« La Baptistino al peiroun amé soun amourous,
Se passéjavount toutis dous,
se fasion de poutouns... »
Allez donc savoir pourquoi, de bon matin, je chantonnais « la Baptistino...», sur l’air de «Viens poupoule...» en repensant à tous ces perrons, du moins à ces devants de portes aménagés ou non, dont l’entrée des maisons dites "de maître" (1), où nos gens prenaient le frais, occupés surtout à converser... et à petoufiéjer, à "peler" celui ou celle qui venait à passer (lous vestisiont per l’ivern !)(ils les habillaient pour l'hiver !).
Trêve de diversions, à toujours ouvrir des parenthèses, je ne le sais que trop... D’ailleurs, ces dernières semaines, je les cherchais ces chansons plutôt crues ou paillardes, celles que notre bon capitaine lançait dans le car, en bon meneur, en français pour une histoire d’asticots sur le dos d’un macchabée, en languedocien pour les couplets bouffeurs de curé et la femme en chaleur de Richichiou (2). En fredonnant la Baptistino, tout en me demandant comment ils font pour se poutounéjer (s'embrasser) sur le perron tout en se promenant, je me dis au moins qu’il me reste quelque chose. Mieux même parce qu’il n’y a pas plus gentil que notre capitaine, serait-ce pour ses plaisanteries, son rire contagieux, ses moqueries plus qu’amicales puisque marquées par la camaraderie, une jeunesse en partage ! Je repensais, que cet été, je l’ai revu, ce copain des jeunes années, pour le feu d’artifice des Cabanes et j’ai été tellement attrapé que je suis passé pour quelqu’un de distant, presque incorrect en ne saluant que de loin le groupe qui l’accompagnait (pardon les filles...). Et lui, je crois lui avoir seulement et tout bêtement serré la main... comme si cette pudeur imbécile convenait mieux alors qu’un demi-siècle n’a rien effacé de la complicité passée. Mais on ne s’embrasse pas, entre hommes, on ne se laisse pas aller aux effusions.
L’aigre-doux de la nostalgie ordinaire et des remords passa à l’âpre et à l’amer lorsque, deux mois plus tard, arriva du pays une triste nouvelle, celle du décès soudain du frère né après lui, parti trop tôt, à un âge où tout devrait encore sourire. Un garçon gai, ouvert, qui aimait rire, comme tous, dans leur nichée bien fournie. Je le connaissais plus pour la pétanque, aux beaux jours... Un bon tireur... Je le vois, comme si c’était hier, au ramonétage ou pour le concours de la fête des pêcheurs, préparant son geste, le buste un peu sur le côté, la main droite et la boule à hauteur du visage.
Pour le frère parti que j’ai croisé aussi, une fois, par trop banalement, comme si cela l’était de voir quelqu’un vivant, de le rencontrer sans trouver ce hasard formidable (3), laissez-moi le serrer fort, mon capitaine du rugby ! Sans rien dire, seulement pour faire front à l’oppression, par instinct seulement, pour l’enfant insouciant qui va vers l’adolescence puis vers l’âge adulte, toujours désinvolte, parce que cette légèreté s’épaissit avec l’âge. Laissez-moi le serrer fort pour tout cela sans rien penser, en se laissant seulement porter par les sensations... C’est indécent d’analyser et trop de mots corrompent le cœur, c’est sûr. Laissez-moi le serrer fort pour ces liens qu’on croirait lâches mais qui restent si forts, à notre insu, entre camarades de jeunesse, parce que nous étions heureux comme la volée de moineaux racoleurs sur le haut mur derrière chez lui, dans une quiétude qui est déjà celle de la campagne, du temps des fleurs en grappes des faux acacias, parce que nous ne savions pas voir non plus la fatalité inéluctable telle celle du canon de la carabine pointé vers les innocents muraillers (4) en habits de fête.
La vie en suspens et tout autour, exceptés les pépiements effrénés, la solennité des pierres de taille, une rampe de château pour une remise immense, la clé de voûte altière d’un portail imposant, fermé sur la fraîcheur d’une cave mystérieuse et profonde. Ces belles bâtisses nous laissaient d’autant plus une large impression d’opulence pérenne que nous étions chez le gros propriétaire qui logeait ses ouvriers. C’est vrai que tout est plus grand pour des enfants qui ne réalisent même pas que le gros propriétaire n’est qu’un petit homme, plus petit encore sans son chapeau, plus mince sans les épaulettes de sa veste de gentleman-farmer, épais de la simple mention "Monsieur" que les manants ont collé, par tradition et non sans duplicité, devant son nom...
Les adultes issus des enfants de jadis continuent de sautiller et de chanter des chansons bêtes. S'ils n’ont même pas remarqué que les petits moineaux se font rares, comme eux, sans voir la mort qui les emporte un à un, ils entonnent néanmoins « La Baptistino al peiroun... d'un monde beau et insouciant de la seconde fatale qui finira bien par arriver.
(1) suite à l'explosion des cours dus aux crises de l'oïdium vers 1850 puis du phylloxéra dans les années 1870.
(2) http://www.limoux-aude.com/chansons-traditionelles/ritchichiu
(3) alors que de quatorze à vingt-cinq ans en gros, nous appartenions à ce même groupe d’âge appelé la « jeunesse ». Que reste-t-il aujourd’hui, à l’heure de l’individualisme forcené, de cette cohésion générationnelle passée ?
(4) nom donné dans le Sud au moineau qui niche surtout dans les trous des murs.
photos autorisées : merci wikipédia et commons wikimedia.
Ils sont quatre, ce matin même, a avoir eu la drôle d'idée de venir fredonner la Baptistino dans mon dos... Malheureux, il faut y réfléchir à deux fois avant de réveiller les mots, ces mots qui gardent, sans s'émousser, cette virulence qui nous expose, vulnérables face à la course inexorable du temps...
RépondreSupprimerLes Hommes, parfois, livrent des mots comme ces arbres blessés sécrètent des gommes, ils distillent une émotion qui voudrait se cacher dans l'écume des jours, qui fait comme si...
Le passé en partage ne s'éteindra pas tant que tu seras là, quelque part dans le monde pour cliquer sur la Baptistino de tous nos désirs... Détourne la, fais la tienne et pardonne moi de l'avoir mouillée de mes larmes...
Merci toi...