mercredi 19 avril 2017

LE MONDE NE DEVRAIT ÊTRE QUE CHANSON ET MUSIQUE... (7) / ratés existentiels



« Le Français aux cheveux longs qui venait le soir », c’est bien lui qui descend sur le tarmac même si les tempes ont blanchi, toujours aussi léger malgré les kilos en trop et surtout les préventions de celui qui en a plus derrière lui que devant. Dans le gros bus qui mène les passagers au sein de l’aérogare, les jeunes à côté parlent tchèque. Lui se retient du bonheur de l’échange à venir, des quelques mots qu’il veut sortir « Mluvíte česky. Odkud jste ?  Zůstanete v Kenyi ? » Un garçon daigne lui répondre, neutre, froid, poli seulement, qu’ils sont de Prague, qu’ils vont en Tanzanie pour les animaux... Pour les autres, un instant silencieux, il reste transparent. Parmi eux, une fille, asiatique, sûrement de cette immigration vietnamienne du temps de la Československá Socialistická Republika, d’une fraternité encore plus théorique à présent, de plus en plus minée par des fractures irréductibles. 



Il en faut si peu pour replonger dans le pessimisme... On aimerait reporter sur la jeunesse tant d’espoirs en attente... et cette jeunesse que la cupidité mondialiste a déjà déshéritée, semble ne pas vouloir accepter le témoin humaniste balayé, réduit au silence, mis à sac par des fonds spéculatifs aussi avides que criminels. Comment, du plus profond de notre lâcheté majoritaire laissant faire cette infime minorité prédatrice, disant à peine du bout des lèvres, ne pas espérer en un Homme nouveau qui viendrait aider sa Terre à régénérer sous peine de ne plus pouvoir s'en nourrir ?.. Drastique ! A partir du 9 août 2016, jour du « dépassement », nous avons entamé le capital non renouvelable d’une Planète Bleue plus poubelle que maison... Dans dix ans le réchauffement climatique deviendra irréversible, alors les jeunes ils ont bien raison d’ignorer sa présence crasse... Et il peut s’estimer heureux de ne pas prendre par la gueule tout le mépris qu’il mérite !
 
Salles de transit de l’aéroport. Beaucoup de monde pour des heures, souvent, de patience. Somaliennes ou Soudanaises sinon Tanzaniennes, voilées mais pleines d’allant, ne cachant en rien le visage, libres en apparence de tout machisme, de ce que la religion peut garder d'oppression.  Britanniques aux tenues très « safari ». Chinois en nombre, dont quelques femmes cette fois. Peu de couples, très peu d’enfants. Beaucoup d’hommes seuls, certains parlent de business, se limiterait-il à des achats en gros à Dubaï, principale plate-forme commerciale du Sud-Ouest de l’Indien. 

Il se remet de la baffe de tout à l’heure, avec ces jeunes, ronronnant comme si de rien n’était ses petites amourettes. Ainsi, Maiité (Maria-Theresa), la petite vendangeuse, revient parcourir son présent. Les images du film deviennent de plus en plus nettes avec ce prénom qui vient habiter ce jour de congé fortuit, en pleines vendanges, après les fortes pluies de la veille et la difficulté à entrer dans les vignes. De savoir qu’il ne pourrait même pas espérer sa présence lors de cette toilette du soir, sur la monture qui le ramène dans sa fragilité d’ado attardé, façon Grand Meaulnes, il refait ce grand tour par les villages du voisinage. Sous les platanes de la gentille départementale, avec le fleuve aux eaux limoneuses, près des tamaris, des prés de l’ancien lit serpentant dans la plaine, avec les souches lourdes de fruits et de promesses, à l’ombre des figues qui font la goutte, elle est partout... Et aux moulins ruinés dans les pins des collines, manquaient, sans qu’il le sache, les voiles dans l’horizon de Don Quijote... Embourbé dans le marécage d’un raccourci qui rallonge, il s’est pris pour un chevalier servant. Plaisir de l’illusion, d’un monde double, imaginaire que lui seul saurait voir et auquel il s’accroche pourtant... illusion d’un plaisir, d’une douleur aussi, seulement mélancolie peut-être... Refrain en boucle «... les fleurs de mandarine... entre quatorze et seize ans... ignorent parfois qu’on les aime déjà...»

