jeudi 18 avril 2019

DES PISTES POUR LA PARTIE ENTERRÉE DU DERNIER AFFLUENT (3ème partie) / Fleury-d'Aude en Languedoc.


Il y a un ruisseau, des ruisseaux... La proximité des forêts, le climat faisaient qu’il y avait un étang, un lac même avec des maisons lacustres. Puis les hommes ont détraqué la belle harmonie : plus de poissons dans l’onde claire, seulement les miasmes des eaux croupies. Mais comme, depuis toujours, ils ont l’air de vouloir remédier à leurs bêtises, ils ont décidé de drainer les marécages, d’assécher et de cultiver puisque les poissons n’étaient plus qu’un lointain souvenir.



Le problème est que la cuvette est encaissée avec, pour passer entre les pechs d’Azam, celui où allaient les radins qui ne voulaient pas payer au stade et celui de Montredon avec le moulin et sa terrible histoire, le seuil le plus bas à une quarantaine de mètres soit une bonne dizaine de plus qu’au guichet du terrain de rugby, au départ de l‘évacuation.



La solution ? un souterrain pour conduire l’eau ! Un aqueduc ! oh pas le Pont-du Gard même si les aménagements des villas des riches, des thermes (abstraction faite des conditions de vie du populus !) nous amènent à penser qu’à part ça, ils étaient  civilisés et évolués les Romains... Alors qui, sinon eux, pour des travaux aussi exigeants ? Hop hop, minute... à force de ne voir qu’eux, l’Empire, les légions, mare nostrum, on en devient injustes et on rabaisse les peuples qui les ont précédés ou ont été contemporains, souvent vaincus, ignorés et romanisés sous leurs fourches caudines. Et l’aqueduc souterrain de Fleury est à ce titre exemplaire serait-ce encore à cause de ce raisonnement biaisé ramenant toujours à comparer avec les réalisations romaines, dans cette tendance malsaine que nous avons à glorifier les impérialismes...



Au début du XXe siècle, Joseph Campardou, membre de la Commission Archéologique de Narbonne a publié une étude :  „Recherches archéologiques sur quelques étangs desséchés du département de l’Aude“. Il attribue l‘aqueduc souterrain de Fleury, entièrement bâti en gros appareil, aux Romains, aux premiers colons du début de l’ère chrétienne. (Bulletin de la Commission Archéologique de Narbonne, t. 13, 2, 1914). 



Dans „De Pérignan à Fleury“, le livre des Chroniques Pérignanaises, un travail remarquable (qui a inspiré et guidé cette série d’articles) a été fait pour raconter et expliquer l’aqueduc de Fleury. L’auteur de ce passage reprend un bulletin plus récent de cette même Commission Archéologique de Narbonne avec un avis de Laurent Ribero (1) différent de celui de monsieur Campardou, penchant pour une antériorité préromaine, entre la fin de la période ligure et le début de l’ère chrétienne“. L’argument serait le manque de précision, d’exactitude dans le tracé, la tendance à la facilité, le creusement dans les couches tendres plutôt que dures, une géométrie approximative, un tout peu compatible avec la rigueur et la volonté sans faille des Romains dans leurs réalisations. (Les Chroniques Pérignanaises (De Pérignan à Fleury / 2009) ont consacré quatre pages bien documentées sur l’Étang de Fleury ou de Tarailhan).   



„Période ligure“ ? On ne saurait être plus vague,  ne serait-ce que parce que les Grecs venus installer des comptoirs (2) désignaient par „Ligures“ les habitants bien sûr moins civilisés des rivages méditerranéens : Celto-Ligures entre les Alpes et le Rhône, Ibéro-ligures du Rhône aux Pyrénées... Avec les Celtibères ou encore avec l'évocation de la langue ibère (3) complètement différente des langues antiques, se confirment les complications dues aux brassages permanents des populations surtout dans la partie languedocienne, passage obligé entre l’Europe du nord et l’Espagne, la Méditerranée et l’Atlantique.



