« Ci-gît au fond de mon cœur une histoire ancienne,
Un fantôme, un souvenir d'une que j'aimais...
Le temps, à grand coups de faux, peut faire des siennes,
Mon bel amour dure encore, et c'est à jamais...
J'ai perdu la tramontane
En trouvant Margot,
Princesse vêtue de laine,
Déesse en sabots... »
Brassens. Je suis un voyou.
Avec son côté troubadour, l’ami Georges confirme qu’en amour on peut « perdre la tramontane » quand la passion aveugle au point de ne plus savoir où on en est et que "l’entiché(e)" ne maîtrise plus son destin. Plus vulgairement, on peut la perdre aussi, quand, à force de faire tourner le monde autour de son nombril, on regarde les autres de haut. Le pouvoir central, dans ce qu’il a de jacobin (1), exsude hélas ce mépris ordinaire.
Cette fois, rien de raciste, comme pour l’accent du Sud, rien de calomnieux, comme pour la paresse prétendument méditerranéenne, seulement le dénigrement habituel, le dédain insidieux. Dans ce registre, épinglons Météo France. L’organisme d’État, en effet, décida un jour que, de la Camargue au cap Béar, seule la tramontane avait le droit de souffler. Et la télé d’en rajouter, après les quelques degrés de plus à la température de baignade, même si, avec la "tramontane", il ne faudrait pas rebuter le vacancier, doigts de pied en éventail, qui doit absolument oublier la corruption tant morale que matérielle des élites, la démocratie confisquée, la baisse du pouvoir d’achat, les hausses d’impôts. Quant au Sudiste (2) qui a le malheur de demander si le Cers, c’est du vent, il fait sourire tant il exagère même s’il n’y va pas de son patois !
Qu’on ne se méprenne pas : la tramontane n’y est pour rien. Le terme nous vient d’abord de l’italien "transmontana" indiquant le Nord, l’étoile polaire, tout ce qui est au-delà des Alpes, au-delà des monts ("trans montes") avant de désigner le vent. Depuis le début du XIVème siècle (3), cette "émigrée" au nom pour le moins générique, peut et a le droit de souffler... le Languedoc reste une terre d'accueil ! En Arles, sur la table d’orientation de la place de la Major, le mistral et les tramontanes couvrent 68° (du NW au NNE). A partir d’une ligne Montpellier, Sète, admettons une tramontane "vraie" venue des Cévennes, voisine du mistral et qui occuperait un angle dont le sommet serait Agde avec le second côté ouvrant jusqu’à Saint-Pons... même s’il m’en coûte parce qu’à Colombières, non loin du confluent de l’Orb et du Jaur, Jean-Claude Carrière ne cite pas la tramontane : "Le pays est... froid l’hiver à cause du vent du Nord qui descend en sifflant du massif... " (4).
A Fleury aussi, nous nous sommes laissés aller à dire "vent du Nord" pour tout souffle venant de l’intérieur des terres. Et cette paresse de l’esprit a relégué le pauvre Cers avec ces masses d’air attirées par une dépression en mer, déniant ainsi l'identité et la nature profonde du maître vent.
Pour aller plus loin, je dirai même que Narbonne est à blâmer en premier ! A-t-elle défendu, en effet, le statut à part, sinon supérieur, de "son vent", le Cers ? Qu’on me dise si Narbo Martius en a appelé aux Romains qui, héritiers des Grecs, ont nommé "cercius" (5) (6) deux souffles majeurs du Golfe du Lion ? Qu’on me dise si l’Histoire situe bien un mont Saint-Cyr (7), entre Ouveillan et Sallèles, où fut édifié, en 14, au nom de l'empereur Auguste, le temple dédié au dieu Cercius ?
(à suivre).
(1) Il serait intéressant d’analyser la manière, la mutation psychologique qui transforme les provinciaux promus aux affaires nationales en jacobins purs et durs... peut-être une conséquence du scrutin majoritaire...
(2) Paris parle de « Sudiste » pour les États-Unis et la guerre de Sécession. Concernant le pré-carré hexagonal, si le Sud-Est pour « La Côte », « Le Midi », et le Sud-Ouest sont cités, le Sud n’existe pas. Ne parlons pas du Cers !
(3) Le Robert 1, à l’entrée "tramontane" (début XIVème) : vent du nord sur la côte méditerranéenne ou vent qui vient d’au-delà des montagnes (Alpes, Pyrénées).
(4) Le vin bourru (2000). Très beau livre !
(5) D’après l’excellent site etymologie occitane.fr, l’occitan ancien "cers" remonterait au grec « kirkios » tandis que l’espagnol "cierzo" vient directement du latin "cersius" « avec un "e" bref attesté chez Caton ».
(6) D’après Pline le Jeune « C'est le vent le plus célèbre de la Narbonnaise ; il ne cède à aucun autre en violence ».
(7) Geoportail y situe un ancien phare d'aviation (Aéropostale, années 20).
Photo : Pins de Barral en automne. 1963. François Dedieu.
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