mercredi 3 décembre 2014

LA BAPTISTINO... / Fleury d'Aude en Languedoc


« La Baptistino al peiroun amé soun amourous,
Se passéjavount toutis dous,
se fasion de poutouns... »

Allez donc savoir pourquoi, de bon matin, je chantonnais « la Baptistino...», sur l’air de «Viens poupoule...» en repensant à tous ces perrons, du moins à ces devants de portes aménagés ou non, dont l’entrée des maisons dites "de maître" (1), où nos gens prenaient le frais, occupés surtout à converser... et à petoufiéjer, à "peler" celui ou celle qui venait à passer (lous vestisiont per l’ivern !)(ils les habillaient pour l'hiver !).
Trêve de diversions, à toujours ouvrir des parenthèses, je ne le sais que trop... D’ailleurs, ces dernières semaines, je les cherchais ces chansons plutôt crues ou paillardes, celles que notre bon capitaine lançait dans le car, en bon meneur, en français pour une histoire d’asticots sur le dos d’un macchabée, en languedocien pour les couplets bouffeurs de curé et la femme en chaleur de Richichiou (2). En fredonnant la Baptistino, tout en me demandant comment ils font pour se poutounéjer (s'embrasser) sur le perron tout en se promenant, je me dis au moins qu’il me reste quelque chose. Mieux même parce qu’il n’y a pas plus gentil que notre capitaine, serait-ce pour ses plaisanteries, son rire contagieux, ses moqueries plus qu’amicales puisque marquées par la camaraderie, une jeunesse en partage ! Je repensais, que cet été, je l’ai revu, ce copain des jeunes années, pour le feu d’artifice des Cabanes et j’ai été tellement attrapé que je suis passé pour quelqu’un de distant, presque incorrect en ne saluant que de loin le groupe qui l’accompagnait (pardon les filles...). Et lui, je crois lui avoir seulement et tout bêtement serré la main... comme si cette pudeur imbécile convenait mieux alors qu’un demi-siècle n’a rien effacé de la complicité passée. Mais on ne s’embrasse pas, entre hommes, on ne se laisse pas aller aux effusions. 




L’aigre-doux de la nostalgie ordinaire et des remords passa à l’âpre et à l’amer lorsque, deux mois plus tard, arriva du pays une triste nouvelle, celle du décès soudain du frère né après lui, parti trop tôt, à un âge où tout devrait encore sourire. Un garçon gai, ouvert, qui aimait rire, comme tous, dans leur nichée bien fournie. Je le connaissais plus pour la pétanque, aux beaux jours... Un bon tireur... Je le vois, comme si c’était hier, au ramonétage ou pour le concours de la fête des pêcheurs, préparant son geste, le buste un peu sur le côté, la main droite et la boule à hauteur du visage. 



Pour le frère parti que j’ai croisé aussi, une fois, par trop banalement, comme si cela l’était de voir quelqu’un vivant, de le rencontrer sans trouver ce hasard formidable (3), laissez-moi le serrer fort, mon capitaine du rugby ! Sans rien dire, seulement pour faire front à l’oppression, par instinct seulement, pour l’enfant insouciant qui va vers l’adolescence puis vers l’âge adulte, toujours désinvolte, parce que cette légèreté s’épaissit avec l’âge. Laissez-moi le serrer fort pour tout cela sans rien penser, en se laissant seulement porter par les sensations... C’est indécent d’analyser et trop de mots corrompent le cœur, c’est sûr. Laissez-moi le serrer fort pour ces liens qu’on croirait lâches mais qui restent si forts, à notre insu, entre camarades de jeunesse, parce que nous étions heureux comme la volée de moineaux racoleurs sur le haut mur derrière chez lui, dans une quiétude qui est déjà celle de la campagne, du temps des fleurs en grappes des faux acacias, parce que nous ne savions pas voir non plus la fatalité inéluctable telle celle du canon de la carabine pointé vers les innocents muraillers (4) en habits de fête. 



La vie en suspens et tout autour, exceptés les pépiements effrénés, la solennité des pierres de taille, une rampe de château pour une remise immense, la clé de voûte altière d’un portail imposant, fermé sur la fraîcheur d’une cave mystérieuse et profonde. Ces belles bâtisses nous laissaient d’autant plus une large impression d’opulence pérenne que nous étions chez le gros propriétaire qui logeait ses ouvriers. C’est vrai que tout est plus grand pour des enfants qui ne réalisent même pas que le gros propriétaire n’est qu’un petit homme, plus petit encore sans son chapeau, plus mince sans les épaulettes de sa veste de gentleman-farmer, épais de la simple mention "Monsieur" que les manants ont collé, par tradition et non sans duplicité, devant son nom...