https://www.youtube.com/watch?v=nlWnxoEqcJI / Michel Fugain

 Tête qui tourne, Tour des villages, tours de roues, tour que prennent les choses... La bicyclette a tant de ce qu’est la vie : pédales, roue qui tournent, cette allure tranquille, ce calme propice aux pensées ruminées, et cet équilibre aussi miraculeux que le fil de la vie, à peine perçu à l’instant où une main paternelle lâche un petit garçon sur un vélo comme sur une ligne de vie... avec toujours l’idée d’horizon pour un chemin qui finalement tourne peut-être en rond vers son point de départ... Tête qui tourne «... Tu fais tourner de ton "ombre" / Tous les moulins de "son" cœur» (1).

https://www.youtube.com/watch?v=UANLvlQKYcI Michel Legrand / les moulins de mon cœur.

Cette ombre si pressante, présente, est celle de la Maiité d’aujourd’hui ! Et lui de s’emporter, de s’épancher dépassé par une passion d’un autre âge, sans crainte aucune du ridicule, vilain Cyrano qui voudrait sa Roxane, parlant trop, parlant faux... Ce qui fut ne saurait être et l’eau vive du ruisseau croupit peut-être pour celui qui n’accepte pas qu’elle tarisse !
 


Endormie contre son dossier,  le voile mystérieux des comptoirs swahilis. A deux sièges de lui, une autre femme donnant je ne sais quoi à une troisième qui répond « Merci ma sœur ». Puis une quatrième devant qui se tourne. Elles parlent français. Elles doivent se connaître. Une "sororité" (2) touchante. Cherchant en vain où sa langue se parle sur ce flanc oriental de l’Afrique, il s’interroge : elles n’ont pas plus les traits comoriens que le type malgache. Et celle qui se tourne présente des paniers gigognes avec un maki décorant le plus grand. Un maki pourtant ne peut venir que de la Grande Île ou des Comores où l’homme l’aurait apporté !.. Pour ne pas croupir plus longtemps, au-delà de ses fantaisies existentielles, dans cette géographie inconnue, lui qui de sa vie jamais ne fut hardi avec les filles, coupe, sabre au clair, s’empare du panier, dit qu’il est joli, demande si c’est dérangeant, pour un homme, d’aller ainsi au marché... Elles sont un peu attrapées mais sourient, très africaines trop indulgentes, trop fatalistes souvent, n’affrontant pas, à l’exemple des occidentales, mais laissant à l’homme le choix ou non de son implication machiste... A l’homme de savoir convaincre de la complémentarité plutôt que d’imposer une virilité surfaite. Elles sont Congolaises, de Kinshasa, commerçante pour le sourire discret atterri de Dubaï, biologiste médicale pour celui, si ouvert et exposé de la femme au panier arrivée d’Antananarivo...    

(1) "ton ombre" pour « Ton nom » sous la plume d’Eddy Marnay, le parolier, sauf qu’avec l’accent hégémonique de France « ton ombre » se prononce de la même façon que « ton nom » tant la syllabe finale se délite. “ ...tu fais tourner de ton nom tous les moulins de mon coeur... ”
(2) ne cherchez pas dans le dictionnaire, mais d’être contre, tout contre les femmes me fait trouver frustrante cette fraternité universelle trop mâle. Dans le dico, par contre, il y a "sorose", ne venant pas du latin « soror » (soeur) mais du grec « soros » (amas) en parlant d’un fruit tel que celui du mûrier, formé de carpelles charnus.  

crédit photo : 2 Girafe & Skyline / Nairobi-Park Author Mkimemia.

UN COPAIN, UN FRÈRE ! / Je me souviens...


Toujours gentil, liant, même sans exubérance, il avait été poussé à prendre la présidence d’un comité de locataires assez naïfs pour croire que les lois de la métropole devaient s’appliquer de la même manière à Mayotte pour contrer le bailleur institutionnel, omniprésent, la SIM (le livret d’accueil des enseignants se gardait bien d’évoquer la possibilité pour les fonctionnaires de louer chez l’habitant). 

Un an après, se retrouvant seul dans une grande maison, il avait demandé si la troisième chambre de ma case était libre. J’avais dit oui tout de suite, sûr qu’il rejoindrait sans problème un groupe où l’esprit d’équipe était requis dès l’adhésion... quand bien même le troisième, pourtant natif des îles, d’une diaspora de l’Océan Indien occidental, devait se désolidariser, pour de mauvaises raisons, après pourtant plusieurs mois de cohabitation. 
 

