Ne jouons pas les Nostradamus ! Plus facile d’énoncer une lapalissade, d’annoncer que le printemps viendra après l’hiver, pardi ! Il n’empêche, une petite voix me dit que les amandiers vont fleurir… C’est que les quelques jours frisquets de ce début janvier devraient avoir causé ce choc thermique indispensable à la floraison de l’amandier… Alors gageons, même si je Nostram’amuse, que l’amandier ne me fera pas attendre plus de quinze jours ! C’est entre lui et moi, en seriez-vous témoins… .
Il
va venir fleurir le coteau, le marge des vignes, houppe blanche de l’amande
douce, toupet rose de l’amère. Pastels de serments partagés ou trahis[1], d’alliances fécondes, le
message passe avec l’allant des jours plus longs, toujours plus engageants.
Préludant à la montée des sèves, il accompagne le poudaïre, le vigneron qui taille les sarments, souche après souche, (d’ailleurs, les amandiers cultivés sont eux aussi, traditionnellement taillés en gobelet, pour diriger la pousse des branches vers l’extérieur). Si le vigneron qui « poude[2] » est pressé par le printemps qui déjà s’impatiente, l’amandier, lui, est plus fougueux encore. Rebelle, bravache, il n’a de cesse que de contester l’hiver alors qu’imperturbable, la saison mauvaise et sans pitié, sûre de sa légitimité et du tribut qu’elle peut exiger d’une nature écervelée, lui fait souvent payer un optimisme aussi cabochard qu’incontrôlable à coup de gelées qui brûlent et font avorter des fruits au duvet naissant.
Est-ce le même arbre ? |
Je
suis du Sud et, n’en déplaise aux Jacobins centripètes, l’amandier participe de cet esprit plus
méditerranéen que français, avec la mer qui soumet à elle le Mistral et le Cers…
Oui le Cers, un vent auquel les Romains avaient même élevé un temple ! Fan
cagua les bobeaux esprits qui n’ont que la tramontane à la bouche ! Oui le
Cers, frère du Mistral, de ces grands vents qui donnent à l’air du Golfe du
Lion une lumière à part.
Par
une matinée claire et vivifiante, il n’y a rien de plus beau que les boules
fleuries des amandiers sur les laisses d’un coteau avec, en fond, par un ciel
pur et calme, le cône enneigé du Canigou… de quoi rendre jaloux le Fuji-Yama
qui doit attendre longtemps l’éclosion des cerisiers !
Dans certaines contrées abritées du Midi, il lui arrive de fleurir parfois pour Noël… C’est arrivé à Fleury… en 1916, 1921, 1975… En attendant, faudrait-il attendre jusqu’en février, tout le village se retient, impatient de s’ouvrir au chapitre qui vient. Ils le pressentent tous : le messager fidèle ne tardera pas ! Tous l’espèrent ! Un instinct du fond des âges fait guetter, au bord des vignes, des champs, dans la garrigue même, le long des laisses et des murettes abandonnées ! Chacun croit le voir, à s’en frotter les yeux tant il cèle en lui l’espoir de jours meilleurs.
Quand le porteur de lumière vient, de sa touche pastel, éclaircir la grisaille de l’hiver, c’est une renaissance, et celui qui en est témoin court vite vers les siens, coupe la parole pour la bonne cause, l’annonce de la bonne nouvelle... J’en parlais ainsi, en 2014… et j’en frissonne rien que de penser aux abeilles, aux bourdons, à tout ce petit peuple de pollinisateurs qui profite et donne à la fois pour que vive notre vieille Terre…
[1] Revenant de Troie, Démophon, fils de Thésée, roi
légendaire d’Athènes, un des guerriers enfermés dans le cheval de bois, fut jeté
sur la côte de Thrace. Phyllis, princesse du lieu, tomba amoureuse du bel
étranger. Ils se marièrent. Démophon, cependant, repartit pour Athènes et ne
revint pas, malgré sa promesse. Abandonnée, Phyllis se pendit à un amandier. Si
je retiens cette version d’une légende déclinée en maintes variantes, c’est que
l’arbre ne daigna fleurir que le jour où Démophon revint enfin…
[2] La "poudo" était l’outil employé pour tailler la vigne, serpette d’un côté,
hachette de l’autre, connu dès l’époque romaine, sera utilisé jusqu’à la fin du
XIXème siècle. (source photo « Canton de Coursan / Opération Vilatges al
Pais – Ciném’Aude 2000 / Francis Poudou
et les habitants du canton / 2005)