lundi 20 juin 2016

TU AURAS DES NÈFLES ! / Fleury d'Aude en Languedoc

Le néflier nous vient de l’Est de l’Asie (Chine, Japon, Taïwan) et des forêts de l’Himalaya. Apporté à Paris en 1784, il n’y a fleuri, pour la première fois, qu’en 1801. 
Entre le mois de novembre et le 10 décembre, la floraison aurait un léger parfum d’amande amère.
La baie, orangée, charnue et juteuse, avec de gros pépins (attention, ils sont toxiques !), apporte du calcium et de la vitamine A.
Outre-mer, dont les îles de l’Océan Indien (Maurice, la Réunion), le fruit est connu sous le nom de bibasse. Il est utilisé en achard ou pour parfumer un rhum arrangé. 


Ici, c’est plutôt en fruit (cueillez-le mûr sinon il est âpre), en salade de fruits, ou en compote ou en garniture de tarte.
Cette année le néflier du Japon aurait fleuri tard mais fructifié tôt (en cause quelques jours d’une soudaine chaleur qui auraient aussi nui aux futures grappes de raisin). La douceur de l’hiver a multiplié des fruits qui restent petits si on n’éclaircit pas les thyrses (grappes de fleurs comme pour le lilas ou la vigne).  



Ne cherchons pas une quelconque résonance occitane pour la bibasse même si Frédéric Mistral relève le terme «bibus» (1) pour indiquer étrangement une chose de rien car le néflier commun (ou d’Allemagne, Mespilus germanica L.), connu depuis l’antiquité et originaire de l’Est de l’Europe, donne les mots locaux «nespiè», «mespouliè». 
Toujours dans lou Tresor dóu Felibrige, un proverbe gascon :
« Des peses à la mèsplo
Lou varlet se ris duó mèstre »
Un dicton : « La nespo noun es bono qu’à santa Margarido » sauf que les saintes Marguerite sont nombreuses... Marguerite d’Ecosse, célébrée le 16 novembre, répondrait néanmoins à notre attente... 



WIKIPEDIA. La nèfle est le fruit du Néflier commun (Mespilus germanica L.), un arbre fruitier des pays froids (originaire d’Europe de l’Est). Sa présence est attestée depuis l’Antiquité.
Son fruit d'hiver, brun à cinq gros pépins, est consommé après les premières gelées d'automne, une fois blet.
Il ne doit pas être confondu avec la nèfle du Japon, un fruit jaune récolté au printemps dans les régions plus chaudes.
L’INTERNAUTE : Les nèfles, fruits du néflier, servent depuis le XVIe siècle à désigner des choses sans valeur. L'expression "des nèfles !" est apparue au XVIIe siècle et signifie que l'on ne donnera rien du tout à une personne, que l'on ne satisfera pas sa demande.
On disait également autrefois "on vous donnera des nèfles", dans le sens de "vous n'obtiendrez rien du tout"».

Ici, nous disons «travailler pour des nèfles», ça change des prunes.  
Des mèsplos Mistral passe au vietase, le juron bien membré en référence au pénis de l'âne !
Te dounarai un viedase = je te donnerai des nèfles.
Il cite même un écrivain et un poète des XV et XVIèmes siècles :  
 
« Que t’en semble, diz, grand viedtaze Priapus ? »  RABELAIS

« Et s’il est vray que là s’avance
Le viei vidase de Provence. » MAROT

Une simple nèfle peut nous interroger sur bien des choses en somme mais cela nous entraîne trop loin et je préfère prolonger seulement jusqu’à Vias où Maurice Puel, professeur des quatrièmes, retrouvant, à la retraite, ses élans poétiques, a chanté l’attrait de la mer à l’époque des charrettes, carrioles ou cabriolets, quand le cheval, la mule ou l’âne baladaient, entre le village et la plage, les promeneurs du dimanche.

