jeudi 24 octobre 2019

A LA VIE, A LA MORT...DU PAIN POUR LE PEUPLE / Les vendanges à Fleury-d'Aude

A partir du 23 septembre, plus aucune donnée sur le journal des vendanges 1939. Il faut attendre le 8 octobre pour comprendre que la récolte se poursuit mais sur le journal pas plus d’indication de quantité que de qualité. Le bec dans l’eau bien que toujours dans l’ambiance de ce moment fort que sont les vendanges dans l’année, la vie et l’Histoire du midi viticole depuis près de deux siècles, dussions-nous regretter la tendance au productivisme reléguant dangereusement l’art de vivre au rang des inutilités oiseuses, je me suis laissé aller à compter les pages d’une correspondance avec mon père à Fleury. 

Plus de 2587 pages a minima, qui me font l’effet d’une consolation, d’un baume au cœur pour insensibiliser la déchirure non cicatrisée de la séparation, pour tenter de maîtriser positivement l’éloignement qui mine, l’absence qui fait mal.
Pour sûr, plutôt que de toujours relire les auteurs qui nous plaisent, ce serait dommage de ne pas reprendre aussi cette chronique certes personnelle mais, sur bien des points, à partager. Sur cette bonne intention, par désœuvrement sans doute, je me suis demandé ce que donneraient ces 2587 feuilles côte à côte, 21 centimètres chaque fois… Cela donnerait une ribambelle longue en tout de 543, 07 mètres. Et comme, par hasard je songeais devant un plan de Fleury, que ce demi-kilomètre de papier ne suffirait pas pour faire le tour du village (740 m.)… Dire qu’avec Toutou et la Moustelle, pour retarder encore le moment du coucher, nous le parcourions, la nuit, jusqu’à quatre fois d’affilée, dans des discussions sans fin, sans susciter le moindre souci chez les riverains… Il n’y a pas à dire, la vie était plus simple et plus tranquille alors… 

Sinon, en cette période de vendanges où le pain quotidien comptait beaucoup pour les efforts à fournir, ce désœuvrement  me fait aligner ces 2587 feuilles A4 pour rallier toutes nos boulangeries des années 60 qui travaillaient plus encor grâce à l'afflux des vendangeurs surtout espagnols. 



En partant du haut de la Terrasse, vestige du château, l’itinéraire commence étrangement par un passage couvert. Un étage de la maison d’Henri, nichée dans le coude et dessus, couvre la ruelle qui, n’en étant pas à cela près, décrit un coude à quatre-vingt-dix degrés à droite. En face c’est chez Maryse et Gérard. Au niveau de leur pas de porte en regardant vers la chapelle des Pénitents dont la cloche muette semble toujours vouloir nous dire quelque chose, encore des prénoms : Jean-Pierre, Francis, Josette, Régine, deux Louis, un Roland. 



Sur la Placette Alain et Christine, la Boulangerie-Pâtisserie d’Aimé Monestier. Continuons de descendre mais de suite à gauche passons sous ce porche qui ne peut pas mieux évoquer le Moyen-âge, sans les colombages mais les poutres qui soutiennent toujours une habitation ne manquent pas d’allure. Et là, la deuxième boulangerie du parcours, Théron le boulanger. Avait-il pris la suite d’un Soriano ? Encore des prénoms qui flottent bien que flous : Christian, Viviane ? A côté, Françoise… cette rue sur laquelle donne le haut de la perception retourne vers le vieux village au niveau de la tour Balayard (rue de la Tour, justement). 



Et là, dans ces années 60, entre le linge, les radios, les cris, les rires, les discussions bruyantes, les odeurs de cuisine, comme couleur locale, ce ne peut être que le Sud ! Et quelle ribambelle de garçons et de filles au cœur du village, le long de ruelles tortueuses qui ont valu au quartier d’être surnommé « médina » : Guy, José, un Gérard, un René, car d’autres suivront, Eliane, Francis, deux ou trois Christian, peut-être deux Paulette, Michel, Georges, Pierre, Serge…(à suivre).

mardi 22 octobre 2019

ÉCHOS DE VENDANGES ET PREMIÈRES SENTEURS DE CAVES / Les vendanges à Fleury.

Norbert et Mignon
Suite du carnet de 1939 :  

"... Dimanche 22 octobre (St Mellon). Aujourd’hui nous pressurons pour tante, puisque, cette année, du fait que l’oncle Noé est mobilisé du côté de Nice et Biot, nous vendangeons et pressurons ensemble. Tante demandait chaque jour à Norbert, à la vigne, si son père avait écrit. Mon cousin Norbert, à 15 ans, avait dû conduire le cheval et rentrer chaque jour la récolte vendangée et il s’en tirait, ma foi, très bien. Il faut dire que Mignon, leur cheval, d’un âge canonique, se montrait fort docile. Il n’empêche que le charretier était quand même bien jeune. C’est quand il revenait d’un voyage de comportes dans l’après-midi que tante Céline demandait des nouvelles. Presque toujours une lettre était là. Le soir, elle répondait, revivant l’époque déjà lointaine de ses dix-sept ans, quand elle allait se marier, pour le meilleur et pour le pire, avec son cher Noé qui revenait alors la voir, le plus souvent possible, depuis sa caserne de Lunel où il effectuait le service militaire..."
Caboujolette / 2008 / François Dedieu.  


Dans son roman, Les Vignes de Sainte-Colombe, Christian Signol n'hésite pas à présumer de la psychologie féminine lors d'un épisode de caponage : 

"... Charlotte ne put s'empêcher de penser à ce jour où, à treize ans, parmi les enfants qui jouaient à imiter les adultes, elle avait été mascarée pour la première fois par un fils de montagnard qui ne savait pas qui elle était. Ce qu'elle avait appris ce jour-là, elle ne l'avait jamais oublié, et elle se disait parfois que le meilleur de sa vie se trouvait sans doute entre deux ceps de son domaine, du jus de raisin plein la bouche, maintenue par des bras vigoureux, les yeux grand ouverts sur le feu du soleil et le regard de l'homme. Elle se demandait si ce moment, ce souvenir, ne serait ps le seul qu'elle emporterait, à l'heure de quitter cette terre... "