La prudence et la culture du doute prévalant en Histoire (ce monsieur Campardou est bien imprudent !), il n’est donc pas plus faux d’estimer que ce tunnel de drainage aurait été creusé entre moins 700 et la conquête romaine de la Narbonnaise (120 avant JC). Au Proche-Orient où la gestion de l’eau a toujours été cruciale, les Hébreux ont édifié des tunnels pour alimenter des villes fortifiées, au moins dès 700 avant JC, et la ville de Cnossos en Crète était alimentée depuis l’extérieur dès le deuxième millénaire avant notre ère... 

Pech Maho / Sigean /  Wikipedia Auteur ArnoLagrange

Depuis la hauteur de l'oppidum d'Ensérune / Nissan-lez-Ensérune / Commons Wikimedia Author logopop. 
  Devons-nous toujours rester conditionnés par un cheminement culturel contraint et limité aux racines romaines et grecques ? Il n’y avait donc personne avant les Hellènes et les Latins ? Pour quelles mauvaises raisons l’évocation des Elisyques, ce peuple des oppida dit "petit" (doxa partiale oblige) dont l‘existence a pourtant perduré du Premier Âge du Fer à la conquête romaine (4), ne reste-t-elle que confidentielle ? Ils étaient pourtant à Sigean (Pech Maho), à Peyriac-de-Mer (Le Moulin), à l’oppidum de Montlaurès (Narbonne, ville importante, riche et brillante bien avant la conquête des légions !), à celui d'Ensérune (Nissan) et au site de la Moulinasse, pas plus loin que Salles-d’Aude !


(1) Celui qui m‘avait impressionné, enfant, pour avoir exploré tant de grottes et avens dans la Clape dans les années 50 ?

(2) Fondation de Marseille – 600, installation des phocéens à Agde – 575.

(3) Qui aurait un rapport avec le basque.

(4) Sur cinq siècles au moins, dans la fourchette de temps qui nous intéresse, entre moins 700 et moins 120.

mardi 16 avril 2019

LE DERNIER AFFLUENT (2ème partie) / Fleury d'Aude en Languedoc.


Un cours d'eau part bien de "l’Étang desséché de Fleury" pour aller rejoindre l'Aude au nord de la Pagèze, au pied de l'ultime promontoire de la Clape. Carte de Cassini / XVIIIème siècle.

A cheval entre les communes de Narbonne, Armissan et Fleury, à une centaine de mètres d’altitude, le Ruisseau de Cascabel, empêché vers la mer, ne peut que s’épancher vers l’ouest.

Comme lui, de nombreux apports intermittents, liés aux orages ou aux aigats (épisodes méditerranéens), arrivent de la Cresse, cette échine aujourd’hui boisée mais longtemps pelée surtout suite à un incendie de l‘été (début des années 60), furieusement poussé par un Cers violent et qui a dévasté la garrigue jusqu’en haut de Saint-Pierre où des bouteilles de gaz ont explosé dans les baraques évacuées. 

Au loin la Cresse après l'incendie (début des années 60)

L'aspect pelé de la garrigue de Fleury (années 50).
 
La Cresse ( nov 2018).

La Cresse ; au fond le château de Marmorières (nov 2018).


Les pins ont recolonisé la garrigue, favorisés peut-être par l’évolution sensible du climat. En comparant les photographies de 1950 avec la situation actuelle, force est de constater combien la période récente a été favorable au pin d’Alep. A ce propos relire ces articles de novembre :



https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2018/11/les-envahisseurs-fleury-daude-en.html

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2018/11/les-envahisseurs-fin-fleury-daude-en.html   



Le Ruisseau de Cascabel devenu Ruisseau de la Cave Maîtresse, venu des garrigues des Bugadelles (est) contribue à alimenter l’Étang de Fleury. Y participent aussi les ravins venus de la Cresse (sud), au nord du domaine de Camplazens, ceux qui descendent des hauteurs de Marmorières et de la Font de la Lèque (sud-ouest). On peut citer aussi le rajol de la Combe du Léger, à mi-hauteur, à l’Est (voir sur la carte).  