Les adultes issus des enfants de jadis continuent de sautiller et de chanter des chansons bêtes. S'ils n’ont même pas remarqué que les petits moineaux se font rares, comme eux, sans voir la mort qui les emporte un à un, ils entonnent néanmoins « La Baptistino al peiroun... d'un monde beau et insouciant de la seconde fatale qui finira bien par arriver. 

(1) suite à l'explosion des cours dus aux crises de l'oïdium vers 1850 puis du phylloxéra dans les années 1870.
(2) http://www.limoux-aude.com/chansons-traditionelles/ritchichiu
(3) alors que de quatorze à vingt-cinq ans en gros, nous appartenions à ce même groupe d’âge appelé la « jeunesse ». Que reste-t-il aujourd’hui, à l’heure de l’individualisme forcené, de cette cohésion générationnelle passée ?
(4) nom donné dans le Sud au moineau qui niche surtout dans les trous des murs. 



photos autorisées : merci wikipédia et commons wikimedia.

mardi 25 novembre 2014

Aude & Languedoc / BONJOUR SALLES, BONJOUR LES FAGOTS !


« Fleury est sale, Salles est fleurie...": Sabarthès qui n’avait pas à s’embarrasser des guéguerres entre villages, note cependant «L’Ètang-Pudis, anc. étang, commune de Salles-d’Aude / A l’Estang Pudis, 1701 (comp., p. 6) / Estampudis (cad.)(1) ».
Si mes trufarios rappellent un temps heureusement révolu de piques et de bisbilles entre nous, retenons plus sérieusement que des marécages ont accompagné le colmatage, par l’Aude, du bras de mer entre la Clape et les collines de l‘Hérault. Des salines existaient à Coursan, et à Salles, l’archevêque tirait bénéfice d’une « poignée de poissons qu’il prend au rivage » (2). La présence, encore de nos jours, de nombreux marais, témoigne toujours de ce travail du fleuve : étangs de Capestang, de la Matte (Lespignan), de Vendres, de « la Matte » et de Pissevaches qui subsistent de ce qui fut l’Étang de Fleury (3).
Le nom Salles viendrait du francique « Saal » voire du germanique « sala » (château, demeure fortifiée, manoir) (2).

Mentions du nom dans le dict. topograhique de Sabarthès :
Salles d’Aude 966 église dédiée à St-Julien
Salae 966, Castrum de Salis 1322, Salas 1402, Al loc de Sallas..., Salhas 1537, Salles 1781, Sàlos (vulg.) (4)

Autres mentions concernant le lieu :
Combe d’Alprat moulin à vent Salles 1781
Taysseferrals moulin vent Salles 1781
La Lauze moulin à vent Salles 1781
Le Moulin à vent, écart, Salles : la Moulinasse moulin ruiné Salles

Besplas 1701
Le Bosc bergerie 1781
L’Etang-Pudis 1701
Salles : A capite de l’Estanhol 1322 (Céleyran)
Fontpétière lieu dit
Gairèzes lieu dit ancien fief royal Salles et Fleury 1322
Gauthier écart
Granouillet ferme 1781 Granouilhet 1701
Jasse de Claret bergerie
Lamotte ferme 1781
Maison du Pontonnier écart
Maurel ferme
Le Pech château et ferme
Les Portes ferme
Pépy écart
Rouch ferme / Rouch et Dalbosc 1763
Saint-Blaise chapellenie 1701
Saint Cassian chapelle rurale de Céleyran fondée par Charlemagne Sanct cassian de Cereyran 1404
Saint-Louis ferme.

