samedi 30 mai 2020

PARTIR (2) / Le train, le train-paquebot.

"Le lundi 1er juin 1953.
Bien chers Parents,
Notre voyage à Paris s'est bien effectué. Dès notre arrivée nous avons mis toutes nos valises dans un taxi (5 dessus, 2 dedans) qui, pour 400 francs nous a emmenés à Saint-Lazare où je les ai mises en consigne... " 


Le coupable revenant sur les lieux de son crime, 67 ans plus tard, bien sûr que je veux mieux comprendre et combler, essayer du moins, tant de flou et d'opaque entre quelques jalons plus sûrs...
Ce devait être le mercredi 27 mai, alors pas de changement d'horaire pour le paquebot comme indiqué sur le télégramme. Sommes-nous arrivés gare de Lyon ou à Austerlitz ? Gare de Lyon, c'est le Béziers-Neussargues-Clermont-Paris mais Narbonne a dû être le point de départ... Donc après Toulouse et Limoges une arrivée à Austerlitz ?
400 Francs le taxi soit 9 € actuels (convertisseur pouvoir d'achat Insee), ce qui pour deux adultes, les bagages et un bouchon de 2 ans et quelques mois, semble raisonnable. Mais toutes ces valises (ma mère dit qu'elle a eu la mauvaise idée d'emporter... un édredon ! Il fallait le faire à destination d'un pays tropical) ! 



"... je suis allé au ministère où l'on m'a remis nos billets et où j'ai rempli une fiche pour être remboursé des 10.806 francs de voyage et des 3.463 francs pour la caisse. Les billets pour Cherbourg étaient pour samedi 9h00, en seconde classe (2.938 f pour chacun)..." 

Les détails y sont... 122,50 euros Narbonne Paris, 79 euros pour la caisse. On ne peut pas dire que la SNCF pourtant nationalisée, pratiquait des prix plébéiens ! 34 euros seulement pourtant pour les 350 kilomètres ensuite pour Cherbourg... 

Film de promotion RATP pour le métro à pneus.

"... Vendredi matin je suis allé à la gare de Paris-Austerlitz pour retirer ma caisse et la faire transporter dans un taxi (il a fallu en trouver un avec une large porte arrière) à Paris-Saint-Lazare (350 f, 80 francs de porteur); j'étais ainsi libéré. Il ne manquait plus qu'à voir Monsieur Blancpain secrétaire général de l'Alliance Française... /... samedi réveil à 7 heures, départ au métro à 8h moins le quart. 8h 20 Saint-Lazare. Nos places étaient louées : voiture 7, places 22 et 24. Il s'agissait du train-paquebot de 9 heures. L'affiche indiquait "ALCANTARA". Je suis allé au wagon-restaurant avec le petit. Menu à 900 fr 80 francs pour une bière, soit 1000 francs. C'est vraiment trop cher bien que le repas soit bon : hors-d’œuvre - poisson aux câpres, filet aux champignons - Pommes de terre nouvelles frites -Glace vanille et chocolat avec gâteau feuilleté-Café..." 

Et maman ? 



"... Après Lisieux, Bayeux, Caen, Mortagne, Valognes, ce fut Cherbourg vers 2 heures et demie. Nous n'avions plus à nous occuper des bagages. La douane ne m'a rien ouvert, ce n'a été qu'une formalité. Le commissariat spécial de police a visé nos passeports..."

vendredi 29 mai 2020

PARTIR / NÉ QUELQUE PART, ÉMIGRANT, ERRANT...

"... Je suis né quelque part
Je suis né quelque part, laissez-moi ce repère
Ou je perds la mémoire..." Maxime Le Forestier

"Rien ne trace son chemin" (J.J. Goldman). Il est donc condamné à choisir par lui-même, condamné à être libre de choisir !  Rester ? Partir ? Vivre !

Des traces ?
"... Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins
Des chemins sur la mer..."
(Antonio Machado).

Cela explique-t-il que certains s'accrochent bec et ongles aux racines ? Au point de se couper de leurs prolongements de branches, de fleurs et de fruits ?
"... La race des chauvins, des porteurs de cocardes,
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part..."
(Georges Brassens). 

D'autres partent comme des graines au loin, de gré ou par force. Se coupent-ils pour autant de leurs racines ? Arrivent-ils à germer ? Ou attendent-ils le temps de revenir, le temps qu'il faut pour vaincre le "mal du retour", au sens premier de la nostalgie ?..  


1953. Fin mai. Jouant de malchance, tirant le diable par la queue, François emporte "sa femme" (c'était sans guillemets alors), son gosse, quelques valises, une grosse malle de livres et d'espérance. 

François part au Brésil.

La malchance, trois, quatre peut-être sept jours avant d'obtenir sa "carte orange de diplomate", il est expulsé de Tchécoslovaquie (mars 1950). Aucune indemnité en tant que victime d'une mesure de rétorsion, aucun droit à un nouveau poste ! 

Praha_1,_Karlův_most Wikipedia Author Tilman2007
La guigne encore pour un poste de traducteur d'allemand à Toulouse (ONIA). Deuxième sur vingt-quatre... Ils n'en prenaient qu'un et peut-être que le piston...
Ingratitude encore de la République qui ne l'a pas pris comme remplaçant aux Cabanes-de-Fleury, le titulaire étant en longue maladie. L'Inspection Académique a préféré une école sans maître !
Et Michelin qui l'embauchait pour s'occuper d'une succursale à l'étranger sauf que c'était à Prague. Impossible pour la "persona non grata" qu'il restait !
Et cette école libre de Rodez mais pour 13.000 francs mensuels seulement "...le directeur s'excusait lui-même pour ce salaire de misère..." ! 325 euros de 2019 !
Et encore le ministère "Vous êtes victime d'une homonymie" ! 
Survivre. Gagner Narbonne à vélo pour donner une leçon...  

Une petite chance, bien que modeste et tardive, ce poste de précepteur chez la Comtesse Anne de Romilly, au château de Saint-André-de-Sangonis.
Et enfin un coin de ciel qui s'ouvre, un poste au Brésil. Mais le jeune comte s'est attaché à celui qui enseigne et le mène, il reste manger surtout s'il y a du chou farci. Au point que sa mère voudrait même qu'il parte aussi au Brésil (13 mai 1953). 
Déchirure encore quand il faut quitter les siens pour des années (26 mai)...
   
 "... Y a des oiseaux de basse cour et des oiseaux de passage..." (M. Le Forestier). Il y a les migrateurs non, toujours à rejoindre un port, un havre ? Et ceux qui passent pour ne jamais repasser ? 


André est le frère de son grand copain, encore un François. Ils habitent dans ce même quartier haut, l'un la maison de Jean, l'autre celle d'Elise, dans ce faubourg au-delà des remparts de jadis, entre le cœur du village et les premiers coteaux de garrigue. Or André lui, va partir au Canada. A Montréal. Une transplantation  réussie, une greffe vigoureuse car voulue, jusqu'à assimiler la façon de vivre et même l'accent, ce que quelques imbéciles aussi heureux que méchants, comme dépossédés, en arriveront à lui reprocher... Une trajectoire plus qu'attachante qu'il faudra partager un jour...