Source IGN / Geoportail.


L’étang occupe une cuvette fermée de 200 hectares environ pour un remplissage moyen. Il devait être permanent puisque des vestiges d’habitations lacustres sur pilotis ont été trouvés au sud de Tarailhan. A l’Age du Fer, ce sont des coquillages, des hameçons et des pesons (poids) de filets de pêche qui ont été trouvés. La Clape était alors arborée de chênes verts et ce couvert forestier contribuait aux apports réguliers en eau de l’étang.

Ce sont les activités humaines qui ont perturbé ce bel équilibre. Les fours des potiers, des verriers, liés aussi à la production de chaux, nécessitant toujours plus de bois de chauffe, ont amené à la disparition des chênes (il en reste quelques ilots ça et là). La formation végétale qu’est la garrigue résulte de la dégradation de la forêt primitive de chênes verts.

Le lac poissonneux s’est peu à peu asséché puis mué en marais insalubres ; en réaction, les habitants œuvrèrent pour assécher, drainer, régulariser les excès et acheminer les eaux. (1)



L’étang en quelques flashs et instantanés sépia, noir et blanc et couleur :



* "... le Cercle (de l’Étang) en descendant à gauche « lou camin de vouleurs » à l'endroit où certains estrandgés ont élu domicile : cette vigne nous donna des pois et des pois chiches entre 1940 et 1944. Elle jouxtait la vigne de Germain Rey où fleurirent plus tard des rangées de poiriers, où je parlai une fois avec le grand-père de Germain et Janine, qui allait se pendre dans un puits à un âge très avancé. Et de l'autre, la grande vigne de Joseph Barbe, le grand-père de Jacquie, notairesse à Cuxac, vigne qui, disait-il, « lui tenait des cingles jusqu'à la Noël ». / (un « single » est un grappillon)..." (2)

L’Étang vu depuis le terrain de rugby au nord. Au fond la Cresse / Diapo de François Dedieu : match de rugby féminin (1973).


* "... A des spectateurs qui lui reprochent de ne pas venir marquer la touche assez vite, Lolo Billès, levant son drapeau :

«  Et lou ventre !.. » (2)

* A Tarailhan, un petit immigré, il s'appelle Manu. Il se voit, tel Don Quijote de son pays perdu, monter à l'assaut de ce moulin sur la colline, au fond de l'étang, ce moulin qui le nargue et garde le mystère du village caché derrière...



* l’Étang de Fleury, fin février, derrière le terrain de rugby. Il y a Rolland, Max, José. Sous un soleil déjà printanier, nous courons par les vieux ponts de pierre qui passent les fossés que nous longeons. Par dizaines, les alouettes montent dans le bleu du ciel, si musiciennes et s’il vous plait avec l’accent car l’alouette apprend ses morceaux des adultes. Depuis quand n’ai-je plus entendu les trilles des alouettes ? 
  

* au cimetière, une plaque émouvante, en hommage à la mère, et l’Étang qui apporte un plus aux petits profits, ramassages et autres cueillettes de saison, dans la garrigue ou à la mer :


„A nὁstra maire
Que nos donèt a conneisser
los pὁrres de las vinhas,
la salada dels marges,
las èrbas de l’estanh...
e la lenga de nὁstre païs.“


(1) Ces données sont largement inspirées et guidées par Les Chroniques Pérignanaises (De Pérignan à Fleury / 2009) qui ont consacré quatre pages bien documentées sur l’Étang de Fleury ou de Tarailhan.  
(2)   Caboujolette / Pages de vie à Fleury / 2008 / François Dedieu.