En 1912, Sabarthès indique quatre moulins sur la commune et ces mentions évoquant le blé à moudre laissent une impression de quiétude pour une époque où le pain constituait l’essentiel de la nourriture. Au-delà de la vision bucolique et prospère d’un Maître Cornille sallois avant que la minoterie à vapeur ne s’en mêle, me revient l’étude fouillée qui en a été faite sur le site officiel d’Armissan. Son auteur, en effet, se demande si les paysans ne sont pas redevables de leurs meilleures conditions de vie à la construction des moulins, "ordonnée" par Bonaparte. S’il est incontestable que l’organisation de la France a été prise en main autoritairement par le Premier Consul qui décide même des surfaces devant être cultivées (la spéculation n’est plus possible sur le marché des grains, la corruption combattue,les brigands éliminés, les routes rendues sûres...), la pression étatique portée par les préfets, les contrôleurs, les percepteurs n’en demeure pas moins forte et l’amélioration de la condition paysanne vient avant tout des bonnes récoltes enregistrées déjà sous le Directoire (un moulin construit à Armissan), entre 1796 et 1799 puis sous le Consulat et l’Empire jusqu’en 1809 (5) (6). 


Nous reviendrons sur les moulins et plus particulièrement les meuniers pour la fiche concernant notre village parce qu’on ne saurait passer sous silence l’affaire du moulin de Fleury...

Entre Fleury et Salles, en plus de la cave coopérative et du rugby, bien sûr que des liens aussi amicaux que familiaux nous lient à ceux qui sont plus que nos voisins. Des Sallois illustres marquent nos mémoires communes : Alexandre Macabiès (« Escrivi coumo lou pople parlo...» , Clovis Roques, Jean Camp qui, serait-ce a contrario, dit si bien que nous sommes du même pays, du même moule :
« ... S’as doublidat toun bel terraire,
Ses pas mai das nostris, goujat ! » Lou Doublidaïre 1916.

(1) Toujours mentionné sur la carte IGN Béziers au 25/1000ème entre l’Aude et les canaux de France et des Anglais qui drainent l’Étang de Capestang.
(2) SOURCES : Vilatges al Pais / canton de Coursan / Francis Poudou et les habitants du canton / 2005. Pour les anciennes mentions des villages, la bibliographie mentionne expressément le dictionnaire topographique de Sabarthès.
(3) ne pas confondre avec l’étang depuis longtemps desséché de Fleury que nous connaissons sous la simple appellation « L’Étang » dans, pour, par exemple, notre ancien stade « de l’Étang ».
(4) Dans le Trésor du Félibrige de Mistral, plusieurs entrées concernent Salles-d’Aude : Salo-d’Aude, Saloi, Saloio, fagot = sobriquet des gens de Salles-d’Aude.
(5) Sous le Directoire, période transitoire d’instabilité tant extérieure qu’intérieure, qui voit l’armée garante des coups d’état pour le maintien en place des Directeurs, alors qu’une minorité de parvenus jouit de richesses rapidement acquises (indécence aussi des Muscadins, Incroyables et autres Merveilleuses) et que le peuple meurt de faim, les récoltes furent heureusement bonnes entre 1796 et 1799 : davantage de pommes de terre, progrès de la culture du tabac, des plantes fourragères et surtout de la vigne. La production de blé restera bonne jusqu’à la récolte de 1809 mais les récoltes de 1810 et 1811 furent déficitaires et cette dernière provoqua la disette et les troubles. SOURCES : Malet-Isaac, Les Révolutions (cours de seconde 1960).
(6) Pour conclure sur les moulins à blé et l’interrogation résultant de la consultation de la topographie de nos villages, une considération sur le nombre de moulins à vent (12000) qui a explosé sur les trois derniers siècles du Moyen-Age. Ils ont surtout pris en charge la part alimentaire dévouée jusque là aux moulins à eau, à l’implantation beaucoup plus ancienne et bien plus lente (10000 en 1000 ans). SOURCES : Les Premiers moulins à vent, Robert Philippe, Annales de Normandie, année 1982, volume 32, numéro 32-2 pp. 99-120.
En 1802, alors que Chaptal est au ministère de l’Intérieur, on compte 66000 moulins à eau, 10000 moulins à vent. Il en demeure moins de la moitié un siècle plus tard (37051), plus de 6000 étaient encore en activité en 1950 et seulement 650 voilà une vingtaine d’années. 


Photos : Cucugnan, moulin d'Omer restauré... peut-être libres du site flickr.com. Route de Nissan et ancien pont... parce que c'est seulement lorsqu'il est refait que l'on se dit mais trop tard qu'on aurait dû prendre l'ancien en photo !
N'hésitez pas à envoyer vos photos, par exemple de l'horloge de la mairie ou du château de Salles...