La nappe empesée est lourde de la vaisselle des grands
jours, presque toujours un service et une ménagère reçus pour le mariage. Un
chemin de table et des compositions fleuries agrémentent le coton mêlé de lin du tissu métis.
Après le plaisir des plats demeurait celui des mots. Mais il
est difficile, longtemps après, de matérialiser l’évocation trop lyrique et envolée alors
exprimée.
SOUS-BOIS par exemple, sont-ce des champignons de Paris à la
grecque ?
Et qu’est-ce qui fait le printemps dans les CORNETS DE JAMBON ? Des asperges peut-être…
De même il faut se replonger dans les livres de recettes ou les
dicos parce qu’on ne sait plus que vaguement ce qu’est et comment se présente une
galantine de volaille.
Et ce SAUMON « à la rousse » se retrouve-t-il
nappé d’un roux ou d’une béchamel ?
Pour la TIMBALE FINANCIÈRE, on pouvait dire
« vol-au-vent » ou encore « bouchée à la reine » en souvenir
de celle qui voulait reprendre un roi affriolé par les puits d’amour de sa
maîtresse en vue, la Pompadour…
Le SALMIS comme le civet se cuit au vin rouge sauf
qu’il faut lier la sauce du civet avec le sang du gibier ainsi préparé, une
recette de moins en moins à portée si on considère une façon de vivre
s’éloignant de plus en plus, tant matériellement que psychologiquement, de ce
qui fut un art de vivre. A y être, j’irai voir comment on prépare un saupiquet.
Pour la communion de mes cousins, ce salmis accompagne des pigeons. Les gens
disaient alors qu’il ne fallait pas en manger souvent, que ce n’était pas bon
pour la tension. Mon grand-père racontait qu’une vieille, pour se débarrasser
de son vieux, avait sciemment préparé du pigeon tous les dimanches… sans
toujours vouloir douter et contester, il me semble néanmoins que c’est surtout
le sel ajouté ou caché qui s’avère très nocif à la santé…
Les CÈPES A LA BORDELAISE ? Une persillade avec de
l’ail ? de l’échalote ? Aucun rapport avec la sauce bordelaise encore
au vin…
Le vin reste générique à l’époque même si La Clape et le
muscat sont locaux, de Fleury même (« d’aqui darrè », de papé Jean,
en bouteilles de 50 cl… avec le cousin, nous en volâmes une bouteille mais cela
ne se répéta pas le jeudi suivant, jour sans classe alors). La Clairette
représente l’Hérault et les Corbières, curieusement avec le rosé, figurent
aussi au menu. ? La Blanquette de Limoux n’a visiblement pas encore gagné en
notoriété. Le mousseux, est peut-être celui qu’on gagne aux loteries ou aux
tirs de la fête foraine, pour la saint Martin… Attention alors au mal de tête…
Au dessert, des pâtisseries variées et la pièce montée
échafaudée de choux collés de caramel (ROCHE DE CHOUX). Pour les liqueurs, on peut penser que
les préparations maison (grâce au droit à l’alcool, aux feux privilèges des
bouilleurs de cru) côtoient les productions du commerce.
Quelques heures après s’être levé de table, tout le monde se
retrouve pour le « Dîner ». Pour une fois, on ne parle pas de
souper !
Après le CONSOMMÉ ROYAL (bouillon de bœuf dans lequel on
fait fondre une royale coupée en cubes (œufs, lait, farine, sel, poivre), l’honneur
reste à la volaille avec les CROQUETTES, la POULE A LA SUPRÊME (jaune d’œufs,
crème fraîche, citron), et finalement le POULET FROID. Aujourd’hui cela nous
tirerait une grimace mais plus d’un demi-siècle en arrière, le poulet n’a rien
de ce qu’on mange à présent : nourri au blé, sa qualité et son prix en
font un plat du dimanche.
Ce dimanche 14 juin 1964, ce menu nous est
« offert » par mes cousins pour leur communion solennelle. Était-ce
chez papé Jean ou chez l’oncle Noé ou au café Billès qui mettait alors une
salle à disposition ? En ces temps là, les familles au sens large avaient
à cœur de se réunir à l’occasion de fêtes. On se « rendait » les
invitations à l’occasion des baptêmes, communions, mariages et plus loin, mais
plus rarement dans la vie, des noces d’or.
J’entends dans un souffle « Souvenirs,
souvenirs… ». Mon pauvre cousin Jacky nous a quittés il y a onze ans
passés. Il n’avait pas 55 ans.
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