Si chacun de nous, en dehors du travail, menait sa propre vie, une fois sur deux nos loisirs coïncidaient. C’est lui qui me présenta à ses collègues mahorais, si demandeurs, si disposés à partager ce qu’étaient la réalité, le passé, les traditions, les cultures de Mayotte. Souvent, nous nous retrouvions invités à partager un voulé (feu de camp) avec des brochettes ou du poisson grillé sinon du gibier (tanrec) accompagnés de manioc, de bananes ou de fruit à pain directement cuit dans la braise. La bouteille de l’amitié suffisait. 


Une fois, sous le taud de sa Rodéo orange, nous avons  ramené deux jeunes femmes au village. A bon port, elles ont aussitôt vu que le goyavier leur faisait signe. JF était réservé et n’avait pas voulu me rejoindre sous l’arbre où elles avaient grimpé; quel beau, quel joli tableau, comme avec les cerises ou les amandes de Brassens «... des écureuils en jupons... la récolte était perdue... » Avec peut-être, en échange, les baisers de leurs jolies bouches gourmandes... 
 

Souvent, sous la varangue, avec Georges et René, nous menions des parties enragées de tarot où son enthousiasme peu mesuré et ses déculottées piquaient un instant son amour-propre. 


Il me parlait de la maison construite de ses mains à Nice, de ses cousins et du lien familial encore fort avec l’Alsace (Lièpvre si mon goût pour la géographie ne me trahit pas). Et puis il a redécollé pour les Alpes Maritimes sans laisser ici le souvenir d’un engagement politique dont il ne se vantait pas. Avec le recul je dirais que comme aux cartes, il fonçait mais là, plus sérieusement pour porter plus loin le progrès avec ses valeurs d’humanité, toujours contre la corruption et les affaires puantes pourtant aux gouvernes !  

A Nice, devenu conseiller général socialiste, et peut-être à la municipalité, il a mené la vie dure au maire, Peyrat, transfuge frontiste, qui, empêché dans ses magouilles n’avait su que lui répondre « Vous êtes un pauvre type ! (1)». 

Dans un registre plus positif, il a mené la lutte contre la corruption avec Anticor. Il s’est engagé, entre autres combats qui l’honorent, pour des enfants du Bénin et du Mali (2) qui lui rappelaient sûrement, de sa parenthèse outremer de deux ans, les petits de Mayotte, trop nombreux dans la pauvreté encore pour ne pas accepter, faute d’égalité réelle, la solidarité associative.

Il s’appelait Jean-François comme moi, mais porteur du célèbre acronyme JFK. Son coeur l’a lâché le 18 avril 2007, à l’âge de 49 ans. Le connaissant, avec lui c’est un grand flux d’amour qui s’est brisé, pour ses six enfants, sa compagne, tous les siens, les petits écoliers d’Afrique et tous ses semblables... Par-dessus une mêlée politique souvent peu ragoûtante, une petite voix pourtant, persiste, dix ans après, à porter le souvenir de
Jean-François Knecht

Allez lire les articles liés ci-dessous et surtout voir sa dernière vidéo de janvier 2007 ! Deux écoles, l’une à Nice, l’autre au Mali, portent son nom. 
Montrez sa tête au peuple, elle en vaut la peine !
 
Et puis c’était mon copain parce que souvent, la pudeur empêche de dire « frère » pour une promiscuité  altruiste de huit mois, dans une complicité respectueuse, sous le même toit.

(1) formule trop répétée pour porter (par Roger Holeindre, notamment, vassal zélé de J.M.Le Pen.
(2) Même si Vauzelle en bon socialo refusa les 18 000 € de subvention.

https://blogs.mediapart.fr/jean-christophe-picard/blog/170416/nice-jean-francois-knecht-manque-toujours-autant-nice
http://www.prg06.fr/spip.php?article132
http://www.prg06.fr/spip.php?article523
http://www.prg06.fr/spip.php?article619
http://www.prg06.fr/spip.php?article759
http://www.prg06.fr/spip.php?article924
http://www.prg06.fr/spip.php?article1074
https://blogs.mediapart.fr/jean-christophe-picard/blog/180414/nice-sept-ans-apres
https://blogs.mediapart.fr/jean-christophe-picard/blog/180415/nice-toujours-jfk

les photos, partie de pêche et carnaval, sont de 1996