Plus intimement, je me dois d'essayer d'honorer une dette insondable envers un père que ma mauvaise conduite, quelles qu'aient été sa mansuétude et son pardon, a dû trop souvent désoler. Alors, c'est sa voix qui va me lire, me raconter son conte de Noël... (dans le cadre du blog, ce conte se présente en quatre parties :
2. Cadeaux rêvés des petits garçons.
3. L'amertume d'Antoine.
4. La vengeance d'Antoine.)
(1. Le Noël 1928 de papa.)
C'est bientôt la fin de la messe de Noël. Je vais avoir sept ans dans quelques mois, et suis avec les filles et les garçons de mon âge dans la deuxième chapelle à droite de la nef. Nous voilà une bonne douzaine, assis sur de simples bancs de bois, dans notre belle église Saint-Martin illuminée a giorno, comme pour toutes les grandes occasions. Derrière nous, un autel aujourd'hui inutilisé, mais fleuri tout de même par des mains pieuses. La dame qui nous garde, en réalité une jeune fille, a un tic nerveux. Je la regarde de temps à autre : elle étire soudain le cou et cligne de l'œil, sans s'en rendre compte. C'est curieux…
J'ai mon petit manteau garni d'un col de fourrure (ce doit être la mode) et nous sommes tous ainsi, vêtus, comme l'a écrit André Gide, à la façon de petits singes savants. Avant la messe, nous nous sommes dit ce que nous avions obtenu comme cadeaux de Noël. Pour ma part, j'ai reçu une bien curieuse boîte : une fois ouverte, elle représente, sur le devant, une barrière de lattes de bois peintes en vert. De chaque côté, deux beaux cerisiers portent des fruits magnifiques, si savoureux que deux petits drôles, assis sur une grosse branche, croquent ces cerises. Plus loin s'étend le potager offrant à notre admiration de belles laitues et quelques plants de tomates grimpant à des roseaux. Tout au fond, un mur bas avec une cible circulaire au bout d'un ressort d'acier bleui. Et à côté une inscription sur un panneau rectangulaire « Attention, il y a des pièges à loups ! » Ce jeu est un tir ; il est accompagné d'un joli pistolet à manche de bois et de deux flèches munies chacune d'une ventouse caoutchoutée. Si vous tirez sur la cible, un garde-champêtre en bicorne bleu et cocarde tricolore s'élance de derrière le mur… mais les deux garnements ont disparu de l'arbre. Seuls sont tombés quatre magnifiques fruits rouges : le corps du délit.
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| La même cheminée en 1968, 40 ans plus tard. Mamé Ernestine a alors 72 ans. |
A peine si j'ai pu m'en amuser : il a fallu se laver, s'habiller, se chausser. L'oncle Pierre, il est vrai, m'a un peu aidé. C'est lui qui, hier soir, m'a fait nettoyer la plaque du feu ; d'abord balayer la cendre, puis passer un peu d'huile et frotter, faire briller, avant de ranger côte à côte les petits souliers dûment cirés et lustrés pour la circonstance. Je ne crois plus au père Noël, bien sûr : à la « grande école », depuis près d'un an, j'ai eu le temps d'apprendre ce qui se passait durant cette nuit mémorable. Mais sait-on jamais ? Si je m'en vante trop, je risque bien de briser la machine merveilleuse. Alors ?… » (à suivre)
François Dedieu, Caboujolette, 2008.

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