(1) XVIIème siècle, altération plaisante de bibelot (Dict. de la langue fçse Paul Robert). 

photographies autorisées 
1. commons wikimedia / néflier Eriobotrya_japonica_C auteur Wouter Hagens. 
2. commonswikimedia / néflier Eriobotrya_japonica_flowers aut. B. navez assumed
5.  commons wikimedia / Néflier_(Mespilus_Germanica) auteur Montilre. 
3 & 4. cueillette 2013. 

jeudi 16 juin 2016

FRANÇOIS CAVANNA ET L’AMOUR DES LANGUES / mémoire de l'Europe

FRANÇOIS CAVANNA ET L’AMOUR DES LANGUES



François Cavanna, LES RUSSKOFFS, pages 154 à 157, édition Livre de Poche 1981, extraits :

« ... J’en profite pour travailler mon russe. Et aussi mon allemand. J’ai découvert que j’aime ça les langues. Surtout le russe. J’ai toujours sur moi des petits calepins que je me fais avec des prospectus de la Graetz A-G cousus ensemble. Avant la guerre la firme fabriquait des lampes à vapeur d’essence, marque « Petromax », ils en vendaient dans le monde entier (1)... /... le verso est blanc, c’est chouette.
Je note tout avec mon bout de crayon, j’arrête pas de poser des questions... /...
... Je suis pour la première fois de ma vie confronté à des langues à déclinaisons. Dépaysement brutal. Je demande : « pourquoi tu dis des fois "rabotou", des fois "rabotié", des fois «"raboti"», des fois «"rabota"», des fois «"rabotami"», et des fois encore de bien d’autres façons... /...
... la seule Russe qui parle un peu français, la grande Klavdia, m’avait dit : nominatif, accusatif, génitif, datif, instrumental, prépositionnel, vocatif. J’étais bien avancé. Rebuffet qui a été au lycée m’a expliqué... /... C’est là que j’ai compris la différence entre l’instruction primaire, même «supérieure» et l’instruction secondaire. Tu te rends compte ? Pendant qu’on t’apprend «complément d’objet direct», à eux, au lycée, on leur apprend «accusatif». A toi, on t’apprend «sujet», à eux «nominatif» !.. /... Voilà qu’il y a une grammaire pour les riches et une grammaire pour les pauvres, dis donc !
Enfin, bon, le russe, je m’en suis vite aperçu, est aux autres langues ce que les échecs sont à la pétanque. Comment des moujiks arrivent-ils à se dépatouiller là-dedans, et même à faire des choses drôlement subtiles, le russe est la langue des nuances infinies, va savoir ! Mais quelle récompense ! Quel éblouissement ! Dès les premiers pas, c’est la forêt enchantée, les rubis et les émeraudes, les eaux jaillissantes, le pays des merveilles, les fleurs magiques qui lèvent sous tes pas... L’extraordinaire richesse des sons dont est capable le gosier russe, la fabuleuse architecture de sa grammaire, byzantine d’aspect, magnifiquement précise et souple à l’usage... Oui. je tombe facilement dans le lyrisme quand je parle du russe. c’est que ça a été le coup de foudre ! J’aime le français, passionnément, c’est ma seule vraie langue, ma maternelle, elle m’est chaude et douce, depuis ma dixième année, elle n’a plus de coins noirs pour moi, je m’en sers comme de mes propres mains, j’en fais ce que je veux. l’italien, que je comprends un peu, que j’apprendrai un jour, je ne le connais qu’à travers le «dialetto» de papa, je pressens un parler doux et sonore, à la grammaire jumelle de la nôtre, un jeu d’enfant pour un Français. J’ai fait de l’anglais à l’école, j’étais même bon, maintenant je m’attaque à l’allemand, c’est une langue formidable, restée toute proche du parler des grands barbares roux casseurs de villes en marbre blanc, si je n’avais pas connu le russe au même moment, j’en serais tombé amoureux, je le suis, d’ailleurs, mais la souveraine fascination du russe surpasse tout, balaie tout... /...
... Il y a une autre raison, bien sûr. Sans doute la plus puissante : le russe est la langue de Maria !.. /...
... Les babas entre elles parlent plutôt ukrainien. C’est très proche, c’est un dialecte russe, mais enfin il y a des différences. «khleb» le pain devient «khlib» en ukrainien; «Ougol» le charbon devient «vouhil»... /...
... En une semaine j’ai su l’alphabet cyrillique. Je lis et j’écris maintenant couramment. ça aussi ça fait partie du jeu, cette écriture irritante pour un non-initié... /...
... Je traîne partout mes calepins crasseux. je repasse les listes de déclinaisons aux chiottes, et puis je me les récite en bossant, en marchant, avant de m’endormir... »



