vendredi 15 octobre 2021

J'AIME parce que les VENDANGES les ont inspirés. 5. Jean Camp (fin)

 Jean Camp (1891 - 1968). Sallois de naissance, auteur dramatique, poète, félibre, hispanisant, conférencier, il a écrit le roman Vin Nouveau en 1929. 

 Un extrait sur les vendanges : 
"... Porteurs et presseurs sont à l'affût du moindre grappillon oublié sous les pampres. On l'arrache d'un coup pour en barbouiller la joue de la vendangeuse négligente. La fille a beau baisser la tête, opposer sa croupe tendue à l'assaillant, celui-ci n'est pas une mauviette. Muscles gonflés, il dompte la volonté rebelle qui l'affronte, tord d'un poing rude les bras hâlés qui veulent l'affronter, écrase la grappe tiède sur la joue brune ; puis, goulûment, dans le brouhaha excitant que fait l'assistance, il mord le visage en sueur que le raisin rougit, les lèvres humides, le cou flexible, et ne lâche sa victime que lorsque, de guerre lasse, elle lui a rendu ce baiser goulu qu'il vient de lui donner, âcre et sucré et enivrant comme l'essence même de la vendange..." 
 
Dans "Vin Nouveau", Jean Camp a décrit ce dernier voyage :

"La dernière charretée de vendange.
La dernière charretée de vendange arrivait dans une gloire de poussière et de feuillage. Les trois chevaux aux colliers pointus tiraient à plein poitrail dans un carillon de grelots de cuivre avec les pompons rouges chasse-mouches, des rubans aux gourmettes, des houppettes de tamarin fleurissant les rênes sous l'entrelacement des touffes de roseaux et de pampres verts.
Sur la charrette, les comportes étaient cachées par des branches de saules et de sarments feuillus. Par-dessus, deux longues planches faisaient un siège dur mais solide aux vendangeuses qui, de la vigne dépouillée au cellier regorgeant, semaient sur la route leurs refrains, leur gaîté et leurs sonores bavardages.
Les hommes suivaient, par derrière, accrochés aux ridelles, traînant les seaux, la masse de bois à l'épaule, la chemise échancrée sur la gorge velue et barbouillée de jus violet... Leur barbe de huit jours trouait leur peau tannée et leur donnait l'air de brigands. Ils répondaient à tue-tête aux chœurs des vendangeuses qui rythmaient le chant aux cahots de l'équipage.
Les larges câlines pendaient dans le dos des coupeuses; Quant au charretier, la verge de son fouet était tressés de fleurs et il fallait voir comment claqua sa mèche en arrivant aux premières maisons du pays.
Les belles vendanges ! Pas une goutte de pluie pendant vingt-cinq jours, pas trop de moustiques, pas trop d'à-coups !... le dernier convoi apportait aux cuves les dernières comportes. Demain, la fête traditionnelle de la fin des vendanges. Un coup d’œil au ciel dégagé semblait dire : "A présent, qu'il pleuve ! Mon vin est à l'abri.
 
Pour le collier pointu du cheval. Vendanges Avignon Château de Courtine wikimedia commons Scan old postcard Author L. L.

mercredi 13 octobre 2021

J'AIME parce que les VENDANGES les ont marqués. 5. Jean Camp

Reprise d'un article du 24 octobre 2016 : LA CIGALO NARBOUNESO / VENDANGES.

Dans le numéro double 114-115 d'août-septembre 1927, "La Cigalo Narbouneso", un poème de Jean Camp, "La Moussenho"(orthographe d'origine).  

Jean Camp / convertimage d'après photo.

Jean Camp (1891 - 1968), l’auteur sallois connu pour ses pièces de théâtre, ses romans « Jep le Catalan », « Vin Nouveau », ses recueils de poèmes avec « Les voici revenues, Coursan, tes grandes heures...» ainsi que « Le doublidaïre » sur le mal du pays, pour ceux qui comme lui et sa famille, sont "montés à Paris"(1). 

La Moussenho.

