté sans savoir qu'il m'emporterait.
"Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?.." demandait Lamartine à propos de tout ce qui compose sa terre natale. Sans lui faire injure, sous une autre enveloppe, concernant un ouvrage qui compte et sans l'ombre d'un doute, oui il "...s'attache à notre âme et la force d'aimer".