FACULTATIF VOIRE SUPERFLU CE DÉCRYPTAGE SUBJECTIF :
François Cavanna (1923-2014) appartient à ces auteurs plus témoins de leur temps que prosateurs ex nihilo... On dit qu’il écrit comme on parle, sans réaliser la complication et le travail en regard.
Dans LES RUSSKOFFS, il prend de la distance et n’a que peu d’indulgence pour les peuples, confrontés à l’Europe des dictatures et des démocraties molles, trop manipulables, changeants, lâches, capables du pire à partir du moment où ils sont menés par des bergers trop mielleux pour être honnêtes, trop au fait de l’emballement, plus négatif que bon, des foules.
En lisant Cavanna, on se convainc que les peuples savent forcer des germes aussi mauvais qu’endormis ; ils cultivent la haine, une exécration qui a culminé lorsqu’un d’eux a voulu en effacer un autre de la surface de la Terre.  
Mais cela n’empêche pas l’auteur de faire passer aussi la sociabilité aimante de ces mêmes peuples, le vivre ensemble propre à chacun d’eux, les particularités qui en font des communautés uniques, autant d’intimités différentes, qu’une langue seule sait si bien traduire pour peu qu’on ose frapper à la porte.
Cavanna, sous ses airs bourrus et provocateurs, aime les langues parce qu’il aime des semblables. Il va toujours vers eux : c’est une de ses facettes positives, cachée sous un vernis "grande gueule". Et quand l’amour pour Maria, une déportée du travail ukrainienne,  s’en mêle, dans le crépuscule du Berlin hitlérien, dans le chaos et les brassages tragiques, sa fougue pour les langues de notre chère Europe (2) sonne telle une grande espérance.
Soixante-dix ans après, malgré la paix globalement sauvegardée, qui ne piétine pas d’impatience face à l’inertie, à l’immobilisme trop facilement consenti ? A l’heure où une politique détestable veut imposer une langue venue d’ailleurs, dès le cours préparatoire, à l’heure où une certaine opposition, oublieuse des guerres induites par la testostérone nationaliste, ne prône qu’un repli derrière les frontières, pourquoi ne pas recevoir la déclaration d’amour de François Cavanna pour nos langues en tant qu’aiguillon vers une Europe où l’humanisme prévaudrait sur le cynisme d’une économie ouverte, ouverte surtout à l’exploitation des êtres, à l’addiction consumériste, au pillage généralisé ?
En ce début de millénaire qui voudrait faire porter aux langues une symbolique économique, politique, religieuse, sans parler de l’espéranto que Cavanna promut un temps pour contrer l’hégémonie de l’anglais (son côté électron libre), il est urgent pour les peuples d’imposer ses idéaux au cynisme mondialisé.  


(1) Les petits pêcheurs de Mayotte, malheureusement de moins en moins nombreux chaque année, la ressource se trouvant légalement pillée par des flottes venues d’Europe, partent encore avec les « Pétromax », petites lumières ça et là sur le lagon...
(2) Pour moi... jusqu’à l’Oural et le piémont sud du Caucase sans oublier l’intégration des Balkans !

photos autorisées :
1. Commons wikimedia Cavanna signant "Mignonne, allons voir si la rose" auteur Oscar J. Marianez.
2. Cavanna STO fév 1943 Bundesarchiv_Bild_183-2002-0225-500,_Paris,_Werbung_für_Arbeit_in_Deutschland
3. Cavanna STO juillet 1942Bundesarchiv_Bild_183-H26364,_Paris,_Anwerbung_französischer_Arbeiter