Per tant vièlho que siogue, es lou cap de jouvent
De la colho e partits al travalh la prumièiro,
Lou pèd laugè, toujour davant, meno la tièiro
E lou darriè ferrat l’a pas visto souvent.

Ajudo as maïnajous e buto las mametos.
Sous ciseùs valentiùs coupoun aissi, ala.
Jamai boun limouniè refuso lou coula ;
Jamai bouno moussenho a roubilhat serpetos.

Fa doublida l’soulel, lous mouissals, lou banhat
Quand de sus pots risents fusoun las coutaralhos.
D’un mot viù a fissat la jouve que varalho
E sap respoundre as capounados d’un goujat.

Quand veï parpalheja proche elo las galinos
Coumo un gaujous eissam d’alos de passerats,
Se leva, se coulca as dessus das ferrats,
Uno simplo fiertat i couflo la poutrino

E quand, al vèspre, a fait soun counte de semals,
Lous rens cansats, lou cor countent, dintro al vilage,
Dejoust soun cos de sac gardo prou de courage
Per entouna ‘n couplet das darriès Carnavals. 

Jan Camp. 

Traduction proposée :

La moussègne (a).
Pour vieille qu’elle soit, elle mène l’ardeur
De la colle et part au travail la première.
Le pied léger, toujours devant, elle mène sa rangée
Et le dernier seau ne l’a pas souvent vue.

Elle aide les jeunes enfants et presse les grands-mères
Ses vaillants ciseaux coupent ici et là.
Jamais bon limonier ne refuse le collier.
Jamais bonne moussègne ne "laisse en repos" (b) ses serpettes.

Elle fait oublier le soleil, les moustiques, le mouillé
Quand de ses lèvres rieuses "elle ne veut en démordre" (c)
Elle a cinglé d’un mot vif la jeune qui papillonne
Et sait "répondre aux caponages" (d) d’un gars.

Quand elle voit, proches d’elle, voleter les calines
Comme un joyeux essaim d’ailes de passereaux
Elle se lève "comme si elle couvait" (e) les seaux
Une satisfaction lui gonflant la poitrine.

E quand le soir elle a son compte de comportes (f),
Les reins las, le cœur content, elle entre au village,
"Sous ses hardes de sac" (g), elle garde assez de courage
Pour entonner un couplet des derniers carnavals.  

(a) la meneuse, la chef des vendangeurs, celle qui donne le rythme et que personne n’a le droit de dépasser.
De mossenh n. m. (s.   XII.) monsieur (onorific) (cf. sénher)
mossénher n. m.(s.   XII.) 1.   monseigneur 2. chef de groupe de travailleurs agricoles (cf.monsenhor)
http://www.academiaoccitana.eu/diccionari/DGLO.pdf (page 422).
(b) de roupilhar : roupiller ?
(c) coutaire, acoutaire : celui qui aime soutenir le contraire (Mistral).
(d) de capounot -oto, friponneau, libertin / le caponage consiste à barbouiller par surprise les jeunes gens (plutôt les filles) qui auraient oublié un grappillon de plus de sept grains... La moussègne que l’âge et le respect dus à son rang protègent peut, à la rigueur, contrôler ces débordements à partir du moment où ils compromettraient le rendement de l’équipe.  
(e) se colcar = se coucher... Problème, le poète nous dit qu'elle se lève, se relève de sa souche... Quitte à faire un contre-sens, je propose « couver », En occitan « clocar », qui irait avec l’image des gélines ou poules. Comment un simple «l» avant ou après le «o» peut tout changer !
(f) Dans ce cas ce serait en fonction d’un rendement à tenir suivant la grosseur des grappes et ce que donnent les ceps. Quoi qu’il en soit, en fin de journée, tout le monde a son content de comportes !
(g) D’une âme charitable j’attends la proposition... 


(1) Pour en savoir davantage
http://www.la-bonne-entente-salloise.fr/salles/Jean%20Camp.pdf
et le livre du canton de Coursan (Vilatges al Pais).